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franchement vous les portez à un Vict. (après avoir lu quelques prix-au-delà de leur valeur. lignes) Ah! Ciel! tout est perdu ! Mde. Fon. (d'un air dédaigneux) Elle se jelle sur un canapé, la Au-delà de leur valeur! des den-tête penchée sur ses mains, dans telles comme celles-là ! Vous êtes l'attitude de la douleur la plus connaisseuse, à ce qu'il me paraît. profonde.)

Au-delà de leur valeur! Est-ce Jul. Eh bien! la folle! voyez qu'on veut voler le monde ? Est-donc le bel état! Maudit amour ce qu'on n'a pas un honneur àdu luxe! Je n'aurais jamais cru garder? (Elle fait mine de s'en qu'elle se fût affligée à ce point-là. aller.) Mde. Fon. Voilà les cent mille

Vict. (l'arrêtant) Et mon Dieu ? écus à-vau-l'eau; allons-nous-en. laissez-la dire: c'est à moi seule (Elle s'esquive.)

que vous avez affaire. (A Julie)

Ma sœur, je vous avais price de nous laisser tranquilles.

Mde. Fon. Mais, mademoiselle,

je songe que je ne puis m'en tirer honnêtement, qu'en les laissant à

SCENE IX. et dernière.

Julie, Victorine.

Vict. (pleurant) Ah! ma chère

quatre louis et demi. Oui, à ce soeur! me voilà perdue, ruinée, prix-là, je puis, en conscience, anéantie! Comment cela s'est-il vous les donner à crédit-pour pu faire? quelques jours.

SCÈNE VII.

Julie, Victorine, Madame Fontange, un Facteur.

Jul, Rien de plus simple: le vaisseau a fait naufrage à la vue du port, et la mer a englouti notre fortune.

Le Fact. A mademoiselle mont, l'aînée; dix-huit sous. Jul. (prenant la lettre) De moi, l'Orient: voilà des nouvelles sûre-c'est ment, je reconnais l'écriture de Ah! notre correspondant. (Au facteur, pas. en le payant) Tenez, mon ami. (Le facleur s'en va).

SCENE VIII.
SCÈNE

Vict. Comme tu contes cela tranquillement ! Ah! Ciel! après un coup pareil, conserver son sangVal-froid! Mais tu as raison, tu ne seras jamais embarrassée. C'est malheureuse que je suis! moi seule que ceci regarde. mon Dieu ! je n'y survivrai (Ses pleurs redoublent.) Jul. Eh bien! eh bien! tu ne deviendras donc jamais sage? Allons, ma chère sœur, allons, sache au moins profiter de ce malheur, qu'il serve à te corriger pour l'avenir. Console-toi, tu n'es pas plus à plaindre que moi; nous vivrons ensemble tant que tu voudras; notre fortune, toute médiocre qu'elle est, peut suffire, avec de ma l'économie, pour nous tirer ho

Julie, Victorine, Mde. Fontange.

Julie parcourt la lettre. Victorine

la lui prend avec vivacité.

Vict. Donne que je la lise,

sœur.

Jul. (tristement) Tiens, va, l'avais presque prévu.

nnêtement d'affaire l'une et l'autre ; je je ne te demande que de déposer les grands me, its que de déposet tes grands airs; ils ne conviennent

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point à notre état. Voilà un petit (Victorine, ne trouvant point mémoire de dépenses qui est le d'expressions pour remercier comble de la folie; je crois bien sœur, se jette à son cou, et l'emque tu n'y songes plus. (Elle donne brasse, les larmes aux yeux.) le mémoire à Victorine, qui le dé- Jul. Que ceci, ma bonne amie, chire sans le regarder.) Du reste, te serve de leçon. Deviens plus je te dispense de me seconder dans sage, et je suis contente. Souviensmes travaux, ce serait trop exiger, toi toujours du proverbe dont tu tu n'y es pas encore accoutumée ; justifies la vérité ;

je me contenterai de tes efforts, quand tu voudras me les donner.

L'homme propose, et Dieu dispose.

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Le théâtre représente une chambre des plus délabrées; on y voit quelques vieux meubles usés, un chevalet dressé, sur lequel est un tableau commencé, auprès, une table à écrire, &c. Dans le fond est une couchette, sur laquelle est un enfant endormi; elle est couverte d'une mauvaise tapisserie.

L'action commence sur les trois heures après-midi.

SCENE I

du coton. La lassitude le force par momens d'interrompre son

Madame Dormel, Sophie, le petit travail qu'il reprend ensuite avec

Dormel.

