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eft devenu Profaïque. Pour reconnoître de la façon que je le pouvois, l'obligation que j'avois à la Reine Chriftine, je fis des vers Latins à fa loüange, fur fon portrait. Ces vers font imprimez dans le Recueil de mes Poëfies. Je fis outre cela une Eglogue Françoife. C'est celle dont il eft ici queftion. Je m'introduifis dans cette Eglogue fous le nom de Ménalque; réfolu de quitter ma patrie à caufe des guerres civiles, & d'aller demeurer en Suéde. Et j'y introduifis le Berger Daphnis, me détournant de ce deffein, en me remontrant les avantages que j'avois dans mon païs : & en me les remontrant avec de grandes loüanges. Il ut été ridicule de me convier de demeurer dans un lieu, en me difant que je n'y étois pas confideré. Mr. Boyleau Payeur des rantes de l'Hôtel de Ville écrivit contre moi, au fujet de cette Eglogue, par une ingratitude & une infidélité étrange: car il faifoit profeffion d'une grande amitié avec moi : & dans le tans qu'il écrivoit contre moi, il étoit tous les jours chez moi à me faire fa cour. Vt colui veteres, fic me coluere minores. Et non feulement je ne l'avois jamais offenfé, mais je l'avois obligé en beaucoup de rencontres. Il parle lui-même, dans la Préface de fon Epictete, des obligations qu'il m'avoit (1). Dans fon Ecrit, il blâma fort ces louanges, que Mr. Baillet blâme de même aujourd'hui. Je méprifai fon Ecrit. Je n'y fis point de réponse. Mais quelque tans après, traitant dans mes Obfervations fur Malherbe, du droit qu'ont les Poëtes de fe donner des loüanges, je me justifiai par occafion de celles que je m'étois données dans cette Eglogue. Et je m'en justifiai en

ces termes:

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Que s'il eft permis aux Poëtes de fe loüer eux-mêmes, à plus forte raifon leur eft-il permis de fe faire louer par les » autres: comme j'ai fait dans mon Eglogue intitulée Chriftine: » où m'étant introduit fous le nom de Ménalque, de la même façon que le Guarini s'eft introduit dans fon Pasteur Fidelle fous le nom de Carino, je me fuis fait donner ces loüanges " par le Berger Daphnis.

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Et tu quittes ces lieux, trop volage Berger,
Pour un climat affreux, pour un Čiel étranger!
N'est-ce pas à ces lieux que tu dois ta naiffance

¶ 1. Ceux qui voudront vérifier ce que dit ici Mr. Ménage, prendront soin de ne pas confulter l'Epictete de la feconde édition.

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Et les brillans éclairs de ta vive éloquance?
N'est-ce pas de ces lieux que tes fublimes vers
Ont porté ta loüange à cent peuples divers:
Aux rivages fleuris & de Seine & de Marne,
Aux rivages fameux & du Tibre & de l'Arne!
Rien dans ce beau climat ne manque à tes plaifirs.
Toute chofe à l'envi contante tes défirs.

Tes vignes tous les ans ton attante furpaffent.
Sous tes épis nombreux les faucilles fe laffent.
Cent bœufs fur tes guérets tracent mille fillons:
Mille agneaux bondiflans paiffent dans tes vallons:
Mille agréables fleurs, comme aftres de la terre,
Font briller en tout tans l'émail de ton parterre:
Tu poffedes en paix deux précieux tréfors,
Le repos de l'efprit & la fanté du côrs (1).
On eftime tes vers, on les chante, on les louë,
A l'égal des Chanfons du Pasteur de Mantouë.
Ménalque parmi nous, parmi les étrangers,
Eft l'arbitre aujourd'hui des plus doctes Bergers.
De ces aimables lieux les Nymphes, les Bergeres,
Pour toi feul aujourd'hui ceffent d'être légeres.

