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VISITE

A L'EXPOSITION MEXICAINE

(Extrait des Comptes rendus

du Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques qui s'est réuni en 1867 à Paris, pp. 230-236.)

En quittant le musée d'artillerie, un grand nombre de membre du Congrès se sont rendus au ministère de l'instruction publique, afin d'y examiner les collections d'antiquités mexicaines, que M. le ministre a fait exposer dans une salle spéciale, avec les collections de minéralogie, d'histoire naturelle et d'ethnographie qui ont été rapportées par les savants attachés à la commission scientifique du Mexique, instituée par un décret de l'empereur en date du 27 février 1864. Quatre des membres de cette commission, MM. de Quatrefages, A. de Longpérier, A. Maury, et C. Daly font partie du Congrès.

M. Duruy, informé de la visite faite à la galerie créée par ses soins, y est venu accompagné de M. Charles Robert, secrétaire général du ministère, et a adressé aux membres du Congrès les paroles les plus sympathiques et les plus encourageantes, montrant toute l'importance qu'en sa qualité d'historien éprouvé, il attache à des études qui doivent reculer de tant de siècles les bornes assignées jusqu'ici aux annales des peuples.

M. A. de Longpérier, qui a classé la partie archéologique des collections mexicaines, donne à ses collègues du Congrès des explications détaillées au sujet des monuments qu'ils ont sous les yeux.

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Ces monuments proviennent de trois sources différentes. La majorité, dont l'envoi est dû à l'infatigable zèle de M. le général d'Outrelaine, appartient à M. Boban, Français résidant à Mexico. Une belle série de terres-cuites est la propriété d'un savant voyageur, M. Lucien Biart; quelques objets précieux ont été rapportés par M. Ed. Guillemin, ingénieur des mines. On remarque tout d'abord les armes et ustensiles de pierre qui offrent tant d'analogie avec ceux qui ont été recueillis en Europe; les haches, couteaux et flèches d'obsidienne et de sardoine opaque blanche ou brune, exécutés par les procédés en usage chez les Scandinaves, attirent particulièrement l'attention. Les Mexicains se sont servis fort tard de ces armes, alors que depuis longtemps ils employaient les métaux. Mais, outre que des raisons d'économie ont dû, comme cela a encore lieu aujourd'hui au Japon, les porter à utiliser la pierre, les rites. de leur religion étaient pour eux un motif déterminant. C'était en effet, à l'aide d'un tecpatl, ou couteau de pierre, que, dans les grands sacrifices humains, les prêtres ouvraient la poitrine des victimes. C'est ainsi que, chez les Égyptiens, les gens chargés d'embaumer les morts pratiquaient au flanc du cadavre, à l'aide d'une pierre tranchante, une incision par laquelle étaient extraits les entrailles et les viscères, et que, chez les Juifs, on procédait à la circoncision au moyen d'un couteau de pierre, conformément à l'ordre donné par le Seigneur à Josué (Jos. V, 2).

Les grattoirs et les couteaux d'obsidienne (v. p. 330) si semblables, pour la forme, à ceux de silex que nous recueillons en Europe, les nuclei (v. p. 330) dont ils ont été détachés, sont de nature à nous intéresser vivement. Il faut dire, toutefois, que parmi les pièces d'obsidienne qui offrent un rapport marqué avec nos grattoirs de l'âge de la pierre, il en est qui ont été employées pour former l'arme redoutable nommée micuahuitl, qui se composait d'une tige de bois, dans laquelle étaient incrustées deux rangées latérales de pierres coupantes. Les peintures des manuscrits nous fournissent de fréquentes représentations de cette arme, dont M. Boban a envoyé un modèle restitué. Les

marteaux-haches ressemblent surtout à ceux qu'on retrouve en grand nombre dans les contrées scandinaves.

Les fuseaux (malacatl) ont une forme identique à celle de ces mêmes ustensiles qui ont été découverts soit dans les tombes étrusques, soit dans les stations lacustres.

