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particulier d'attirer l'attention de l'étranger sur les œuvres où leurs philologues, se faisant plus nationaux, dénoncent et blåment à moins qu'ils n'expliquent et, le cas échéant, justifient leurs « belgicismes; celles où ils s'efforcent de déterminer l'apport des langues germaniques au français qu'on parle chez eux ou à Paris; et celles enfin où ils scrutent leurs patois wallons, picard et gaumais soit en eux-mêmes et pour eux-mêmes, soit dans la mesure où ces patois éclairent l'évolution du langage littéraire. Là, diraient-ils, est l'un des plus vifs éléments d'intérêt de notre labeur. Voyez les belgicismes. Ce n'est un secret pour aucun Français quelque peu informé de la vie intellectuelle des Belges que leur conversation et leurs livres charrient un bagage plus ou moins lourd de locutions dénommées flandricismes et wallonismes d'après leur provenance. Ces locutions sont déclarées vicieuses, généralement en vertu du principe que l'usage est le souverain maître des langues et que toute expression qui pèche contre l'usage est fautive. Il ne s'ensuit pourtant pas qu'elles soient toutes de mauvaise facture. On pourrait en citer beaucoup, surtout des wallonismes, qui ont de vieux droits de bourgeoisie dans la langue et qui sont de bonne structure française. Elles n'ont eu que le tort de tomber en désuétude. Là-dessus on consultera avantageusement un articulet de M. Wilmotte, un exposé plus étendu d'un autre philologue M. Cohen, et l'enquête plus détaillée encore, mais moins rigoureusement scientifique, du Comte de Caix de Saint-Aymour". En les lisant, on verra ou l'on entreverra comment le français et le flamand se posent dans notre pays l'un en face de l'autre à la manière de deux « partisans » qui tantôt se combattent, tantôt se livrent à de pacifiques échanges. C'est surtout de ces échanges que les linguistes tiennent à être informés à cet effet, ils parcourront l'essai, plus historique que linguistique, de M. de Hoon sur l'Emploi des langues en Belgique, mais ils feront

(1) Wilmotte, Mélanges Paul Fredericq, Bruxelles, Lamertin, 1904, p. 9195; Cohen, Le parler belge, 15 pages, Congrès internat, pour l'extension et la culture de la langue franç. (Liége, sept. 1905), Paris, Champion, 1906; de Caix de Saint-Aymour, Belgicismes,

A propos de quelques mots de l'ancien
français conservés dans le langage
des Belges, Annales de l'Académie
royale d'archéologie de Belgique, 1911,
p. 45-85.

(2) Revue de l'Université de Bruxelles
(Bruxelles), 1909-10, p. 667-726.

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bien de s'arrêter davantage aux enquêtes de M. Ulrix sur les appoints fournis au français par le flamand et d'autres langues germaniques"), et ils s'enquerront, utilement, des notes suggérées à MM. Bayot et Counson par les travaux de l'érudit hollandais bien connu, M. Salverda de Grave, sur les mots français du néerlandais. Dans presque toutes les études qui viennent d'être citées, on trouve quelque chose de nos parlers wallons; tandis qu'elles remontent dans le passé, elles perdent rarement de vue le présent ou, si l'on veut, les traces que l'ancienne langue a laissées dans les tournures populaires d'aujourd'hui. Forcément presque, nos linguistes sont des patoisants ou, tout au moins, ils reviennent volontiers aux patois qu'ils connaissent d'enfance ou par un acquis de l'âge mûr. Mais nombre d'entre eux font autre chose que des emprunts ou des appels au wallon à propos d'enquêtes sur la langue littéraire; ils le considèrent en lui-même et pour lui-même parce qu'il est, d'après leur dire, « le plus original des parlers romans » et parce qu'en même temps il relève quelque peu du domaine germanique et offre, à cet égard aussi, de l'intérêt. Comme on le suppose bien, les recherches qui concernent son vocabulaire, sa phonétique et sa syntaxe, n'ont pris une allure vraiment critique qu'à l'époque où les études romanes se sont constituées, surtout à Liége, dans des circonstances déjà rappelées au début du présent article. Nous avons noté néanmoins à ce propos que le souvenir d'un pionnier de la première heure vivait encore là-bas et ailleurs : c'est celui de Grandgagnage, l'auteur d'un Dictionnaire étymologique de la langue wallonne qui, malgré toutes ses défectuosités, reste toujours un titre sérieux à l'admiration et à la reconnaissance des romanistes. M. A. Doutrepont lui a rendu l'hommage qu'il méritait dans une notice détaillée de l'Annuaire de la Société liégeoise de littérature wallonne. Quant à ce que la philologie locale a produit. depuis Grandgagnage jusqu'en ces récentes années, il faut lire les relevés méthodiques et consciencieux qui sont également dus à M. A. Doutrepont et qui ont paru dans le Kritischer Jahresbericht über die Forschritte der romanischen Philologie de K. Vollmöller, les

