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de la statue qu'il semble n'oser masse informe et dure, travaillée
toucher. Enfin, le ciseau déjà avec ce fer!---Insensé, rentre en
levé, il s'arrête.)
toi-même; gémis sur toi; vois ton

--Mais non --

(Impétueusement.)

Quel tremblement! quel trou-erreur, vois ta folie--ble! je tiens le ciseau d'une main mal assurée---je ne puis---je n'ose ---je gâterai tout. Non, je n'ai point perdu le sens ; (Il s'encourage, et enfin présen-non, je n'extravague point; non, tant son ciseau, il en donne un je ne me reproche rien. Ce n'est seul coup, et, saisi d'effroi, il le point de ce marbre mort que je suis laisse tomber, en poussant un épris, c'est d'un être vivant qui lui grand cri.) ressemble, c'est de la figure qu'il Dieu, je sens la chair palpi- offre à mes yeux. En quelque tante repousser le ciseau !--lieu que soit cette figure adorable, (Il redescend tremblant et confus.) quelque main qui l'ait faite, elle -Vaine terreur, fol aveugle- aura tous les vœux de mon cœur. ment !———Non---je n'y touchera Oui, ma seule folie est de discerpoint; les dieux m'épouvantent. ner la beauté, mon seul crime est Sans doute elle est déjà consacrée d'y être sensible. Il n'y a rien là à leur rang. dont je doive rougir.

(Il la considère de nouveau.) (Moins vivement, mais toujours Que veux-tu changer? regarde ; avec passion.) quels nouveaux charmes veux-tu Quels traits de feu semblent sorlui donner? Ah! c'est la perfec-tir de cet objet pour embraser mes tion qui fait son défaut. Divine sens, et retourner avec mon ame à Galathée! moins parfaite, il ne te leur source! Hélas! il reste immanquerait rien. mobile et froid, tandis que mon cœur, embrasé par ses charmes,

(Tendrement.)

Mais il te manque une ame! ta voudrait quitter mon corps pour figure ne peut s'en passer. aller échauffer le sien. Je crois (Avec plus d'attendrissement en-dans mon délire pouvoir m'élancer

core.)

Que l'ame faite pour animer un tel corps doit être belle !

hors de moi.

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(Il s'arrête long-temps. Puis re-que Pygmalion meure pour vivre tournant s'asseoir, il dit d'une dans Galathée---que dis-je, ô ciel! voix lente et changée.) si j'étais elle, je ne la verrais pas,

Quels désirs osé-je former?--- je ne serais pas celui qui l'aime! quels vœux insensés! qu'est-ce que non, que ma Galathée vive, et que je sens?---O Ciel! le voile de l'il- je ne sois pas elle. Ah! que je lusion tombe, et je n'ose voir dans sois toujours un autre, pour voumon cœur: j'aurais trop à m'en loir toujours être elle, pour la voir, indigner. pour l'aimer, pour en être aimé--(Longue pause dans un profond (Transport) Tourmens, vœux, déaccablement.) sirs, rage, impuissance, amour terVoilà donc la noble passion qui rible, amour funeste---oh! tout m'égare! c'est donc pour cet objet l'enfer est dans mon cœur agité--Inanimé que je n'ose sortir d'ici ! Dieux puissans! Dieux bienfesans ! ---un marbre! une pierre! une Dicux du peuple, qui connûtes les

