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C'est ainsi que les nations ont leur amour-propre, qui n'est guère moins ridicule que celui des particuliers. Revenons aux plaisirs des Anglais, à ceux qui leur attirent le reproche de n'avoir pas perdu entièrement leur ancienne férocité.

Ils en ont que le naturel courageux des animaux du pays leur fournit, comme sont les combats de chiens, et les combats de coqs. Les chiens de ce pays sont, je crois, ce qu'il y a au monde de plus brave, et, si cela se peut dire, de moins fanfaron. Ils n'aboient, ni ne mordent personne; et se battent jusqu'à la mort contre les taureaux, contre qui on les fait battre, toujours sans aboyer et sans crier. Quelquefois on voit de ces chiens, ayant la jambe cassée, se traîner pour retourner à la charge. On assure qu'il y en eut un, du temps du roi Charles II, qui tua un lion; et que, d'expérience faite, ceux qui sont de bonne race se laissent couper les quatre jambes l'une après l'autre sans lâcher prise. Si j'osais, je dirais volontiers qu'il y a de la conformité en bien des choses entre les Anglais et leurs dogues. Les uns et les autres sont taciturnes, têtus, paresseux, ne pouvant supporter la fatigue, nullement querelleurs, mais intrépides, s'acharnant au combat, paraissant insensibles aux coups, et ne pouvant se séparer. Il y a des gens qui prétendent y trouver cette différence, que, hors d'Angleterre, les dogues

Lettres sur les Anglais et les Français.

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sont plus mauvais, et les hommes plus traitables.

Les combats de coqs sont assez divertissants; la colère et l'acharnement de ces petits animaux, et le chant de triomphe d'un coq, qui s'élève fièrement sur le corps étendu de son ennemi, ont je ne sais quoi de singulier et de risible. Ce qui rend ce spectacle moins agréable, c'est le grand nombre de parieurs, qui ne s'animent guère moins que les coqs, et font tant de bruit, qu'on croirait, à tout moment, qu'ils vont se battre eux-mêmes; mais les querelles ou les combats entre les hommes font un divertissement à part, et les spectateurs y sont plus paisibles.

On y voit les combattants commencer par s'entre-choquer de la tête comme des béliers, et de là en venir aux coups de poing. Les lois de ce jeu, comme ils l'appellent, sont de ne plus frapper, dès qu'un homme est à terre, et de lui donner du temps pour se relever; toute l'assistance a grand soin de faire observer ces lois. Ils ne se quittent point que l'un des deux ne demande quartier, et ils ne se le demandent guère, qu'ils ne soient hors d'état de jouer davantage. Ces combats sont honorables parmi les Anglais et font un spectacle très agréable, non seulement pour les hommes, mais aussi pour les femmes. On voit des mères y amener leurs fils, et des femmes y y encourager leurs maris. On a vu aussi des personnes de qualité mettre bas épée,

perruque et cravate, et en venir là, quand ils ont été insultés par de petites gens, contre qui il ne faudrait pas songer à mettre l'épée à la main. En la tirant contre qui que ce soit, on courrait risque de se faire assommer par la populace; de là vient qu'il ne se trouve pas des bretteurs à Londres. S'il y a des gens qui aiment ces sortes de combats, ils peuvent passer leur envie en se faisant gladiateurs on en voit à Londres de temps en temps; il n'y en a pas eu depuis que j'y suis, ou du moins je ne les ai

pas vus.

Je crois qu'on peut mettre l'exécution des criminels parmi les plaisirs féroces de ce peuple; ce spectacle lui revient ici toutes les six semaines régulièrement, et régulièrement il y accourt. On voit les criminels traverser la ville sur des charrettes, parés de leurs plus beaux habits, avec des gants blancs et des bouquets, si c'en est la saison; ceux qui se laissent pendre gaiement, ou du moins qui ne font paraître aucune crainte, font dire d'eux, qu'ils sont morts en gentilshommes; et c'est pour mériter cet éloge que la plupart meurent comme des bêtes, sans marquer aucun sentiment, ou, comme des fous, ne pensant qu'à divertir les spectateurs. Un de ces malheureux, étant arrivé au lieu du supplice, demanda à parler à quelques-uns de ses voisins qu'il voyait dans la foule. On les fit approcher, et il leur dit qu'il ne voulait pas mourir sans leur demander

pardon d'une grande offense qu'il leur avait faite. Ils lui répondirent, qu'ils lui pardonnaient volontiers, mais qu'ils ne savaient ce que ce pouvait être. Le voleur se fit presser pour le dire, et enfin il déclara qu'il avait couché avec leurs femmes, dont il était bien fâché. Un autre dernièrement fit arrêter la charrette devant le logis d'un cabaretier, et lui demanda s'il n'avait pas perdu une aiguière d'argent; le cabaretier répondit qu'oui, qu'elle lui avait été volée il n'y avait que peu de temps. Faites-nous boire, dit le voleur, et je vous en apprendrai des nouvelles. L'autre, ravi, se hâte de le régaler, et le voleur régale aussi ses camarades; et puis, avant que de faire partir la charrette, il dit tranquillement au cabaretier: c'est moi qui vous ai pris votre aiguière; à mon retour je vous la rendrai. On en a vu mettre leurs gants blancs dans la poche pendant la marche, afin que la pluie ne les gâtât pas, et qu'ils pussent les mettre blancs quand ils seraient venus au gibet. Il se fait peu d'exécutions où il n'arrive quelque chose de semblable, et où il n'y ait cinq ou six voleurs d'ennoblis en éloges. Au fond, il y a en tout cela quelque chose d'assez triste; mais on est pourtant tenté de rire, en voyant ces coquins faire les héros, par ce mépris de la mort, qu'ils affectent.

Une preuve d'insensibilité, plus forte et plus certaine que toutes ces bravades, c'est le peu d'altération qui paraît sur le visage de quelques

uns d'entre eux. On n'y remarque ni crainte, ni pâleur; il ne faut pas moins que toute leur parure, ou la corde au col, pour les distinguer et les faire connaître. J'ai songé quelquefois, d'où leur pouvait venir cette insensibilité, qui me paraît une chose tout à fait singulière; mais je n'ai jamais pu me contenter là-dessus. Je crois bien que les exécutions fréquentes, le nombre de gens qui meurent de compagnie, et les applaudissements des spectateurs, y font quelque chose; le brandevin, qu'ils ont soin d'avaler avant que de se mettre en marche, peut aussi contribuer à les étourdir; mais tout cela ne suffirait pas chez d'autres peuples, et il faut qu'il y ait chez celui-ci quelques raisons plus fortes, et qui vont au tempérament. Une circonstance, qu'on m'assure être assez ordinaire, et qui a quelque chose de singulier, c'est que lorsque les criminels sont pendus, leurs parents ou amis, vont quelquefois les tirer par les pieds, pour les achever et les empêcher de languir.

Au reste, vous saurez que les Anglais se donnent la mort aussi facilement qu'ils la reçoivent: il n'est point rare d'entendre parler ici de personnes de l'un et de l'autre sexe qui se dépêchent, comme ils disent, le plus souvent pour des raisons qui nous paraîtraient une bagatelle: les hommes, peut-être, pour la cruauté ou l'infidélité de quelques belles, et les femmes pour l'indifférence des hommes. L'année passée, en

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