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Ad. Comment done? Le Ch. (d'un ton de reproche Le Ch. Elle n'a pas l'air de nous Oui! vous venez à une belle heure rien commander, mais elle sait pour goûter! il y a déjà-une denous faire vouloir tout ce qu'elle mi-heure que je vous attends; et veut ; et voilà comme il fallait me sans ma sœur, ma foi! j'aurais fait prendre! Sans cela, vif et bouillant une bonne brèche à ce pot de concomme je suis, j'aurais fort bien fitures. pu être un petit mutin et un entêté. Ad.

Tais-toi donc, chevalier. Ad. Ta franchise me ravit. (A Sophie) Ne lui en veux pas, Le Ch. Mais un petit moment; Sophie; c'est par bon cœur qu'il ne perdons pas la tête. J'ai bien te gronde.

voulu avoir pour toi la complaisance Sophie. J'en suis bien persuad'attendre Sophie: elle ne vient dée ! mais je n'ai pu venir plutôt; pas! Je vais faire danser le pot de je vous en fais bien mes excuses. confitures. (Il court à la table.) Ad. Que tu es bonne, avec tes Ad. Et Sophie n'en aura donc excuses! N'est-il pas bien malade pas? de goûter une demi-heure plus Le Ch. Si fait! mange de ce tard? côté, moi de celui-ci, nous lui lai- Le Ch. Bien malade! nonsserons celui-là pour sa part; et simais, écoutez done; il y a des moelle ne vient pas, nous le partage-mens où mon estomac n'est pas si rons encore comme frère et sœur. raisonnable que mon cœur. Ad. Tu veux donc que Sophie Soph. C'est réparer bien joliait l'air d'avoir notre reste! ment votre petit moment d'humeur.

Le Ch. (revenant.) Comment! Ad. Mais oui; cela serait-il honnête et délicat?

Ad. Oh! mon frère a le cœur excellent!

Le Ch. (comme malgré lui) Non Le Ch. Allons! avec vos compli(avec impatience) Qu'elle vienne mens, n'allez-vous pas encore me done! car elle met ma politesse à faire attendre une seconde demiune épreuve trop forte et trop lon-heure? Goûtons, et si vous vougue! (Il se retourne et voit arri-lez faire mon éloge, j'aurai du ver Sophie.) Ah! grâce au Ciel, moins la patience et le courage de la voici! Découvrons le pot! Voi-l'entendre.

là ton petit pain. (Il le met à droite) Ad. Chevalier! si tu m'aimes, Voilà le sien. (Il le met à gauche) encore un petit moment.

Voilà le mien. (Il le met devant Le Ch. (la contrefesant) Enlui.) Que tout soit prêt à la rece-core ! Chevalier si tu m'aimes!

voir. (Adélaïde va au devant de Pour un homme, comme je suis Sophie.) Bon! voilà le goûter faible! Allons! j'attends-ne vous sous les armes ! Quel assaut je gênez pas. Mais permettez que vais lui donner!

SCÈNE III.

Adélaïde, Sophie, Le Chevalier.

Ad. Ah! te voilà, ma bonne amie!

je m'éloigne un peu d'ici, la tentation serait un peu trop forte; et je ne pourrais peut-être la faire cesser qu'en y succombant. (Il passe du côté opposé de la table où est le goûler.)

Ad. Pourquoi viens-tu si tard ? Tu savais que j'attendais.

pas.

Soph. Ma mère ne le voulait Soph. Il a l'air bien malheu

Le Ch. C'est son caprice, sans

doute qui lui avait repris.

Soph. Elle est jalouse de la ré

putation de madame de Saint-Fir

min.

reux !

Ad. Et bien intéressant!

SCENE IV.

Le Ch. De la réputation de ma- Les précédens, un jeune Paysan.

man!

Soph. Oui.

Le Pay. Ah! mon cher mon

Le Ch. Eh bien, qu'elle s'occupe sieur! mes belles demoiselles ! de votre éducation, et elle n'aura plus lieu d'être jalouse.

Ad (d'un ton imposant) Mon frère.

Le Ch. Je vous entends, je ne dis plus mot; cependant je dis la vérité.