La collection de M. Boban est fort riche en images religieuses; vingt-quatre figures de pierre de grandes dimensions,

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Nucléus en obsidienne, et lame ou couteau détaché d'un nucléus analogue. (Mexique.)

un nombre considérable de terres-cuites peuvent nous donner une idée assez complète du panthéon de l'Anahuac. On reconnaît parmi elles la représentation du dieu Quetzalcohuatl, sous la forme d'un serpent à plumes, roulé en spirale; celle de Tocozintli ou déesse de l'abondance, caractérisée par des vases remplis de maïs, qu'elle porte dans chacune de ses mains. Au sommet d'un téocalli, on voit Huitzilopotchtli, ce dieu de la guerre dont le nom est devenu célèbre en Europe même sous la forme corrompue de Vizlipuzli. Les téocalli (téotl, dieu calli, demeure) sont de grandes pyramides tronquées avec des

degrés disposés en perron, sur une seule de leurs faces. Au sommet était un temple, devant lequel se trouvait le techcatl, pierre-autel des sacrifices, sur laquelle étaient immolées les victimes humaines. De petits modèles antiques de terre cuite nous font voir tous ces détails. Les téocalli mexicains different des grandes pyramides funéraires égyptiennes autant par la forme que par leur destination. Ceux qui ont voulu assimiler ces monuments ont prouvé qu'ils n'avaient étudié ni les uns ni les autres.

La collection Boban, outre le tecpatl ixquamac ou couteau de sacrifice, dont il a déjà été parlé, renferme encore un témalacatl ou collier de basalte vert en forme de fer à cheval qu'on plaçait sur le cou de la victime pour prévenir ses mouvements au moment où on lui donnait la mort, en lui arrachant le cœur. On doit probablement encore rattacher aux objets du culte, un immense simulacre de hache taillé dans un bloc d'obsidienne (50 cent. de long) et trouvé aux environs de San Juan de Téotihuacan.

Au sujet d'un autre grand morceau d'obsidienne de farme quadrilatérale, sur lequel est finement sculpté un roseau muni de ses feuilles et accompagné de neuf petits disques, les membres du Congrès ayant exprimé le désir de connaître le système de notation chronologique auquel se rattache ce bas-relief, M. A. de Longpérier fait l'exposé sommaire qui suit:

Les anciens Mexicains avaient une année de trois cent soixante-cinq jours, divisée en dix-huit mois de vingt jours. Le temps chez eux était réparti en grandes périodes de cinquante-deux ans (xiuhmolpilli), qui elles-mêmes étaient subdivisées en quatre périodes de treize années (tlalpilli), ayant chacune pour symboles quatre figures accompagnées d'un à treize points ou petits disques. Ces figures étaient, dans l'ordre donné par les Toltèques, le couteau de pierre (tecpatl,, la maison (calli), le lapin (tochtli) et le roseau (acatl). Les Aztèques commençaient par l'année du lapin, sans changer pour cela l'ordre relatif des signes. Ils comptaient ainsi : 1 tochtli,

2 acatl, 3 tecpatl, 4 calli, 5 tochtli, 6 acatl, 7 tecpatl, etc., jusqu'à treize.

On voit que ce système de notation offrait la plus grande analogie avec celui de nos indictions. Lorsqu'on trouve une combinaison comme celle du 9 acatl, qui est sculptée sur l'ob

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sidienne de la collection Boban, et isolée de toute autre indication, il est fort difficile de savoir à quel siècle de notre ère il faut la rapporter. Les manuscrits mexicains nous montrant, par exemple, qu'une année 9 acatl correspond à l'année 1267 de J.-C., on peut avoir à opter entre une série de dates distantes de celle-ci de cinquante-deux en cinquante-deux années, telles que 1319, 1371, 1423, 1475, 1527; c'est-à-dire s'étendant depuis la fondation de Ténochtitlan (Mexico), jusqu'à l'arrivée des Espagnols.

Les Mexicains n'ont pas été de très habiles artistes; l'idée du beau, telle qu'elle a existé dans l'Occident, paraît être demeurée étrangère à leur conception, cependant l'observation de la nature les a parfois amenés à reproduire le visage humain avec une grande réalité et une perfection relative qui

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