Madame Dormel file au grand rouet sur le devant du théâtre; son fils est à côté d'elle, et carde

vivacité. Sa mère jette sur lui de temps à autre des regards de pitie. Sophie tricole auprès de la couchette où est l'enfant; elle est

placée vis-à-vis de la porte, vers son commerce. Mais Dieu! quel laquelle ses regards se tournent commerce! Combien la pauvreté, fréquemment, d'un air triste et toute affreuse qu'elle est, lui est inquiet. préférable! Votre père a refusé ; Soph. (lève un peu la tapisserie pouvait-il faire autrement? L'inqui couvre la couchette) (à part) digence la plus cruelle a été le prix Etre à jeun depuis hier à sept de son vertueux désintéressement. heures, et dormir! Il est bien L'autre a fait fortune, mais aux dépens de l'honneur: votre père a Mde. Dor. Dort-il, Sophie? perdu son ami, il en a été mécoSoph. Oui, ma chère mère. nnu. C'est par une grâce singuliMde. Dor. Puisse-t-il dormir, en-ère qu'il veut bien l'employer, core long-temps ! le pauvre malheu-acheter au prix le plus modique le reux! Que je crains son réveil ! fruit de ses veilles. Ah! Sophie! Où est allé votre père? ces sortes de gens sont le fléau de

heureux !

Soph. Il a dit qu'il allait deman-l'humanité. der quelque à compte sur ces de- Soph. Est-il possible? Quoi! ssus de porte qu'il a entrepris. riche et sans pitié pour les pauvres,

ma

Mde. Dor. Quoi! il n'est pas après avoir soi-même éprouvé les de retour depuis neuf heures qu'il horreurs du besoin! Je vous avoue est parti! Que deviendrons-nous que je ne puis le comprendre. si sa course est inutile? Mde. Dor. Tant mieux, Soph. Cela n'est pas à craindre: fille; toutes tes pensées sont hoqui pourrait être insensible à notre nnêtes et vertueuses: puisse leur infortune? aimable pureté ne jamais s'altérer! Mde. Dor. Ah! ma pauvre So-|(Il se fait un instant de silence, phie, que tu connais peu les ho-après lequel on entend sonner trois mmes! Qu'est-ce, sur la terre, qu'un heures.) malheureux artisan, un homme du Le petit Dor. (interrompant son petit peuple? ouvrage) Maman, voilà trois heures Soph. Mais enfin, c'est son bien qui sonnent; est-ce que nous ne qu'il va demander, c'est le fruit de dinons pas aujourd'hui ? Mde. Dor. (sévèrement) DorMde Dor. Cela est vrai, mon mel, qu'entendez-vous par-là?enfant mais ses ouvrages ne sont Votre père et votre frère sont sorpas encore finis, et il faut qu'ils le tis: est-ce que vous prétendriez soient pour qu'il puisse en exiger dîner sans eux ?

son travail.

le payement.

Le petit Dor. Oh! non, maman. Soph. Celui auquel il s'adresse Mais ils ont peut-être diné ;est riche, et ne risque d'ailleurs nous ne savons pas où ils sont arien, l'ouvrage est si avancé.

llés enfin.

Mde. Dor. Pauvres raisons.- Mde. Dor. Eh bien! dans cette Les plus riches sont les plus impi-incertitude, dineriez-vous trantoyables. Et puis celui à qui il alquillement? affaire est un homme de rien, que Le petit Dor. Oh! non, maman. j'ai vu dans la dernière indigence, Mais c'est qu'il est bien tardaussi pauvre que nous le sommes. et il pourrait se faire que— Il était alors notre égal, l'ami de Mde. Dor. Taisez-vous. votre père; il a voulu l'associer à sont à jeun aussi bien que vous.

Ils

D'ailleurs, ne voyez-vous pas que des sentimens si dignes de son j'attends, moi; votre sœur en fait éducation nous abandonner en de autant, et votre petit frère. N'êtes- pareilles circonstances! Lorsque vous pas plus en état que lui de nous avons le plus desoin de son supporter le besoin? Il ne se plaint secours! Je ne m'y serais jamais pas, cependant. attendue.

Le petit Dor. Oui, maman. Soph. Que cela ne vous afflige mais---c'est que---j'ai bien faim. point, ma mère: c'est sûrement (Il dil ces dernières paroles en pour un bon dessein qu'il est sorti. pleurant de toutes ses forces.) Je connais l'excellence de son

Mde. Dor. (allant à lui les lar- cœur: je sais combien il est pénémes aux yeux) Mon enfant, montré de notre situation; il est allé cher enfant, calme-toi. Allons, un chercher quelques moyens d'y porpeu de patience; ton père va ren-ter remède, et seconder les efforts trer, il nous apportera de quoi de mon père.

dîner. Crois que je souffre autant Mad. Dor. Sans appui, sans seque toi de ta peine.

cours, sans connaissances, hélas !

Le petit Dor. (l'embrasse en e-que fera-t-il? ssuyani ses larmes) Oh! non, ma- Soph. Nos besoins le rendront man, ne souffrez pas; car je puis industrieux---il me paraissait au souffrir bien davantage, moi. Te- désespoir.

nez, je ne pleure d'abord plus; Mde. Dor Que me dis-tu là! voilà qui est fini. Et quant au Ah! Sophie, ah! ma chère fille ! dîner, ne puis-je pas bien m'en s'il allait se déshonorer; c'est ce passer comme vous? que je me coup-là qui me serait mortel! On veux de mal d'avoir pleuré! mais supporte tous les maux, mais l'inc'est malgré moi. Je m'en vais famie--

travailler si fort, qu'il faudra bien Soph. Ne craignez rien, je coque j'oublie que j'ai faim. (Il se nnais mon frère.

remel à l'ouvrage, et travaille avec

plus d'ardeur.)