Le Ch.
Qu'as-tu ?

Qu'est-ce que c'est?

Le Pay. Ayez pitié de moi. ayez pitié de ma pauvre mère ! Ad. Qu'a-t-elle, ta mère ?

Le Pay. Hélas! ni elle, ni un petit frère, qui n'a qu'une semaine, Soph. Hélas! que trop. Honteuse ni moi, nous n'avons rien mangé d'entendre dire à tout le monde depuis trois jours.

qu'elle était bien heureuse d'avoir Ad. O Ciel!

madame de Saint-Firmin pour Soph. Rien mangé depuis trois m'élever, et qu'elle ferait bien jours!

mieux de s'occuper de moi que de ses plaisirs, elle m'avait défendu de revenir ici.

Le Pay. Hélas! non.

Le Ch. (lui serrant la main) Tu dois avoir bien faim.

Le Pay. Je vous en réponds.

Le Ch. Je ne lui croyais que des caprices, elle a donc aussi des Mais si ma mère avait quelque chose à manger, il me semble que

vices!

valier, je vous en conjure.

Et

Soph. Ménagez ma mère, che-ma faim en serait moindre. J'ai mon petit frère! il pleure toute la demandé que rien ne fut dérangé, journée, et puis encore toute la nuit. tant que nous serions à la campagne, et je l'ai enfin obtenu.

Ad. Ah! J'en suis enchantée. Le Ch. Et moi aussi. Vous avez fini votre conversation; mmençons notre goûter.

CO

Ad. Tu es donc tout seul avec

ta mère ?

Le Pay. Oui.

Soph. Et ton père où est-il ? Le Pay. Il est mort, il y a quinze jours: ma mère en a eu bien du

Ad. (ils se rangent autour de la chagrin. Elle a tout dépensé pour table) Volontiers. Il y a assez l'empêcher de mourir et nous long-temps que tu as la complai- sommes tout-à-fait pauvres mainsance de nous attendre. Mais que tenant.

nous veut cet enfant? Il s'arrête Le Ch. Et personne ne vous a devant la grille. va, chevalier, va secourus? la lui ouvrir.

Le Ch. J'y cours (il revient ses pas) mais ne mangez sans moi.

Le Pay. Personne. A la mort de sur mon père, il y a bien une dame qui pas nous a dit qu'elle viendrait nous voir: mais nous ne l'avons pas encore vue.

Ad. Pourquoi ne pas venir ic Le Ch. Mais si tu ne manges tout de suite? pas, les forces te manqueront. Le Pay. Nous attendions tou-]] Le Pay. Oh! que non: je vais jours cette dame; en l'attendant, lui faire plaisir, et cela me donnera j'avais faim; bientôt je n'ai plus eu des forces.

la force de marcher; mais voyant Le Ch. Fais donc comme tu vouma mère malade, cela m'a donné dras. Prends tout (il lui met les du courage, et je suis venu jus-petits pains dans la poche, et lun qu'ici. donne le pot de confitures); va

Le Ch. Ma sour! as-tu de l'ar-vite, et reviens tout de suite; magent? man te donnera quelque chose de Ad. Non. mieux.

Le Pay. Oh! que je suis aise !

Le Pay. Ce n'est point de l'argent qu'il nous faudrait, c'est du Ma pauvre mère; elle ne mourra pain. point! Grand merci, monsieur Le Ch. Allons! c'est décidé; Que je vous embrasse! Sans adieu, je ne goûterai pas-Voilà un goû- monsieur. ter qui a bien du malheur ! Eh bien, ma sœur !

Ad. Eh bien, chevalier!

Le Ch. Que faire ?

Ad. Décide; tu en es le maître. Le Ch. Si j'étais sûr que maman nous donnât autre chose pour goûter!

[Il sort en courant.

SCÈNE V.

Le Chevalier, Sophie, Adélaïde.

Le Ch, (il regarde tristement le petit paysan qui emporte les confiAd. N'y comptons pas: elle ne tures) Avec tout cela voilà mon nous rend jamais ce que nous do-goûter qui s'en va. nnons, pour nous accoutumer à être généreux sans intérêt.

