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Peut-être à tes discours oubliant mes regrets...
Je m'abuse... Ah! plutôt ne le nomme jamais.
Pour quels crimes, ô ciel ! par quel affreux caprice
Le charme de ma vie en est-il le supplice?
Par la gloire inspiré, par l'honneur combattu,
Mon amour étoit fait pour être une vertu.
On vient; éloigne-toi.

SCENE II.

VORCESTRE, EUGÉNIE.

EUGÉNIE.

Je vous cherchois, mon pere.

Mon départ étoit prêt, quel ordre le differe?
Jusqu'ici toujours tendre et sensible à ma voix,
Me refuseriez-vous pour la premiere fois ?
Vous ne répondez rien! une sombre tristesse...

VORCESTRE.

Laissez aux foibles cœurs une molle tendresse:
Les destins sont clangés, ma fille, et d'autres temps
Veulent d'autres discours et d'autres sentiments.
Connoissez-vous le sang dont vous êtes sortie,
Et le nom des héros que lui doit la patrie?
EUGÉNIE.

Je sais qu'il n'a produit que de vrais citoyens;
Et pour leurs sentiments, je les sais par les miens.

VORCESTRE.

L'univers sait nos faits, le ciel seul sait nos vues:
S'il faut que dans ce jour les vôtres soient connues,
Soutiendrez-vous l'honneur de ces noms éclatants?
EUGÉNIE.

L'ordre de la nature ou l'usage des temps,
A mon sexe laissant la foiblesse en partage,
Sembla de nos vertus exclure le courage:
De défendre l'état le droit vous fut donné;

A l'orner par nos mœurs notre sort fut borné :
Mais, soit l'instinct du sang, soit l'exemple d'un pere,
Je ne partage point la foiblesse vulgaire ;

Que la patrie ordonne, et mon cœur aujourd'hui s'il le faut, la victime ou l'appui.

En sera,
Le ciel qui voit mon ame au devoir asservie
Sait combien foiblement elle tient à la vie;
Et je l'atteste ici que mon sang répandu...

VORGESTRE.

Laissez de vains serments, j'en crois votre vertu,
J'en crois mon sang: montrez cette ame magnanime;
Vous pouvez par l'effort d'une vertu sublime
Dans nos fastes brillants précéder les héros:
Quelque degré d'honneur qu'atteignent leurs tra-

vaux,

Au-delà de leur sort la gloire vous appelle;
Le ciel a fait pour vous une vertu nouvelle:
Même au-dessus du trône il est encore un rang;
Et ce rang est à vous, si vous êtes mon sang.
EUGÉNIE.

De mon cœur, de mes jours, que mon pere dispose;
Pour en être estimée il n'est rien que je n'ose.

VORCESTRE.

Un mot va nous juger: si, détruisant nos droits,
Et la foi des traités, et le respect des lois,
Le sort à votre pere offroit un diadême,
Et qu'entre la patrie et le pouvoir suprême
Il parût balancer à choisir son destin,
Que conseilleriez-vous à son cœur incertain?
EUGÉNIE.

Le refus de ce trône, un trépas honorable.
Un juste citoyen est plus qu'un roi coupable.

VORCESTRE.

La vertu même ici par ta bouche a parlé ;
C'est ton propre destin que ce choix a réglé;
C'est le sort de l'état. Généreuse Eugénie,

Il faut, du peuple anglois tutélaire génie,
Faire plus qu'affermir, plus qu'immortaliser,
Plus qu'obtenir le trône; il faut le refuser.
Oui, c'est toi qu'au mépris d'une loi souveraine,
Au mépris de l'état, Edouard nomme reine;
Et pour un rang de plus, si tu démens tes mœurs,
Tu l'épouses demain, tu regnes, et je meurs.
Tu frémis!... Je t'entends: tu prévois les disgraces
Que ce fatal amour entraîne sur ses traces;
Je reconnois ma fille à ce noble refus,

Et mon cœur paternel renaît dans tes vertus.
Qu'espéroit Edouard ? comment a-t-il pu croire
Qu'instruit par des aïeux d'immortelle mémoire,
Blanchi dans la droiture et la fidélité,
Dans le zele des lois et dè la liberté,