» Je fai bien que toutes ces loüanges, qui ont été mal reçûës » & mal interpretées, par quelques perfonnes, font bien audeffus de celles que je mérite: mais outre que la Poëfie aime l'hyperbole, comme je l'ai déja remarqué, & qu'elle fait tous les Braves plus vaillans que Mars, toutes les Belles plus belles » que Vénus; & tous les Poëtes plus favans qu'Apollon, il est » très-vrai que toutes ces louanges, & même de plus grandes, » m'ont été données par plufieurs Ecrivains de mes amis, com»me je le pourrois juftiffer, s'il en étoit queftion. Aïant donc » à introduire dans une Eglogue un Berger qui m'entretenoit, » j'ai dû le faire parler de la même forte qu'il ût dû parler s'il »ût été introduit par un autre Poëte. C'est ainsi qu'en ufent » tous les fefeurs de Dialogues. Mais quand je me fuis introduit moi-même dans cette Eglogue fous le nom de Ménalque, je m'y fuis introduit parlant de moi avec modeftie, & rejettant bien loin toutes ces louanges: quoique felon le privilége des Poëtes, j'uffe pû me les donner moi-même.

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1. Ceci ne paroît pas s'accorder avec ce que Mr. Ménage vient de dire dans la page

précedente, que fa mauvaise fanté ne lui permit pas de faire le voyage de Suéde.

A quoi tandent, Daphnis, tant de propos flateurs ?
Je fuis, & tu le fais ; le moindre des Pasteurs, &c.
Pour moi, de qui le chant n'a rien de gracieux, &c.
Christine veut oüir mes frêles chalumeaux, &c.
Des Belles, il eft vrai, Doris eft la plus belle:
Mais des Belles, Daphnis, elle est la plus cruelle.
Ni des brûlans étez les extrêmes ardeurs,
Ni des âpres hivers les extrêmes froideurs,
N'ont rien qui foit égal aux ardeurs de ma flame;
Ni rien de comparable aux froideurs de fon ame.
En vain donc pour Doris en ces aimables lieux
Me voudroient arrêter tes foins officieux.

Des plus rudes climats les glaces effroïables
Bien plus que fes froideurs me feroient supportables.
Non moins que nos malheurs,non moins que nos difcors,
Son orgueil, fes mépris m'éloignent de ces bords.`
Doris enfin me chaffe, & Chriftine m'appelle.
Adieu de nos Bergers Berger le plus fidelle, &c.
Je l'avouë, il est vrai, sa beauté fans fegonde.
Me va fuivre en tous lieux fur la terre & fur l'onde.
Ses dédains me fuivront aux rivages du Nort:
Mais au moins en ces lieux j'aurai ce réconfort
De ne point offanfer par ma trifte préfance
Ces yeux, à qui les Rois doivent obéiflance;
J'aime j'aime Doris : & l'aimerai toûjours.
La fin de mon amour foit celle de mes jours:
Parce qu'elle eft & fiere, & fuperbe, & cruelle,
Je ne veux point, Daphnis, devenir infidelle.

»Et c'est ainsi que Mr. Godeau, qu'on ne peut pas accufer de vaine gloire, étant auffi bon Evêque qu'il eft bon Poëte; & aïant l'efprit auffi humble qu'il a l'ame élevée: C'est ainsi, »dis-je, , que ce grand Poëte & ce grand Prélat s'étant introduit dans une de fes Eglogues Chrétiennes fous le nom de Lycidas, "il fe fait louer par le Berger Tyrcis, non feulement pour les » beaux vers, mais auffi pour fa grande vertu.

O Berger, i tu fus les délices des Rois,
Tu deviens aujourd'hui la gloire de nos Bois, &c.
Mais ton heureux retour fi long-tans attandu,
Va rendre à ce climat tout ce qu'il a perdu.