(1) Voir De germaansche elementen in de romaansche talen. Gand, 1907, in-8, XIV-208 pages.

en Belgique, 1902, pages 1-10; 1908, pages 6-21.

(3) Liége, Desar, 1903, in-12,

(2) Revue de l'Instruction publique p. 19-49.

Notes de philologie wallonne de M. J. Feller (recueil d'études dont il faut mentionner spécialement le Rapport sur la philologie wallonne, mais. dont tout est à examiner pour avoir une idée des recherches de la dialectologie belge ainsi que de l'activité d'un de ses plus intelligents enquêteurs, lequel est en même temps un fin lettré), la Table générale systématique des publications de la Société liégeoise de littérature wallonne et son Liber memorialis par M. Oscar Colson, un patoisant et un folkloriste très bien informé. Il y a là un ensemble de renseignements qui, sans atteindre les toutes dernières publications, permet de se représenter le mouvement dialectologique sous ses diverses formes : revues, congrès, cours universitaires, associations régionales, etc. On y verra, par exemple, de quelle façon M. Wilmotte utilise ses connaissances en l'espèce pour localiser à Liége ou dans les environs les textes qui composent le ms. f. fr. 24 764 de la Nationale; on y apprendra quelles précieuses additions et rectifications M. Charles Doutrepont, dans ses Notes de dialectologie tournaisienne, apporte aux études sur l'ancien tournaisien; on y remarquera que M. Paul Marchot, dans les livres, articles, notes et notules de phonétique ingénieuse et parfois aventureuse qu'il écrit à l'étranger, n'oublie jamais son parler natal du Luxembourg belge ni les idiomes de la région liégeoise où il s'est formé aux méthodes de la linguistique romane). Ce qu'on remarquera également, c'est que la Société de littérature wallonne, qui a fêté son cinquantième anniversaire en 1906, est devenue, au cours des récentes années, un foyer d'activité philologique tout particulièrement digne d'attention. Tandis qu'elle continue son rôle de protectrice et de promotrice des lettres wallonnes,

Jahresbericht: Erlangen, Junge, t. VI à XI, comptes rendus des années 1899 à 1908; Notes: citées plus haut; Table, Liége, Vaillant-C., 1908, in-8, XX-301 pages (Bulletin de la Société liégeoise de littérature wallonne, t. XLVII, Liber: ibid., t. XLVIII, 401 pages.

Wilmotte, Forschungen zur romanischen Philologie, Festgabe für H. Suchier, Halle s. S., Niemeyer, 1900, Doutrepont, Zeitschrift p. 45-74. Doutrepont, Zeitschrift

P.

