Images de page
PDF
ePub

Et non moins de prolixité,
C'est la très mince lieutenance
D'un fort d'assez peu d'importance,

Qui ne sera jamais bloqué,

Mais dont le grenadier qui s'offre à sa défense Rendroit bon compte un jour si, contre l'apparence, Il pouvoit se voir attaqué

Sur cette chétive éminence.

Encor voulons-nous moins que
Par ce mémoire présenté ;

cette jouissance

Ce n'est pour le moment qu'un titre sans séance,
Un bien qui n'aura d'existence,
D'actuelle réalité,

Que dans notre reconnoissance,

Jusqu'à l'instant qu'il plaise au maître souverain De rappeler à lui l'ame du châtelain

Dont nous briguons la survivance. Mais comme ce vieux paladin, Quoique goutteux, octogénaire, S'aime beaucoup dans ce bas hémisphere, Et n'aima jamais son prochain;

Que sait-on? hélas ! le vieux reître,

Très choyé, très soigneux des restes de son être,
Eternel dans ses bastions,
Empaqueté, fourré, le nez sur ses tisons,
Entre son major et son prêtre,
Ses histoires de garnisons,
Et ses pipes, et ses marrons,
Hélas! enterrera peut-être
Celui pour qui nous demandons.
Dieu lui fasse toute autre grace,
Si dans ce jour nous obtenons
Un coadjuteur de sa place!

Et quand il aura tout conté

Sur Hochstet et sur Ramillies,

Comment on eût mieux fait, ce qu'on eût emporté

De gloire, d'immortalité,
Et de moustaches ennemies,
S'il avoit été consulté;

Quand il aura bien exalté
Les antiques chevaleries,

[ocr errors]

Des maréchaux défunts dépeint les effigies,
La perruque et l'austérité,
Bien rabâché, bien regretté
Ses campagnes et ses orgies,
Des sieges où peut-être il n'a jamais été,
Des belles dont sans doute il n'a jamais tâté,
Enfin quand le hon-homme aura bien répété
Les enuyeuses litanies

241

Du temps passé, seul temps par lui toujours vanté; Après qu'il aura joint à cette kyrielle

Ce

que dans sa baraque il compte faire un jour,
Ses projets assez longs pour la vie éternelle,
Les mémoires qu'il doit présenter à la cour,
Et qu'à son ordinaire il aura dit sans cesse,
Ma courtine, mon tenaillon,

"

"

[ocr errors]

Mon pont-levis, ma forteresse,

Mon aumônier, ma garnison,

« Le roi mon maître, mon canon »;

Tout cela dit et fait, et deux ans qu'on lui laisse,
Par bienséance ou par tendresse,
Dieu veuille rappeler dans l'éternel dortoir
Le peu d'esprit qu'il peut lui voir,
Et, moitié marmottant sa courte patenôtre,
Moitié sur sa goutte jurant,

Nous l'endormir chrétiennement,
Et le clore hermétiquement

Pour son bonheur et pour le nôtre !
Si la rage du bruit et d'un frivole honneur,
Chimere des vivants, dans les demeures sombres,
Tient aussi des vieux preux les sérieuses ombres,
Il peut être assuré que son cher successeur

2

Plus jaloux qu'un parent d'orner ses funérailles, Lui fera dresser de grand cœur

Toute la pompe des batailles ;

Que, pour mieux décorer son convoi, son tombeau,
On empruntera de la ville

Ce qui peut manquer au château,
Prêtres, soldats, poudre, bedeau,
Et tout le funebre ustensile;
Que vers son dernier domicile
Toutes les croix de Saint-Louis
Qui végetent dans le pays
L'accompagneront à la file;

Que tous les vieux fusils ce jour-là sortiront
De leur rouille et de leur poussiere,
Et, s'ils le peuvent, tireront,

Pour annoncer au loin sa marche funéraire ;
Que son large écusson, sa croix, son cimeterre,
Le catafalque honoreront;
Et qu'enfin au sein de la terre
Ses reliques ne descendront

Qu'avec les honneurs de la guerre.

FIN.

« PrécédentContinuer »