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Les dix rois

celui des tribuns militaires qui ont à peine subsisté trente à quarante ans; plus court que celui des décemvirs qui n'en ont duré que deux; plus court du moins que celui des rois, ou des consuls, ou des empereurs qui ont rempli le plus de temps par leur durée. Mais, au contraire, celui que saint Jean a caractérisé par la brièveté de sa durée, non-seulement dure plus que chacun des autres, mais encore dure plus que tous les autres ensemble : quelle absurdité plus manifeste! et n'est-ce pas entreprendre de rendre les prophéties ridicules que de les expliquer de cette sorte? Mais disons un mot des dix rois, sur lesquels XXXIV. notre interprète croit triompher, après Joseph de l'ApocaMède (1). C'est lorsqu'il nous fait paroître, 1. les lypse aussi Bretons, 2. les Saxons, 3. les Français, 4. les évidemment Bourguignons, 5. les Visigoths, 6. les Suèves et les Alains, 7. les Vandales, 8. les Allemands, 9. les Ostrogoths en Italie, où les Lombards leur succèdent, 10. les Grecs. Voilà dix royaumes bien comptés, dans lesquels l'Empire romain s'est divisé au temps de sa chute. Sans disputer sur les qualités, sans disputer sur le nombre, sans dispu ter sur les dates, voici du moins une chose bien constante; c'est qu'aussitôt que ces dix rois paroissent, saint Jean leur fait donner leur autorité et leur puissance à la bête (2). Nous l'avouerons, disent nos interprètes, et c'est aussi où nous triomphons; car c'est là ces dix rois vassaux et sujets que l'Empire antichrétien, c'est-à-dire, l'Em

(1) Prej. légit. I. part. ch. vi. p. 126. Acc. des Proph. II. part. 27, 28. — (2) Apoc. xv11. 13.

mal expli

qués.

pire pontifical, a toujours eu sous lui pour l'adorer, et maintenir sa puissance (1). Voilà une convenance merveilleuse : mais, je vous prie, qu'ont contribué à établir l'Empire papal des rois ariens, tels qu'étoient les Visigoths et les Ostrogoths, les Bourguignons et les Vandales; ou des rois païens, tels qu'étoient alors les Français et les Saxons? Est-ce là ces dix rois vassaux de la papauté, qui ne sont au monde que pour l'adorer? Mais quand est-ce que les Vandales et les Ostrogoths ont adoré les papes? Est-ce sous Théodoric et ses successeurs, lorsque les papes vivoient sous leur tyrannie? ou sous Genséric, lorsqu'il pilla Rome avec les Vandales, et en emporta les dépouilles en Afrique? Et puisqu'on amène ici jusqu'aux Lombards, seroient-ils aussi parmi ceux qui agrandissent l'Eglise romaine, eux qui n'ont rien oublié pour l'opprimer durant tout le temps qu'ils ont subsisté, c'est-à-dire durant deux cents ans? Car qu'ont été durant tout ce temps les Alboïns, les Astulphes, et les Didiers, que des ennemis de Rome et de l'Eglise romaine? Et les Empereurs d'Orient, qui étoient en effet Empereurs romains, quoiqu'on les mette ici les derniers sous le nom de Grecs, les faut-il encore compter parmi les vassaux et les sujets du Pape, eux que saint Léon et ses successeurs, jusqu'au temps de Charlemagne, ont reconnu pour leurs souverains? Mais, dira-t-on, ces rois païens et hérétiques ont embrassé la vraie foi. Il est vrai, ils l'ont embrassée long-temps après ce démembre(1) Acc. I. part. c. xv. p. 256.

:

ment en dix royaumes. Les Français ont eu quatre rois païens les Saxons ne se sont convertis que sous saint Grégoire, cent cinquante ans après le démembrement : les Goths, qui régnoient en Espagne, se sont convertis de l'arianisme dans le même temps que fait cela à ces rois, qui, selon la prétention de nos interprètes, devoient commencer à régner en même temps que la bête, et lui donner leur puissance? D'ailleurs ne sait-on point d'autre époque pour faire entrer ces rois dans l'Empire antichrétien que celle où ils se sont faits ou chrétiens ou catholiques? Quelle heureuse destinée de cet Empire prétendu antichrétien, qu'il se compose des peuples convertis à Jésus-Christ! Mais qu'est-ce, après tout, que ces rois si heureusement convertis ont contribué à l'établissement de la puissance du Pape? Si en entrant dans l'Eglise ils en ont reconnu le premier siége qui étoit celui de Rome, ni ils ne lui ont donné cette primauté qu'il avoit très-constamment quand ils se sont convertis, ni ils n'ont reconnu dans le Pape que ce qu'y avoient reconnu les chrétiens avant eux, c'est-à-dire, le successeur de saint Pierre. Les papes, de leur côté, n'ont exercé leur autorité sur ces peuples qu'en leur enseignant la vraie foi, et en maintenant le bon ordre et la discipline et personne ne montrera que durant ce temps, ni quatre cents ans après, ils se soient mêlés d'autre chose, ni qu'ils aient rien entrepris sur le temporel : voilà ce que c'est que ces dix rois avec lesquels devoit commencer l'Empire papal.