Nos forêts reprendront leurs chevelures vertes:
Nos plaines en tout tans de fleurs feront couvertes.
On oira feulement foupirer les Zéphirs.
Les moiffons de nos chams pafferont les défirs,
Sans redouter des loups la fanglante furie,
Nos brebis en danfant brouteront là prairie,
Mille jeunes Bergers fur le bord des ruiffeaux
Enfleront à l'envi leurs doctes chalumeaux:
Et les Mufes quittant leurs forefts folitaires,
Leur viendront par ta bouche enseigner leurs myfteres.
Tu te plairas fans doute à leur humble refpect,
Que nul déguisement ne te rendra fufpect.
Tes difcours leur feront de célestes oracles;
Tes volontez, des loix ; tes vertus, des miracles.
Et tu pofféderas par tes charmes vainqueurs,
Sans crainte & fans foupçon, l'empire de nos cœurs.

» Mais quand il parle de lui-même, il en parle de la forte, avec modeftie:

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Ceffe, mon cher Tyrfis, ceffe de me confondre,
A ce difcours flateur je ne veux point répondre.
C'est de ton bel efprit un agréable jeu :

Car, parlant tout de bon, tu me connois bien peu.

Qui eft à peu près la réponse que fait Ménalque à Daphnis. Il me femble que ce difcours devoit fatisfaire Mr. Baillet; & qu'il ne devoit pas après cela m'accufer de vaine gloire au fujet des louanges que Daphnis donne à Ménalque dans mon Eglogue.

Théocrite dans fon Eglogue, intitulée les Thalyfiennes, qui eft, felon Heinfius, la Reine de fes Eglogues, fe fait loüer de même par le Berger Lycidas.

CXXXVII

CXXXVII.

Il eft permis aux Poëtes de fe loüer. Méprife de Mr. Baillet au fujet de ce que j'ai dit de Sarbiefchi dans mes

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Obfervations fur Malherbe.

que

Onfieur BAILLET. (1) Mais on ne peut pas dire Mr. Ménage n'ait traité le Pere Cafimir avec un peu trop de féverité, pour une petite vanité de Poëte que cet »Auteur a fait paroître dans une Ode au Pape Urbain VIII. » Le pauvre Pere, pour avoir dit par une licence Poëtique qu'il iroit à l'autre monde avec Horace, & qu'il feroit le compagnon de fon immortalité : & pour nous avoir promis qu'il feroit parler de lui fur le Caucafe, fur l'Atlas, & par tout »l'Océan, a-t-il mérité que Mr. Ménage fit à son occafion une régle générale pour tous les Religieux qui fe mêlent de faire des vers, & qu'il dit, que ceux mêmes qui font profession d'humilité, font tous bouffis d'orgueil. Pour moi, je croirois le Fere Cafimir moins expofé à notre envie qu'à la compaffion des perfonnes fages, fi je favois qu'il eût été exaucé dans un » vœu auffi léger que celui qu'il à fait d'avoir part à la fortune » d'Horace pour l'éternité.

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MENAGE. Mr. Baillet me permettra de lui dire qu'il s'eft ici tout-à-fait trompé. Le Pere Cafimir Sarbieschi n'a point dit qu'il iroit en l'autre monde avec Horace. C'est ainsi qu'il faut dire: & non pas, à l'autre monde, comme a dit Mr. Baillet. Et quand le Pere Cafimir Sarbieschi a parlé de lui & d'Horace,il en a parlé en Poëte, & non pas en Chrétien. D'ailleurs il est trèsfaux que j'aie maltraité ce Religieux. Et Mr. Baillet qui m'accuse de l'avoir traité avec trop de féverité, m'en accuse injustement. Je l'ai au contraire justifié touchant les loüanges qu'il s'eft données lui-même. Après avoir rapporté dans mes Obfervations fur Malherbe, un grand nombre d'endroits de Malherbe, où Malherbe s'eft donné des loüanges infinies & immodérées, j'ajoûte,

"Quoique Malherbe mérite toutes ces louanges qu'il fe donne lui-même, il ne fe les donne pourtant pas parce qu'il les mérite. » Ce feroit une vanité infupportable de fe couronner ainfi de fes

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1. Tome V, page 170..

Tome V111.

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