Mde. Dor. (reprend son ou

SCÈNE II.

vrage) (A part) Mon malheur Le Marquis Dorival, Dubois, Maest-il assez grand? Ah! Ciel! dame Dormel, Sophic, le petit comment puis-je le supporter?

Soph. Mon père ne revient point: s'il lui était arrivé quelque Le malheur !

Dormel.

Marquis et Dubois entrent brusquement: le premier est vêtu magnifiquement.

Dubois. C'est ici, monsieur, que

Mde. Dor. Je devine ce qui en est: on l'aura refusé, et il ne peut se déterminer à reparaitre ici les mains vides. Mais c'est votre je l'ai vue entrer. frère---c'est Dormel qui me sur

Borti?

Le Marquis. En es-tu bien

prend! A quelle heure est-il sûr? (Appercevant Sophie) Effectivement je crois que la voilà. (1) Soph. Dès le point du jour, à s'approche d'elle familierement) quatre heures du matin. C'est vous la belle enfant! Eh

Â

Mde. Dor. Qui l'aurait cru? bien! allez-vous encore faire ia Lui en qui j'avais toujours reconnu petite farouche?

Sophie. Ah! Ciel ! retirez-vous, | Le Mar. Mais, ma bonne, vous monsieur, laissez-moi: n'est-ce pas êtes folle! Pensez-y à deux fois, je assez de l'insulte que vous m'avez veux bien vous en laisser le temps. faite dans la rue, sans venir aug-Il y a de par ce monde cent femmes menter les chagrins de ma mère, charmantes, toutes aussi jolies que en les renouvellant à ses yeux. votre fille, et sur lesquelles il ne Le Mar. Vous plaisantez, la tient qu'à moi de fixer un choix. belle les caresses d'un homme je lui donne la préférence, et vous comme moi une insulte! allons, le trouvez mauvais! d'honneur, un peu plus de raison. (Il veut vous devriez être trop heureuse. s'approcher d'elle.) Mad. Dor. Sans doute---mais Soph. Ah! Dieu! quelle inso-nous ne sentons point ce bonheurlence! (Elle se débarrasse de ses là. Croyez-moi, monsieur; coumains el se sauve.)

SCENE III.

Le Marquis, Dubois, Madame
Dormel, le petit Dormel.

rez chez les malheureuses que vous connaissez si disposées à vous vendre leur honneur. En quelque temps que ce soit, ni ma fille ni moi nous n'accepterons vos offres.

Le Mar. Ma foi! tant pis pour vous. Allons, Dubois. (Ils sortent

Mad. Dor. (au Marquis, qui ensemble.) vcut suivre Sophie) Doucement, monsieur, s'il vour plaît. Si vous méprisez notre pauvretè, respectez

SCÈNE IV.

du moins notre vertu. Quel mal Madame Dormel, le petit Dormel,

vous avons-nous fait pour que vous veuillez nous enlever le seul bien qui nous reste ?

Sophie qui survient.

Mad. Dor.

Va, misérable, ta

Le Mar. Etes-vous la mère de dureté ne me surprend point; elle cette jolie enfant ? est la suite nécessaire de l'infame dépravation de tes mœurs.

Les

Mad. Dor. Oui, monsieur. Le Mar. (parcourant la cham-maux suivent en foule le pauvre : bre des yeux). En deux mots; vous heureux qui sait les supporter avec êtes très-pauvres, à ce que je vois; constance! Mais que le courage voulez-vous que je fasse votre for- et la fermeté sont difficiles, lorsque tune? Et pour premier à compte la nature est défaillante! ---(il tire une bourse.)

Mad. Dor.

Soph. Ah! ma mère, l'aurais-je Mad. Dor. Non, monsieur, je jamais imaginé qu'il y eût des vois d'ici à quel prix vous voudriez hommes capables de se faire un a mettre cette fortune. Malgré titre de notre indigence, pour--le besoin qui m'accable, et dont je (Les sanglots lui étouffent la voix ; n'ai pas la faiblesse de rougir, je ne elle se jette au cou de sa mère.) balance pas સે vous refuser. Le petit Dormel. Maman, ce chère enfant, ta vertu me charme! (attendrie) Ma monsieur veut vous donner de l'or, Tu viens d'en donner un exemple de l'or à pleines mains et vous héroïque. Mais que je suis inn'en voulez pas! Prenez au moins quiète de ton père! II n'aura pu pour vous et pour mon prpa. réussir; il va venir accablé de douMad. Dor. Paix, mon fils, paix !|leur, de fatigue, et de besoin.

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