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pour

le rançonner au passage et pour éntasser, sou par sou, de malheureuses ren

tes, dont nous jouirons seulement à l'heure de la vieillesse?

Que nous laissera-t-on, s'il vous plaît, à nous, fidèles épouses; à nous, mères attentives, qui donnons tout au devoir et à la famille?

Allez-vous nous confondre avec ces créatures légères et volages auxquelles on prodigue l'encens et les adorations?

Elles prennent toutes les fleurs de la vie, en nous laissant les ronces, et vous Osez soutenir qu'elles ont droit aux mêmes égards, à la même vénération, à la même estime?

Pourquoi pas? répondrons-nous.

Est-ce parce qu'elles ne vous semblent point honnêtes?

Mais c'est vous qui les empêchez de l'être. Vous les flétrissez d'avance par le préjugé. Fussent-elles des Lucrèce, elles ne retireraient aucun avantage de leur héroïsme, puisque vous déclarez intrépidement qu'il ne peut y avoir de vertu au théâtre.

La généralité des comédiens donne dans ce piége odieux, tendu par l'injustice, l'envie et la sottise.

Ils jettent, pour nous servir d'une expression vulgaire, le manche après la cognée, convaincus de leur impuissance à changer l'opinion et se résignant à n'être dans la société que des espèces de parias,

consolés du mépris du jour par les applaudissements du soir.

Aussi doit-on regarder comme des phénomènes ceux ou celles qui, au milieu des mœurs isolées et des habitudes excentriques auxquelles on les condamne, conservent la dignité, la franchise, le désintéressement et les plus belles qualités du

cœur.

Mademoiselle Déjazet est de ce nombre.

Bonne, compatissante, sensible, on l'a toujours vue prête à secourir la détresse, à soulager l'infortune.

L'or qu'elle recevait d'une main en récompense de son génie passait dans l'autre main, qui le laissait pleuvoir en bienfaits et en aumônes.

Jamais elle n'a refusé de jouer pour les

pauvres.

Jamais, par un caprice ou par un de ces pitoyables subterfuges que d'autres inventent, elle n'a fait manquer une représentation destinée à tirer d'embarras un artiste malheureux 1.

1 Traversant une petite ville de province, elle apprend que la Dugazon d'une troupe nomade vient de se fouler le pied juste le matin du jour où elle avait une représentation à bénéfice. On parlait de changer le spectacle. Déjazet va regarder l'affiche, examine quelle pièce on annonce, court au théâtre, où on ne la connaft pas, et deY songez-vous? mande à remplacer la bénéficiaire. Bon! dit répond le directeur; nous ne ferons rien. l'actrice, je vous assure deux mille francs de recette. Préparez une bande, et écrivez dessus que mademoiselle Déjazet du Palais-Royal se charge de remplir le rôle. Comme on se l'imagine, l'administration eut hâte d'obéir. Les places furent augmentées, et l'on fit trois mille francs. Le directeur préleva cent écus; le reste fut pour la bénéficiaire.

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Quand elle rend un service, elle en triple la valeur par le tact et la grâce qu'elle sait toujours unir à sa douce obligeance.

L'intérêt ne la guide point dans ses affections, bien différente en cela de beaucoup d'actrices qui dressent le tarif de leurs sourires et les font payer par la ruine.

On a cruellement affligé mademoiselle Déjazet toutes les fois qu'on a paru douter de sa délicatesse à cet égard.

Voyant un de ses plus chers adorateurs, le comte G..., se livrer à la frénésie du jeu et laisser chaque soir des sommes folles sur le tapis vert:

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