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ce qu'ils ne sont pas pauvres par choix, mais par nécessité, on n'en tient pas grand compte. Et par cela même qu'on n'en tient pas grand compte, leur pauvreté est plus pauvre que celle des religieux, bien que celle-ci ait une grande excellence et se rende très-recommandable à cause du vœu et de l'intention qui l'a fait choisir.

Ne vous plaignez donc pas, ma chère Philothée, de votre pauvreté; car on ne se plaint que de ce qui déplaît, et si la pauvreté vous déplaît, vous n'êtes plus pauvre d'esprit, mais riche d'affection.

Ne vous désolez pas de n'être pas si bien secourue qu'il seroit nécessaire ; car en cela consiste l'excellence de la pauvreté. Vouloir être pauvre, et ne pas vouloir en recevoir d'incommodité, c'est une trop grande ambition, car c'est vouloir l'honneur de la pauvreté et la commodité des richesses.

N'ayez point de honte d'être pauvre, ni de demander l'aumône à titre de charité. Recevez avec humilité ce qu'on vous donnera; supportez le refus avec douceur. Rappelez-vous souvent le voyage que la sainte Vierge fit en Egypte pour y porter son cher enfant, et combien de mépris, de fatigues et de misère il

lui fallut endurer. Si vous vivez comme cela, vous serez très-riche dans votre pauvreté.

CHAPITRE XVII.

De l'amitié, et premièrement de la mauvaise.

ENTRE toutes les passions de l'ame, l'amour tient le premier rang; c'est le roi de tous les mouvemens du cœur : il attire tout le reste à soi, et nous rend tels que ce qu'il aime. Prenez donc bien garde, Philothée, de n'en point avoir de mauvais; car tout aussitôt vous seriez toute mauvaise. Or, l'amitié est le plus dangereux amour de tous, parce que les autres amours peuvent subsister sans qu'il y ait communication des cœurs; au lieu que l'amitié étant totalement fondée sur cette communication, il est presque impossible d'être l'ami d'une personne, sans participer à ses qualités.

Tout amour n'est pas amitié; car on peut aimer quelqu'un sans en être aimé, et pour lors il y a de l'amour, mais non de l'amitié; puisque l'amitié est un amour mutuel, et que, s'il n'est pas mutuel, ce n'est pas de l'amitié. Et il ne suffit pas encore qu'il soit mutuel, mais il faut de plus que ceux qui s'aiment connoissent leur mutuelle affection; autrement ils au

roient de l'amour, mais non de l'amitié. Il faut enfin qu'il y ait entre eux quelque sorte de communication qui soit le fondement de l'amitié.

Selon la diversité des communications, l'amitié est aussi diverse; et les communications sont différentes, selon la différence des biens qu'on se communique. Si ce sont des biens faux et vains, l'amitié est fausse et vaine; si ce sont de vrais biens, l'amitié est vraie; et plus les biens sont excellens, plus aussi l'amitié est excellente. Car, comme le meilleur miel est celui qui est cueilli sur les fleurs les plus exquises, de même aussi la meilleure amitié est celle qui résulte des communications les plus parfaites. Et comme il y a une sorte de miel à Héraclée de Pont, qui est un poison véritable, et qui fait devenir insensés ceux qui en mangent, parce qu'il est recuilli sur l'aconit, plante vénéneuse très-abondante en ces régions, ainsi l'amitié fondée sur la communication des biens faux et vicieux est toute fausse et mauvaise.

L'amitié qui est fondée sur la communication des biens extérieurs et sensibles est toute grossière et indigne du nom d'amitié; comme aussi celle qui est fondée sur certaines vertus vaines et frivoles qui n'ont également pour but que la satisfaction des sens. J'appelle biens ex

térieurs et sensibles, ceux qui s'attachent immédiatement et principalement aux sens extérieurs, comme le plaisir de voir la beauté, d'entendre une douce voix, d'entretenir une agréable conversation. J'appelle vertus frivoles, certaines habiletés et qualités vaines, que les esprits foibles appellent vertus et perfections.

Entendez parler la plupart des filles, des femmes et des jeunes gens; ils ne se gêneront pas pour vous dire : Monsieur un tel a beaucoup de mérite, c'est un homme parfait, car il danse à ravir, il possède à merveille toutes sortes de jeux, il est toujours habillé dans le meilleur goût, il chante admirablement bien, il a le plus excellent ton, les manières les plus agréables. Ah! Philothée, quel jugement! n'est-ce pas ainsi que les charlatans se jugent entre eux, estimant pour plus parfait celui qui excelle en boufonneries. Or, comme tout cela regarde les sens, les amitiés qui en proviennent s'appellent sensuelles, vaines et frivoles, et méritent plutôt le nom de folâtrerie que d'amitié. Ce sont ordinairement les amitiés des jeunes gens qui se laissent enchanter par des moustaches, des cheveux, un regard, un habit, une tournure et du babil. Amitiés dignes de l'âge où il n'y a encore de vertu qu'en herbe et de jugement qu'en bouton:

aussi de telles amitiés ne sont que passagères, et fondent comme la neige au soleil.

QUAND

CHAPITRE XVIII.

Des amitiés sensuelles.

UAND ces amitiés vaines et badines se rencontrent entre des personnes de différent sexe, sans aucune vue de mariage, elles ne méritent pas le nom ni d'amitié ni d'amour, à cause de leur incroyable vanité et de leurs grandes imperfections; et l'on ne peut les nommer autrement que sensuelles, ainsi que je l'ai dit dans le chapitre précédent : cependant les cœurs de ces personnes s'y trouvent pris, engagés et comme enchaînés par de vaines et folles affections, qui ne sont fondées que sur ces frivoles communications et misérables agrémens dont j'ai parlé et bien que ces sortes d'amours dégénèrent ordinairement en voluptés les plus grossières, ce n'est pas néanmoins la première vue que l'on ait eue; autrement tout ce que je viens de dire seroit une impureté déclarée et fort criminelle. Il se passera même quelquefois plusieurs années, sans que les personnes qui sont frappées de cette folie, fassent rien qui soit formellement et directement contraire

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