J'irois, d'un lâche orgueil méprisable victime,
A vilir ma vieillesse et finir par un crime?
Non, j'ai su respecter la terre où je suis né;
Je t'en devois l'exemple, et je te l'ai donné :
Bien loin qu'à ton départ je sois contraire encore,
Je vais fuir sur tes pas un palais que j'abhorre;
A moi-même rendu, je retourne au repos.
Je ne demande point le prix de mes travaux;
Quel prix plus doux pourroit flatter mon espérance?
Le ciel dans tes vertus a mis ma récompense;
Je vais tout disposer. Edouard amoureux
Doit lui-même bientôt t'instruire de ses vœux:
Je m'en remets à toi du soin de les confondre,
Et je veux te laisser la gloire de répondre.

SCENE III.

EUGÉNIE.

Ainsi tous mes malheurs ne m'étoient pas connus! Il m'aimoit, et je pars !... Je ne le verrai plus !...

Toi qui fais à la fois mon bonheur et ma peine,
Le sort avoit donc fait mon ame pour la tienne!
Mais de ce même sort quel caprice cruel
Eleve entre nous deux un rempart éternel!
Cher prince, il faudra donc que cette bouche même,
Qui devoit mille fois te jurer que je t'aime,
Trahisse en te parlant le parti de mon cœur!...
Fuyons... Mais le roi vient. Toi qui vois ma douleur,
Ciel, cache-lui du moins...

SCENE IV.

ÉDOUARD, EUGENIE.

ÉDOUARD.

Quelle crainte imprévue

Vous éloigne, madame, et vous glace à ma vue?

EUGÉNIE.

Les cieux me sont témoins que l'aspect de mon roi N'a jamais eu, seigneur, rien de triste pour moi.

ÉDOUARD.

Votre roi ! sort cruel! ne puis-je donc paroître
Sous des titres plus doux que le titre de maître?
Malheureux sur le trône, et toujours redouté,
N'ai-je d'autre destin que d'être respecté ?
Souveraine des rois, la beauté n'est point née
Pour une dépendance au peuple destinée;
L'empire est son partage, et c'est elle en ce jour,
C'est elle qu'avec moi va couronner l'amour,
Si, moins contraire enfin au bonheur où j'aspire,
Le sort veut terminer les maux dont je soupire.

EUGÉNIE.

Laissez aux malheureux la plainte et les douleurs;
Le ciel pour Edouard a-t-il fait des malheurs?
S'il se mêle à vos jours quelque peine légere,
La Gloire vous appelle et s'offre à vous distraire;

L'univers vous attend, et vos premiers travaux
De ce siecle déja vous ont fait le héros.

Soumettez les deux mers aux lois de l'Angleterre, Allez, soyez l'arbitre et l'amour de la terre;

Je rendrai grace au ciel quand le bruit de vos faits
Viendra dans la retraite où je fuis pour jamais.
ÉDOUARD.

Ah! cruelle, arrêtez: vous avez dà m'entendre ;
Tout vous a dit l'ardeur de l'amant le plus tendre ;
Et pour prix de mes feux vous fuiriez des climats
Que je veux avec moi soumettre à vos appas !
Ne me dérobez point le seul bien où j'aspire;
Je ne commencerai de compter mon evipire,
D'être, d'aimer mon sort, que du moment heureux
Où vous partagerez ma couronne et mes feux...
Mais non... ce sombre accueil m'apprend que je
m'ahuse;

Et ce n'est point vous seule ici que j'en accuse.
EUGÉNIE.

Ne soupçonnez que moi ; sur mon devoir, seigneur,
Je ne connois jamais de maître que non cœur.

SCENE V.

ÉDOUARD.

Elle fuit! quelle haine ! et quel sensible outrage!
Superbe citoyen, voilà donc ton ouvrage !

On t'accusoit; mon cœur n'osoit te soupçonner:
Ne m'offres-tu donc plus qu'un traître à condamner?
Où me réduit l'ingrat! Que sert ce diadême
Si je ne puis enfin conronner ce que j'aime?
Mais quel est cet hymen dont on défend les droits?
Quels sujets orgueilleux ! est-ce un peuple de, rois?
Quelles sont ces vertus farouches et bizarres ?

Le devoir en ces lieux fait-il donc des barbares?

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