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elle pourvoit de plus en plus à l'extension des études linguistiques par les concours qu'elle organise; grâce au bénéfice qu'elle retire de ces concours, elle ne cesse d'accroître sa collection de glossaires dialectaux, de vocabulaires technologiques commencée depuis 1859 et qui forme, ainsi qu'on l'a dit, « un trésor unique en son genre ». Elle détient là des matériaux remarquablement abondants pour le vaste Dictionnaire général de la langue wallonne ou Glossaire des parlers romans de la Belgique qu'elle prépare et dont elle a confié la mise sur pied à MM. A. Doutrepont, Feller et Haust. Déjà, de ce dictionnaire, nous connaissons le plan et nous possédons les prémices dans des articles-spécimens qu'elle a publiés ou dans le résultat d'enquêtes par questionnaires, lequel est également édité mais qui ne constitue toutefois qu'un travail préparatoire en vuc de la grande œuvre future. Il est difficile de donner une idée précise et complète de l'activité déployée dans ce milieu sans entrer dans le détail des références et des analyses bibliographiques. Nous avons là (comme aussi dans les rapports des membres actifs de la Société sur ses concours ouverts à tout venant et dans le rassemblement des matériaux destinés au Dictionnaire général) un labeur collectif qu'il est plus aisé de louer en bloc que de définir par le menu. Qu'on examine pour s'en convaincre les Notes de philologie wallonne de M. Feller ou bien encore la participation qu'il a prise à l'édition de l'excellente monographie du P. Adelin Grignard sur la Phonétique et la Morphologie des dialectes de l'Ouest wallon. Il travaille et il publie en dehors du cercle dont nous parlons, de même que son très actif collègue M. Jean Haust, un étymologiste averti et dont les lecteurs de la Romania ont déjà pu apprécier la science délicate et sûre".

La Société de littérature wallonne, en même temps, a fourni sa quotepart et une grosse quote-part aux recherches de toponymie, lesquelles ont aussi leurs fervents dans nos contrées. « Fille de la philologie,

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science auxiliaire de l'histoire », ainsi que l'a définie G. Kurth, la toponymie a prêté un utile et sérieux concours aux études qui font l'objet de notre exposé. L'historien dont nous avons cité le nom leur a imprimé une vigoureuse impulsion en Belgique par ses travaux d'avant et d'après 1900, travaux répandus et appréciés à l'étranger. La Société wallonne a entrepris l'établissement d'un glossaire général de la toponymie wallonne. Pour réaliser cet autre article de son programme, elle a mené une propagande adroite et active et fait éclore, par ses primes, toute une série de vocabulaires qu'elle a insérés dans ses Bulletins. Il en a paru naturellement en dehors de son centre d'action" comme, par exemple, la Toponymie namuroise de M. C.-G. Roland* qui forme, dit l'auteur, le « premier essai de ce genre appliqué à une province » et qui, au sentiment de Kurth, est « le plus important travail de toponymie qui ait paru en Belgique depuis Grandgagnage » (lequel s'était livré à des investigations curieuses dans un domaine d'études qu'on n'avait pas encore décoré du nom de science en son temps). Il serait plus important encore si l'auteur avait parlé, aux endroits où il le fallait, le langage d'un phonéticien de profession comme M. Carnoy dans son enquête intitulée Le Mallum dans la toponymie belge(").

La toponymie pourrait et même devrait nous retenir longtemps. Il en est de même du folklore. Lui aussi a pris place dans les préoccupations et les publications de la Société wallonne. Celle-ci a d'ailleurs compté nombre de collaborateurs qui furent des folkloristes sans le savoir. C'était en des années où l'on ne savait pas que les dictons et chansons populaires pouvaient devenir matière à science. D'autres années sont venues où d'autres chercheurs, au premier rang desquels figurait Eugène Monseur, ont collectionné nos traditions et nos rimettes avec méthode et critique. Le très utile Bulletin de folklore qu'il avait fondé en 1891 a disparu depuis longtemps, mais

(4) Sur les études toponymiques belges, consulter Feller, Notes, p. 98115; E. Dony, Revue des Humanités en Belgique, 1908, p. 25-33 et Revue de l'Instruction publique en Belgique, 1908, p. 22-27; J. Haust, Bull. du Dictionnaire de la langue wallonne, II, p. 13-18, 149-152; A. Vincent, La

Gette, étude toponymique, Revue de l'Université de Bruxelles, 1910-1911, p. 484-96; La Senne, ibid., 1912-1913, p. 607-27; etc., etc.

Bruxelles, Schepens, 1899-1903, in-8, 653 pages.

(3) Mélanges Ch. Mæller, I, 286

320.

p.

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