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de l'ancien domaine des comtes. La comtau de Blaye, connue aujourd'hui encore, est une vaste étendue de marais desséchés. Begueyriu conserve de nos jours un sens qui rappelle comtau; le begueyriu est, dans quelques localités, un quartier excentrique, sur la lisière de la commune. Le mot ne se trouve pas, que je sache, dans le manuscrit de Wolfenbüttel, qui renferme vigerius, vigeria. Vigeria. est un droit de justice: Vigeriis altis et bassis »; vigerius est celui qui exerce le droit de justice, en son nom personnel, comme seigneur, ou par délégation, comme magistrat, ou encore par suite du rattachement d'un office de judicature à une seigneurie. La « vigeria Marciani» est la viguerie de Marsan.

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Certains termes, viguier, bailli, prévot n'ont pas une signification constante et ne désignent pas toujours une même fonction. La sénéchaussée et la prévôté étaient des divisions géographiques bien vivantes, en particulier la sénéchaussée de Bordeaux, les prévôtés de Barsac et d'Entre-deux-Mers. Croirait-on qu'elles ont survécu jusqu'à notre xx siècle? On a plaidé naguère sur le point de savoir si telles communes faisaient partie de la sénéchaussée de Bordeaux, de la prévôté de Barsac, de la juridiction de Saint-Emilion, et il m'est arrivé de tracer, pour un haut tribunal et sur sa demande, les limites de la vieille sénéchaussée bordelaise du Moyen âge.

Le sénéchal était un fonctionnaire important; le prévôt est plus intéressant peut-être. Prévot veut dire préposé : « Probost... a cuillir lo pedage ». Il y a donc prévôt et prévôt : l'un était chargé de percevoir le péage sur le port de Libourne; d'autres étaient des magistrats d'ordre administratif et judiciaire; d'autres enfin tenaient le milieu entre le simple agent de perception et le personnage qu'était le prévôt d'Entre-deux-Mers, par exemple.

Bien peu de reconnaissances méritent l'attention au même degré que celle où le prévôt de Sainte-Eulalie fait connaître en quoi consistait sa charge, qu'il tenait, d'ailleurs, en fief.

Il ne saurait être question de signaler ici tout ce que les Recogniciones renferment d'intéressant, pour l'historien, pour l'économiste, pour l'archéologue, pour le philologue mème, qui pourra y noter, parmi bien des formes dignes d'être relevées, des gasconnismes comme «Seint-Orens », « Mountbet », « Moundiron ». Mais le volume s'adresse avant tout à l'historien des institutions.

Il y trouvera moins de précisions que dans les cartulaires des églises sur les conventions financières entre seigneur et tenancier, sur les cens, sur les lods et ventes; il y recueillera beaucoup plus de renseignements sur les obligations sociales, justice, service militaire, qui découlaient du contrat féodal.

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L'ensemble de ces reconnaissances présente, je l'ai dit, une extraordinaire confusion : les distinctions classiques entre nobles et non nobles, entre fiefs et censives, ne répondent pas à la réalité. Assurément on peut discerner dans notre registre des catégories : l'habitant de Bazas qui faisait une prise avait droit à 100 s. pour un chevalier, à 40 s. pour un damoiseau, à 20 s. pour un bourgeois, à 10 s. pour un cheval, à 5 s. pour un paysan; mais il s'agit là d'un tarif conventionnel dans la vérité concrète, un hobereau besogneux, comme ce Gaillard de Lignan que citent les Recogniciones et dont j'ai étudié ailleurs les expédients, ne représente pas, il s'en faut bien, une valeur sociale égale à celle de tels opulents bourgeois qui possèdent des caveries et sont assujettis aux mêmes charges militaires que des chevaliers. Le maire de Bourg, dont les administrés disaient qu'ils étaient « ses bourgeois », fait vraiment figure de seigneur féodal. La situation de fait, la fortune, les services rendus l'emportent sur les distinctions de droit.

On peut ajouter que tous, nobles, bourgeois et paysans, paraissent être soumis à des obligations légères. Les conditions faites. par les aveux aux tenanciers du Domaine sont loin d'être onéreuses pas de cens ou très peu, des droits de mutation minimes en cas de changement du seigneur, probablement des droits de mutation plus élevés en cas de vente, pour ainsi dire pas de corvée, un service militaire très réduit; on ne saurait dire que le contrat féodal fût léonin.

Le caractère de ce contrat évoluait. Les tailles collectives qui grevaient certaines contrées et les esporles abonnées également collectives dues par les mêmes régions, sont un témoignage de ce changement; le tenancier ne se trouvait plus isolé en face du seigneur foncier, celui-ci avait affaire à un groupe organisé; la redevance individuelle tendait à devenir une contribution à un impôt public. Le devoir envers le souverain se substituait peu à peu à la dépendance féodale.

L'idée de la souveraineté apparaît encore dans l'attitude prise par

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les agents du Domaine envers les alleutiers. En d'autres pays, le seigneur dit aux possesseurs d'alleux : « Produisez vos titres ou vos biens seront réputés fiefs ». Chez nous, le duc d'Aquitaine dit aux propriétaires : « Vous avez des alleux; ils continueront à être qualifiés tels; mais en tant que roi j'ai sur ces alleux certains droits éminents qui appartiennent au seigneur sur les fiefs ». La question était posée autrement; la solution pratique était la même, à savoir la mainmise sur les terres allodiales.