Ad. Tu le regrettes ?

Le Ch. Le Ciel m'en préserve! Le Ch. Je le sais bien, et voilà Allons, puisque voilà notre goûter ce qui me chagrine! (Regardant fini plutôt que je ne croyais, renles confitures) Quel dommage! trons: vous viendrez avec nous, Ces confitures ont si bonne mine! Sophie?

J'ai si bon appétit! (Avec gaieté) Soph. Avec bien du plaisir. Eh bien, n'importe; j'en souperai Le Ch. Mais attendez donc: mieux ce soir. Ma soeur! Sophie! voilà un vieux militaire qui nous Vous m'entendez? y consentez-salue! (Il lui rend son salut.) Il faut que je lui demande des nouvelles de la guerre. Dès que je

vous ?

Ad. De tout mon cœur.

Soph. Vous prévenez mes dé-vois un soldat, je tressaille de joie.

sirs!

Le Ch. (courant à la table, et prenant son petit pain) Tiens, mon ami, voilà mon petit pain, mange; va prendre des confitures; tu porteras le reste à ta mère.

Le Pay. Et pendant que je mangerai, ma mère aura faim.

SCÈNE VI.

Les précédens, un vieux Soldat.

Le Ch. Vous me paraissez bien fatigué, monsieur ! Voulez-vous

vous donner la peine d'entrer? vous et j'aurais bien voulu le faire envous reposerez. core cette dernière fois-ci; mais

Le Sold. Je le veux bien, mon c'était impossible! Ces diables de jeune gentilhomme. boulets, cela vous emporte un Le Ch. D'où venez-vous comme homme sans dire Gare! Mais il est cela? mort en brave homme, et cela me

Lo Sold. De larmée. La paix console. est faite; j'ai mon congé et les invalides, et je vais à Paris.

Le Ch. Que je suis content de vous avoir arrêté! Vous viendrez

Le Ch. Comment vous appelez-voir maman; vous lui parlerez de votre colonel; elle vous aimera;

vous ?

Le Sold. Je m'appelle Vadebon-nous vous aimerons aussi. cœur, et je n'ai jamais démenti mon

nom.

Le Ch. Dans quel régiment serviez-vous ?

Le Sold. Et je vous rendrai bien la pareille.

Le Ch. Et qu'allez-vous faire aux invalides de Paris?

Le Sold. Dans le régiment du Le Sold. Me reposer; c'est le plus sage capitaine, du plus brave dernier asile des braves soldats. soldat, et du meilleur des hommes : Quand ils vont se battre, ou mondans le régiment de monsieur le ter à l'assaut, ils se disent les uns Marquis de Saint-Firmin. aux autres: "Amis, fesons notre Le Ch. (surpris) Dans le ré-devoir en braves gens ! Si nous giment de mon père! Eh! oui! mourons, nous mourrerons pour vraiment! C'est le même uni- notre roi; si nous ne sommes que forme. blessés, sa bonté paternelle nous réserve une retraite.

Le Sold. (avec transport) Quoi,
vous êtes le fils de mon colonel?
Le Ch. Oui, et voilà ma sœur.
Le Sold. Que je suis enchanté

Le Ch. Il me vient une bonne

idée.

Le Sold. Quelle est-elle ?

Le Ch. Voudriez-vous demeurer

de vous voir! mon ami, vous aviez
un bien brave homme de père; il avec moi?

faut lui ressembler. Il aimait le Le Sold. Avec vous, mon gensoldat, et le soldat l'adorait. J'étais tilhomme ?