un mouvement d'assurance et de

Je reprends mes

passions des hommes, ah! vous, avez tant fait de prodiges pour de joie.) sens. Quel moindres causes! voyez mon cœur, soyez justes, et méritez vos autels! calme inattendu! quel courage (Avec un enthousiasme plus pa- inespéré me ranime une fièvre thétique) Et toi, sublime essence, mortelle embrasait mon sang; un qui te caches aux sens et te fais baume de confiance et d'espoir sentir aux cœurs, ame de l'univers, court dans mes veines; je crois principe de toute existence! toime sentir renaître. Ainsi le sentiment de notre déqui par l'amour donnes l'harmonie aux élémens, la vie à la matière, le pendance sert quelquefois à notre sentiment aux corps, et la forme à consolation. Quelque malheureux tous les êtres; feu sacré, céleste que soient les mortels, quand ils Vénus, par qui tout se conserve et ont invoqué les dieux, ils sont plus se reproduit sans cesse; ah! où tranquilles--Mais cette injuste confiance est ton équilibre? où est ta force expansive? Où est la loi de la na- trompe ceux qui font des vœux inHélas! en l'état où je suis, ture dans le sentiment que j'é-sensés. prouve? Où est ta chaleur vivi-on invoque tout, et rien ne nous fiante dans l'inanité de mes vains écoute: l'espoir qui nous abuse est désirs? Tous tes feux sont con-plus insensé que le désir. Honteux de tant d'égaremens, centrés dans mon cœur, et le froid de la mort reste sur ce marbre; je je n'ose plus même en contempler Quand je veux lever les péris par l'excès de vie qui lui la cause. manque. Hélas! je n'attends point yeux sur cet objet fatal, je sens un un prodige; il existe, il doit ce-nouveau trouble, une palpitation sser; l'ordre est troublé; la Na-me suffoque, une secrète frayeur ture est outragée: rends leur em- m'arrête.--(Ironie amère.)---Eh! pire à ses loix, rétablis son cours regarde, malheureux; deviens inbienfesant, et verse également ta trépide; ose fixer une statue. divine influence. Oui, deux êtres (Il la voit s'animer, et se détourne saisi d'effroi, le cœur serré de manquent à la plénitude des choses: douleur.) partage leur ardeur dévorante qui Qu'ai-je vu? Dieux ! qu'ai-je cru consume l'un sans animer l'autre : c'est toi qui formas par ma main voir? le coloris des chairs, un feu ces charmes et ces traits qui n'a-dans les yeux, des mouvemens ttendent que le sentiment et la vie ; même---ce n'était pas assez d'esdonne-lui la moitié de la mienne, pérer le prodige; pour comble de donne-lui tout, s'il le faut, il me misère enfin, je l'ai vu---(excès suffira de vivre en elle. O toi, qui d'accablement.) Infortuné, c'en est daignes sourire aux hommages des donc fait---ton délire est à son dermortels! ce qui ne sent rien ne nier terme---ta raison t'abandonne, t'honore pas: étends ta gloire avec ainsi que ton génie---ne la regrette tes œuvres; Déesse de la beauté, point, ô Pygmalion! sa perte couépargne cet affront à la Nature, vrira ton opprobre---(vive indignaqu'un si parfait modèle soit l'image tion) Il est trop heureux pour l'amant d'une pierre de levenir un de ce qui n'est pas. Il revient à lui par degrés avec homme à visions.

(Il se retourne, et voit la statue se】 mouvoir et descendre elle-même les gradins par lesquels il a monté sur le piedestal. Il se jette à genoux, et lève les mains et les yeux au ciel.)

Dieux immortels! Vénus! Galathée! ô prestige d'un amour forcene!

Galathée. (se touche et dit) Moi.
Pygmalion. (transporté) Moi.
Gal. (se touchant encore) C'est

moi.

à contenir, suit tous ses mouvemens, l'écoute, l'observe avec une avide attention qui lui permet à peine de respirer. Galathée s'avance vers lui et le regarde; il se lève précipitamment, il lui tend les bras, et la regarde avec extase. Elle pose une main sur lui; il tressaille, prend cette main, la porte à son cœur, puis la couvre d'ardens baisers.) Gal. (avec un soupir) Ah! en

core moi.

Pyg. Ravissante illusion qui Pyg. Qui, cher et charmant obpasses jusqu'à mes oreilles, ah!jet; oui, digne chef-d'œuvre de n'abandonne jamais mes sens. mes mains, de mon cœur, et des Gal. (fait quelques pas et touche dieux: c'est toi; c'est toi seule ; je un marbre) Ce n'est plus moi. t'ai donné tout mon être; je ne (Pygmalion dans une agitation, vivrai plus que par toi. dans des transports qu'il a peine

J. J. Rousseau.

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Agar. L'envie, mon fils, rend in-d'asyle et de nourriture, comment juste et cruel; elle conduit à la résister à tant de maux? haine la plus odieuse, la plus noire Agar. Par le courage qui les de toutes les passions. méprise; par la résignation qui s'y

Ism. Un cœur sensible ne soumet sans murmure. Souffrir est l'éprouvera donc jamais? le partage de la vie; c'est un temps Agar. Un cœur sensible peut d'épreuve et d'orage, temps rapide s'égarer..l'orgueil, mon fils, peut et court; suivi, pour la vertu,de l'imcorrompre l'ame la plus tendre, et mortalité, de la gloire, et du bonla livrer à toutes les fureurs de la heur. Cessons donc de nous vengeance. plaindre. Songeons aux biens qui Ism. Ah! maman, si j'ai de l'or-nous attendent, et tâchons de nous gueil, mettez tous vos soins à m'en en rendre dignes. corriger. Agar. La raison seule doit nous donc pas la mort? en garantir. L'Auteur de la nature

Ism. Maman, vous ne craignez

Agar. Hélas! Je ne crains que

n'a rien fait que de bon; nous luide vous survivre. devons toutes nos vertus; et nos Ism. La mort n'est rien! c'est vices sont notre ouvrage. un instant!.. Mais souffrir, endu

orgueil?

Ism. Nous naissons donc sans rer la faim, la soif, ah! maman! Agar. Mon fils, il est encore un Agar. Dieu imprima dans nos plus affreux tourment..c'est celui cœurs un désir salutaire qui nous de ne pouvoir soulager ce qu'on porte à nous distinguer, à recher-aime.

cher la gloire.