Dans ce monde d'antinomies, deux forces travaillaient le pour Roi seigneur féodal, il profite de cette circonstance, moins pour accroître ses revenus que pour étendre et renforcer son pouvoir politique, pour augmenter son armée, pour élargir la compétence de ses juges et les attributions de ses agents; souverain, il s'efforce de ressaisir les personnes et les biens qu'il n'a pu soumettre comme seigneur. De cette double action la liberté eut à souffrir: c'est la rançon de toute organisation politique.

Les érudits trouveront matière à bien d'autres observations dans le beau volume de M. Bémont, qu'il y a plaisir et profit à étudier : le texte est établi avec soin et autorité, les tables et le glossaire facilitent les recherches et les rapprochements. On a dit naguère en termes éloquents, à l'Académie des Inscriptions, quels services M. Bémont a rendus à l'histoire du Sud-Ouest. Il me sera permis, pour terminer, de remercier à mon tour l'historien de Simon de Montfort, l'éditeur des Roles gascons et des Recogniciones de tout ce qu'il a fait pour nous révéler, à nous Gascons, la Gascogne du XIIIe siècle.

J.-A. BRUTAILS.

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LES ÉLÉGIES ROMAINES DE PROPERCE.

H. T. KARSTEN, Propertii elegia IV, 4, 8 p. in-8 (dans Mnemosyne, Bibliotheca philologica Batava, Leyde, Brill, 1915; t. XLIII, no 3, p. 357-364). — P. J. ENK, Ad Propertii carmina commentarius criticus (thèse de Leyde). Zutphen, W. J. Thieme, 1911. Un vol. in-4, x-368 pages. K. P. HARRINGTON, The Roman elegiac poets. Un vol. in-8, 444 p., New-York, Cincinnati, Chicago, American book company, 1914.

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PREMIER ARTICLE

Les élégies romaines de Properce continuent à intéresser les philologues. Nous en avons pour preuve l'article que M. Karsten, membre de l'Académie des Sciences d'Amsterdam, vient de consacrer à l'une de ces œuvres, IV, 4, ou, si l'on veut lui donner un titre, Tarpéia.

Cet article cite et remet en mémoire un travail un peu plus ancien, le Commentarius criticus d'un élève de M. J. J. Hartman, M. Enk, qui l'a présenté comme thèse à l'université de Leyde. Les universités étrangères ne nous ont pas habitués à des thèses aussi volumineuses. Sans doute, le papier et la typographie ont été ici l'objet d'une véritable prodigalité. Même réduit à des apparences plus modestes, le livre serait encore respectable. L'étude précise d'un texte, sous la direction d'un maître, est une tâche excellente pour les débuts d'un jeune savant. M. Enk a réuni, dans l'ordre des vers, les conjectures les plus recommandables. Il les discute et choisit celle qui lui paraît préférable. Quelquefois, mais trop rarement encore, il défend la tradition contre les innovations des philologues. On dirait, en le lisant, qu'aucune méthode ne préside à la critique des textes. Voici un exemple d'erreur de raisonnement, exemple pris entre cent, petit, mais significatif.

Les Anciens avaient l'habitude de fixer des boucliers à la poupe des navires et souvent ces boucliers étaient peints". Properce confond

() Virgile, En., X, 80 : « Praefigere ib., VIII, 588; XI, 660; XII, 281, puppibus arma »; cf., d'autre part, pictis armis.

dans une même image les couleurs des armes peintes et le flamboiement des armes étincelantes se reflétant dans la mer d'Actium :

Armorum et radiis picta tremebat aqua.

De telles superpositions conviennent au style concentré de Properce. Le chanoine Dausque et Nicolas Heinsius ont corrigé picta en icta. Mais comment icta s'est-il altéré en picta? Parce que, dit M. Housman, il y avait d'abord radiisque icta (RADIISQ.ICTA). Ainsi pour justifier une première conjecture, qui crée une difficulté, on imagine une seconde conjecture". Cependant ces essais, manqués, nous font réfléchir et nous aident à mieux approfondir la pensée et l'art du poète. Le livre de M. Enk est donc utile.

Il est juste de joindre à ces publications l'anthologie de M. Harrington que nous avons annoncée déjà. Outre la première élégie, elle contient deux autres des élégies romaines, IV, 4 et IV, 6.

Le groupe de ces élégies nationales du quatrième livre forme un ensemble bien caractérisé. Nous nous proposons de l'étudier. Nous nous demanderons où nous en sommes, ce que les travaux récents ont gagné pour Properce, et ce qui reste à faire. Nous essaierons de nous représenter le poète tel que nous pouvons le connaître, avec ses procédés de composition, le tour de son esprit, ses habitudes de style. Le cas échéant, nous tenterons d'élucider quelques obscurités de ce texte difficile.

I

C'est à la fin de sa courte vie que Properce avait conçu ce dessein, conforme aux goûts de son époque et aux désirs de Mécène, un recueil d'élégies sur les antiquités romaines. Callimaque dans ses Origines (AT) lui en donnait le modèle). Mais il aurait suivi un plan différent et des vues plus étroites. Chaque élégie, écrite pour elle-même, n'aurait eu de lien avec l'ensemble que par la communauté du sujet.

(4) Properce, IV, 10, 26; Enk, p. 326. Je complète la bibliographie de M. Enk, qui a des lacunes.

(2) Journal des Savants, 1915, p. 492. (3) Sur le plan et la méthode de Cal

limaque, voir les conjectures de Wilamowitz dans les Sitzungsberichte de l'Académie des Sciences de Berlin, 1914, I, p. 242.

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