XXXV.
Vaine ré-

ponse.

XXXVI.

Mais c'est, dit-on, qu'il en est venu dix autres à la place, et les voici avec leurs royaumes: 1. l'Allemagne, 2. la Hongrie, 3. la Pologne, 4. la Suède, 5. la France, 6. l'Angleterre, 7. l'Espagne, 8. le Portugal, 9. l'Italie, 10. l'Ecosse (1). Expliquera qui pourra pourquoi l'Ecosse paroît ici plutôt que la Bohême, pourquoi la Suède plutôt que le Danemarck ou la Norwège; pourquoi enfin le Portugal, comme séparé de l'Espagne, plutôt que Castille, Arragon, Léon, Navarre et les autres royaumes. Mais pourquoi perdre le temps à examiner ces fantaisies? Qu'on me réponde du moins: si c'étoit là ces dix royaumes qui devoient se former du débris de l'Empire romain à même temps que l'Antechrist devoit paroître, et qui lui devoient donner leur autorité et leur puissance; que fait ici la Pologne, et les autres royaumes du Nord que Rome ne connoissoit pas, et qui sans doute n'ont pas été formés de ses ruines, lorsque l'Antechrist saint Léon est venu au monde? Se moque-t-on d'écrire sérieusement de semblables rêveries? C'est en vérité, pour des gens qui ne parlent que de l'Ecriture, se jouer trop témérairement de ses oracles; et si l'on n'a rien de plus précis pour expliquer les prophéties, il vaudroit mieux en adorer l'obscurité sainte, et respecter l'avenir que Dieu a mis en sa puissance.

Il ne faut pas s'étonner si ces interprètes hardis Contrarié- se détruisent à la fin les uns les autres. Joseph tés des nou- Mède, sur le verset où saint Jean raconte que dans un grand tremblement de terre la dixième

veaux interprètes.

(1) Prej. I. part. ch. vi. p. 105.

partie de la ville tomba (1), croyoit avoir trèsbien rencontré en interprétant cette dixième partie de la nouvelle Rome antichrétienne, qui est dix fois plus petite que l'ancienne Rome. Pour parvenir à la preuve de son interprétation, il compare sérieusement l'aire de l'ancienne Rome avec celle de la nouvelle, et par une belle figure il démontre que la première est dix fois plus grande que l'autre : mais M. Jurieu son disciple. lui ôte une interprétation si mathématique. Il s'est trompé avec tous les autres, dit fièrement le nouveau prophète (2), quand par la cité dont parle saint Jean il a entendu la seule ville de Rome. Il faut tenir pour certain, poursuit-il d'un ton de maître (3), que la grande cité c'est Rome avec son Empire. Et la dixième partie de cette cité, que sera - ce? Il l'a trouvé : La France, dit-il (4), est cette dixième partie. Mais quoi ! la France tombera-t-elle ? et ce prophète augure-t-il si mal de sa patrie? Non, non : elle pourra bien être abaissée; qu'elle y prenne garde; le prophète l'en menace : mais elle ne périra pas. Ce que le Saint-Esprit veut dire ici, en disant qu'elle tombera, c'est qu'elle tombera pour le papisme (5) : au reste, elle sera plus éclatante que jamais, parce qu'elle embrassera la Réforme; et cela bientôt : et nos rois (chose que j'ai peine à répéter) vont être réformés à la calvinienne. Quelle patience n'échapperoit à ces interprétations?

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(1) Apoc. xi. 13. Med. comm. in Apoc. part. II. p. 489. (2) Acc. II. part. ch. 11, p. 194. — (3) Ibid. p. 200, 203.-(4) Ib. P. 201. - (5) Ibid.

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