Ism. Ne l'ai-je pas senti? Je vous ai vue pleurer.

Ism. C'est l'amour propre? Agar. Oui, mon fils; c'est ce Agar. Ah! mon enfant, si je principe divin qui fait les héros et pouvais, en donnant ma vie, sauver les grands hommes; alors il est la tienne!

pur, et tel que Dieu nous l'a donné: Ism. Maman! qu'en ferais-je mais l'homme corrompu abuse sans vous?

de ce don précieux; il le dénature, Agar. O mon cher Ismaël!.......... l'avilit, le tourne sur des objets cruelle Sara! si vous l'entendiez.. vains et frivoles; enfin, il en fait si vous le voyiez. Oui, votre cœur l'orgueil ? barbare en serait attendri. Et moi, Ism. Maman, Dieu est bon; et moi, que dois-je éprouver? Ah! quand nous suivons la loi il doit mon fils, ne nous laissons point donc nous aimer. abattre; notre sort est affreux; Agar. Il est alors notre père. mais Dieu nous protége, et peut le Ism. Pourquoi donc gémissez-changer. vous? Pourquoi sommes-nous Ism. Ce désert produit bien sans appui, sans secours dans ce quelques fruits sauvages dont nous pourrions nous nourrir: mais sous

désert? Agar. Il veille sur nous, et ne un soleil si brûlant, la soif dévore, veut que nous éprouver. et l'on n'y trouve ni fontaines, ni

Ism. Et cependant la fatigue, le ruisseaux.

chagrin nous accablent: privés Agar. Nous en découvrirons

peut-être. D'ailleurs, ce vase, ce Hélas! même en dormant, il est seul bien qui nous reste, contient donc destiné à souffrir! Mais ne encore de l'eau; elle est pour toi, pourrais-je pas, avec mon voile lié c'est une dernière ressource que à cette branche, lui former un abri? ma tendresse te réserve. (Elle veut tirer la branche à elle.)

vous.

enne.

Ism. Je veux la partager avec Je n'y puis atteindre, il faut me lever et détacher mon voile. (Elle Agar. Ce n'est qu'en conservant se lève, fait un mouvement qui renta vie que je puis prolonger la mi-verse le vase qui était à ses pieds, et répand l'eau.) Grand Dieu! qu'ai-je fait? Ce vase, ma derAgar. Quoi, mon enfant! nière espérance, mon unique reIsm. Depuis deux jours, je n'ai ssource, la vie de mon fils! Ah! pas dormi; je me sens accablé : malheureuse!.. cette eau pouvait asseyons-nous. du moins lui suffire encore jusqu'à

Ism. Maman!

Agar. Viens prendre du repos, demain. et d'ici-là, de nouvelles il te rendra tes forces; viens te recherches nous auraient peut-être coucher à l'ombre de ce buisson. fait découvrir une fontaine! (Elle (Ismaël la suit et se couche: elle se tombe accablée de douleur auprès met auprès de lui, et place son de son fils.) Ah, Ciel!

vase à ses pieds.)

Ism. Maman, essayez de dormir

aussi.

Agar. Non, je te veillerai.

Ism. (se réveillant.) Maman!
Agar. O mon fils!....

Ism. Maman! je brûle..je n'en puis plus un feu cruel dévore..

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Ism. Vous ne vous éloignerez Agar. (le prenant dans ses bras, pas de moi pendant mon sommeil ? et le couvrant de son voile.) Mon Agar. Eh! pourrais-je te quitter Dieu, prenez pitié de l'excès de ma un instant! Ses yeux se ferment.. peine!

heureux âge!

Ism. Maman, je meurs de soif; (Ismaël s'endort tout-à-fait.) une goutte d'eau, maman, et vous Dors, dors, tu ne sentiras plus me rendrez la vie.

tes maux, et les miens seront adou- Agar. Eh bien, mon fils, eh cis. (Elle le considère.) Hélas! bien reçois donc mon dernier soucomme ses traits sont changés! Ils pir...Tu meurs, j'en suis la cause; portent l'empreinte de la sou pardonne-moi, je vais te suivre. ffrance. O mon fils! sans toi, sans Ism. Maman, vous avez donc bu tes plaintes qui me déchirent le toute l'eau?

cœur, avec quel courage je suppor- Agar. Que dis-tu?.... Grand terais ma destinée! Mais l'enten-Dieu!....

dre gémir..voir couler ses larmes, Ism. S'il en restait encore, et si ô Ciel, c'est un supplice que je ne vous éprouviez ce que je sens, mapuis endurer, Il épuise toute ma man, je ne la boirais pas.

constance. Comme il dort!.... Agar. O mon fils! peux-tu me Pauvre enfant! (Elle l'embrasse.) croire assez barbare?

Que je t'aime ! ( Elle porte la main

Ism. Hélas! la douleur égare et sur son front.) Son visage est trouble mon esprit; pardonnezbrûlant, le soleil donne sur sa tête. moi.

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