à la première file des grenadiers, Le Ch. Oui. Je n'ai point endans le combat où il fut tué. J'étais core de gouverneur ; je proposerai à ses côtés. Le même boulet qui à maman de vous prendre. La maile renversa, m'emporta le bras son de votre colonel sera votre regauche. Je n'en sentis rien; je ne traite; vous éleverez son fils, vous vis que la mort de mon colonel. Je le rendres digne de son père; vous l'aimais de tout mon cœur. Il m'apprendrez l'exercice, et tout ce m'aimait aussi. (Gaiement) A-qu'il convient à un soldat de faire. llons, mon gentilhomme, il faut se Si, par hasard, je ne fais point adépêcher de grandir, et aller vitessez de progrès, vous me direz: reprendre sa place. Jeune homme! votre père fesait

Le Ch. Quoi vous êtes ce brave ceci, il pensait comme cela; votre grenadier, ce Vadeboncœur, dont père ne serait pas content;" et ce mon père nous a si souvent parlé, nom, répété par un de ses soldats, qui lui avez une fois sauvé la vie? sera pour moi l'aiguillon de la gloire Le Sold. Oui, j'ai eu ce bonheur, et de l'honneur. VOL. I. Le Lecteur Français.

C

Le Sold. J'y consens; toute ma Le Pay. Cette dame a paru; une vie, je serai utile à ma patrie. J'ai maladie l'avait empêchée de venir vécu vingt-cinq ans sous les dra-plutôt. Ma mère lui a raconté peaux, et dans les loisirs de ma vi-bien vite le besoin où elle avait eté; eillesse, je formerai un soldat. moi, j'ai ajouté que vous alliez goùLe Ch. Allons, maman sera con-ter, que vous aviez grand faim, et tente, cette fois. Nous allons lui que vous vous étiez tous trois pridonner à faire un acte bien doux vés pour nous de votre goûter.~ A à son cœur, un acte de reconnai-ce discours la dame a pleuré de

ssance.

(Ils sont prêts à sortir.) SCÈNE VII, et dernière.

Les précédens, un jeune Paysan. Le Pay. (revient en courant, et les arrête) Monsieur, monsieur, attendez-moi donc.

Ad. Ah! te voici, mon ami! Soph.! Eh! bien, ta mère? mment se porte-t-elle ?

joie, et pour vous dédommager de votre pot de confitures, elle m'a dit de vous apporter ce gâteau de biscuit; j'ai pris mes jambes à mon ce goûter vous faire autant de bien cou, et me voici. Mangez; puisse que le vôtre nous en a fait !

Le Ch. Et quelle est cette dame? Le Pay. Je ne la connais pas ; mais elle vous connaît bien: car co-elle vous a appelés ses chers enfans. Ad. Serait-ce maman?

Le Pay. Oh! maintenant elle se porte à ravir.

Le Ch. Lui as-tu donné?

Le Ch. En pourrais-tu douter? Le Sold. Le Ciel vous devait cette petite récompense. Allons, Le Pay. Oh! oui, tout. Elle a mon gentilhomme: il paraît que je mangé avec un appétit! Et moi n'aurai pas de peine à faire de vous de même, voyez-vous; dans un mo-un bon soldat, un brave officier, et ment tout a disparu. C'est qu'e-Jun honnête homme: car tout cela lles étaient si bonnes, les confitures! va de front.

Et les petits pains! ils étaient si Le Ch. Il se fait tard, rentrons;

tendres!

Le Ch (gaiement) C'est de notre goûter qu'il parle !

Le Pay. Ma mère est revenue vue d'œil et moi de même.

Le Ch. Tant mieux! J'en suis ravi. Mais qu'est-ce que tu portes là?

Le Pay. Attendez, attendez; je vais vous le dire. Vous vous souvenez bien que je vous ai parlé d'une dame qui nous avait promis de venir nous voir ?

Le Ch. Eh bien?

Le Pay. Comme nous achevions de manger les confitures et les petits pains

Le Ch (avec impatience) Bon! après, après!

nous goûterons plus à notre aise. (Au pelit Paysan) Toi, mon ami, viens avec nous: il est bien juste à que tu prennes ta part du plaisir bien ne pas gouter aujourd'hui ! que tu nous procures. Je comptais

Le Sold. Cela doit vous convaincre, mes bons enfans, qu'un bienfait n'est jamais perdu.

Le Ch. (au public) Messieurs!

Si par ce trait de bienfesance,
Votre cœur est intéressé,

Et rend grâce à votre indulgence.
S'il nous a montrés généreux,
Touchés des cris des malheurenx,

L'auteur se croit récompense,

Ses crayons ne sont que fidèles;
C'est parmi vos enfans qu'il a prisses
modèles.

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