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XVIII.

jeûnes, sa pauvreté, et dans la pauvreté de sa vie son immense charité envers les pauvres, sa doctrine enfin, et sa vigilance qui lui faisoit regarder le moindre relâchement dans un pasteur comme un grand péril des ames, composoient en lui un évêque tel que saint Paul l'avoit décrit. Voilà le Pape que ce savant homme a vu dans la chaire de saint Pierre vers la fin du cinquième siècle, où l'on veut que l'Antechrist ait pris naissance. Encore cent ans après, saint Grégoire le Grand étoit assis dans cette chaire, et toute l'Eglise en Orient comme en Occident étoit remplie de la bonne odeur de ses vertus, parmi lesquelles éclatoient son humilité et son zèle. Néanmoins il étoit assis dans le siége qui commençoit à devenir le siége d'orgueil, et celui de la bête (1). Voilà de beaux commencemens pour l'Antechrist. Si ces papes avoient voulu être un peu plus méchans, et défendre avec un peu moins de zèle le mystère de Jésus-Christ et celui de la piété, le systême cadreroit mieux : mais tout s'accommode; l'Antechrist ne faisoit encore que de naître (2), et dans ses commencemens rien n'empêche qu'il ne fût saint, et très-zélé défenseur de Jésus-Christ et de son règne. Voilà ce que voyoit notre auteur au commencement de l'année 1685, et quand il composa ses Préjugés légitimes.

Lorsqu'il eut vu sur la fin de la même année L'auteur la révocation de l'Edit de Nantes et toutes ses change, et veut avancer suites, ce grand événement lui fit changer ses la ruine de prophéties, et avancer le temps de la destruction

l'Antechrist,

(1) Prej. leg. I. part. p. 147. — (3) Ibid. 128.

du règne de l'Antechrist. L'auteur voulut pouvoir dire qu'il espéroit bien la voir lui-même. Il publia en 1686 le grand ouvrage de l'Accomplissement des prophéties, où il détermine la fin de la persécution antichrétienne à l'an 1710, ou au plus 1714 ou 1715. Au reste, il avertit son lecteur, qu'après tout il croit difficile de marquer précisément l'année: Dieu, dit-il (1), dans ses prophéties N'Y REGARDE PAS DE SI PRÈS. Sentence admirable! Cependant on peut dire, poursuit-il, que cela doit arriver depuis l'an 1710, jusqu'à l'an 1715. Voilà ce qui est certain et constamment au commencement du dix-huitième siècle, ce qu'il appelle persécution sera cessé : ainsi nous touchons au bout; à peine y a-t-il vingt-cinq ans. Qui des Calvinistes zélés ne voudroit avoir patience, et attendre un si court terme?

XIX.

Il est obligé à le faire naître en la

saint Léon le

Grand.

Il est vrai qu'il y a ici de l'embarras car à mesure qu'on avance la fin des douze cent soixante ans, il en faut faire remonter le commencement, et établir la naissance de l'empire personne de antichrétien toujours dans des temps plus purs. Ainsi, pour finir en 1710 ou environ, il faut avoir commencé la persécution antichrétienne en l'an 450 ou 54, sous le pontificat de saint Léon: et c'est aussi le parti que prend l'auteur, après Joseph Mède, qui s'est rendu de nos jours célèbre en Angleterre par ses doctes rêveries sur l'Apocalypse, et sur les autres prophéties dont on se

sert contre nous.

(1) Acc. II. part. ch. 11, p. 18, 28.

XX. Absurdité

de ce systê

me.

Il semble que Dieu ait eu dessein de confondre ces imposteurs en remplissant la chaire de saint Pierre des plus grands hommes et des plus saints qu'elle ait jamais eus, dans les temps que l'on en veut faire le siége de l'Antechrist. Peut-on seulement songer aux lettres et aux sermons où saint Léon inspire encore aujourd'hui avec tant de force à ses lecteurs la foi en Jésus-Christ, et croire qu'un Antechrist en ait été l'auteur? Mais quel autre Pape a combattu avec plus de vigueur les ennemis de Jésus-Christ, a soutenu avec plus de zèle et la grâce chrétienne, et la doctrine ecclésiastique, et enfin a donné au monde une plus saine doctrine avec de plus saints exemples? Celui dont la sainteté se fit respecter par le barbare Attila, et sauva Rome du carnage, est le premier Antechrist, et la source de tous les autres. C'est l'Antechrist qui a tenu le quatrième concile général, si respecté par tous les vrais chrétiens c'est l'Antechrist qui a dicté cette divine lettre à Flavien, qui a fait l'admiration de toute l'Eglise, où le mystère de Jésus-Christ est si hautement et si précisément expliqué, que les Pères de ce grand concile s'écrioient à chaque mot, Pierre a parlé par Léon: au lieu qu'il falloit dire que l'Antechrist parloit par sa bouche, ou plutôt que Pierre et Jésus-Christ même parloient par la bouche de l'Antechrist. Ne faut-il pas avoir avalé jusqu'à la lie le breuvage d'assoupissement que boivent les prophètes de mensonge, et s'en être enivré jusqu'au vertige, pour annoncer au monde de tels prodiges?

:

A cet endroit de la prophétie le nouveau pro

:

XXI. Vaine éva

phète a prévu l'indignation du genre humain, sion du miet celle des Protestans, aussi bien que des Ca- nistre. tholiques car il est forcé d'avouer que depuis Léon Ier jusqu'à Grégoire le Grand inclusivement, Rome a eu plusieurs bons évêques dont il faut faire autant d'Antechrists; et il espère contenter le monde en disant que c'étoit des Antechrists commencés (1). Mais enfin, si les douze cent soixante ans de la persécution antichrétienne commencent alors, il faut ou abandonner le sens qu'on donne à la prophétie, ou dire que dès-lors la sainte cité fut foulée aux pieds par les Gentils; les deux témoins, c'est-à-dire le petit nombre des fidèles, mis à mort (2); la femme enceinte, c'est-à-dire l'Eglise, chassée dans le désert (3), et tout au moins privée de son exercice public; que dès-lors enfin commencèrent les exécrables blasphemes de la bête contre le nom de Dieu, et contre tous ceux qui habitent dans le ciel, et la guerre qu'elle devoit faire aux saints (4). Car il est expliqué en termes exprès dans saint Jean, que tout cela devoit durer pendant les douze cent soixante jours qu'on veut prendre pour des années. Faire commencer ces blasphêmes, cette guerre, cette persécution antichrétienne, et ce triomphe de l'erreur dans l'Eglise romaine dès le temps de saint Léon, de saint Gélase, de saint Grégoire, et la faire durer pen

(1) Acc. II. part. ch. 11, p. 39, 40, 41. · (2) Apoc. xI. 2, 7. Acc. des Proph. 11. part. c. x, p. 159. — (3) Apoc. x11. 6, 14.(4) Ibid. x. 5, 6.

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1

dant tous ces siècles, où constamment cette Eglise étoit le modèle de toutes les Eglises, non-seulement dans la foi, mais encore dans la piété et dans les mœurs, c'est le comble de l'extravagance. Mais encore, qu'a fait saint Léon pour méTrois mau- riter d'être le premier Antechrist? On n'est pas res qu'on at- Antechrist pour rien. Voici les trois caractères tribue à saint qu'on donne à l'antichristianisme qu'il faut faire

XXII.

vais caracté

Léon.

convenir au temps de saint Léon, et à lui-même, l'idolatrie, la tyrannie, et la corruption des mœurs (1). On gémit d'avoir à défendre saint Léon de tous ces reproches contre des chrétiens: mais la charité nous y contraint. Commençons par la corruption des mœurs. Mais quoi! on n'objecte rien sur ce sujet : on ne trouve dans la vie de ce grand pape que des exemples de sainteté. De son temps la discipline ecclésiastique étoit encore dans toute sa force, et saint Léon en étoit le soutien. Voilà comme les mœurs étoient déchues. Parcourons les autres caractères, et tranchons encore en un mot sur celui de la tyrannie. C'est, dit-on (2), que depuis « Léon Ier qui étoit séant l'an 450, jusqu'à Gré» goire le Grand, les évêques de Rome ont tra» vaillé à s'arroger une supériorité sur l'Eglise » universelle » mais est-ce Léon qui a commencé? On n'ose le dire; on dit seulement qu'il y travailloit: car on sait bien que saint Célestin son prédécesseur, et saint Boniface, et saint Zozime, et saint Innocent, pour ne pas maintenant remonter plus haut, ont agi comme saint

(1) Acc. des Proph. II. part. c. 11, p. 18, 28. — (2) Ibid. p. 41.

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