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Membres de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,

Et MM. les Membres composant le bureau de l'Académie.

Directeur :

M. RENÉ CAGNAT, Membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Secrétaire de la Rédaction :

M. HENRI DEHÉRAIN, Bibliothécaire à l'Institut.

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Le JOURNAL DES SAVANTS paraît le 15 de chaque mois par fascicules de six feuilles in-4. Le prix de l'abonnement annuel est de 24 francs pour Paris, de 26 francs pour les départements et de 28 francs pour les pays faisant partie de l'Union postale.

Le prix d'un fascicule est de 2 francs.

Adresser tout ce qui concerne la rédaction :

À M. H. DEHÉRAIN, secrétaire de la Rédaction, Bibliothèque de l'Institut, 23, quai Conti,

Paris.

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DES SAVANTS.

NOVEMBRE 1916.

PRÉRÉFORME ET HUMANISME.

A. RENAUDET. Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d'Italie (1494-1517). Un vol. in-8, XLVIII739 pages. Paris, Librairie Champion, 1916.

On n'en est plus, depuis longtemps, à croire que la Réforme apparut tout d'un coup avec Luther, ou la Renaissance française avec François Ier; ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on en étudie les origines. Après les travaux publiés chez nous, en Italie, en Allemagne, on sait abondamment, exactement, comment la Réforme se prépara dans certains états européens presque en même temps que la Renaissance en Italie. On a suivi les phases de ces deux mouvements, on les a rapprochées.

Qu'on ait remonté d'un côté jusqu'au Grand Schisme et aux conciles de Constance et de Bâle, qui ébranlèrent l'autorité pontificale, de l'autre, jusqu'à Pétrarque et Boccace qui, les premiers, revinrent à l'antiquité, c'est une conquête déjà ancienne de l'érudition.

Une école récente a cherché des précurseurs et des antécédents plus immédiats, à la fin même du xv° siècle et dans les premières années du xvi. En même temps qu'elle s'attachait à montrer l'église officielle compromise par la corruption, l'enseignement universitaire enlisé dans la routine, elle démêlait le rôle de certains réformateurs longtemps oubliés, quelques-uns de cœur ingénu, prêts au martyre

SAVANTS.

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plus qu'à la lutte, d'autres plus âpres, plus ardents au combat. Le Fèvre d'Etaples est un bel exemplaire des premiers, Standonck, un exemplaire accompli des seconds. Les uns et les autres, d'ailleurs, furent attentifs à l'humanisme renaissant, en même temps que passionnément fidèles à leurs croyances religieuses, plus d'un aspirant aussi à concilier la pensée chrétienne avec les idées nouvelles et les traditions nationales.

On peut se demander jusqu'à quel point il у avait corruption, décadence, incapacité chez les hommes qui, en dehors d'eux, représentaient le passé; je crois, pour ma part, que les traits du tableau ont été plus d'une fois forcés. C'est une question à reprendre. Mais, à coup sûr, depuis l'avènement de Charles VIII en 1483 jusqu'à la divulgation des doctrines de Luther vers 1522, pendant une période d'une quarantaine d'années, des éléments divers et contradictoires se trouvèrent chez nous en contact et souvent en conflit. L'université parisienne, la Sorbonne, la grande majorité du clergé demeuraient attachées au passé, avec tous les avantages qu'ont les corps officiels et organisés. Les réformateurs avaient pour eux leur ardeur de néophytes, mais ils restaient isolés et suspects. La royauté oscilla des uns aux autres, facile à entraîner vers les nouveautés quand il s'agissait de l'humanisme, plus hésitante en matière religieuse, et préoccupée surtout de ne laisser porter aucune atteinte, même indirecte, à son autorité.

Dans un livre présenté d'abord comme thèse à la Sorbonne, M. Renaudet a entrepris de serrer de très près les termes du problème, entre le départ de Charles VIII pour l'Italie en 1494 et la signature du concordat en 1516. Livre considérable, important, d'une érudition vaste et sûre, plein de choses, trop plein, beaucoup trop plein. Un volume grand in-8, de 739 pages d'une impression très serrée, sans compter XLVIII pages préliminaires! C'est la mode; on ne se contente plus à moins sur un sujet quelconque. Les thèses s'allongent, grossissent, pendant que la Faculté ne cesse pas de les demander plus courtes et moins massives. Preuve, entre autres, qu'elle n'a pas toujours les responsabilités dont on se plaît à la

En réalité, il reprend les choses à partir de la seconde moitié du xve siècle,

dans une introduction très développée (p. 1-159).

charger. Thèse bourrée de références, c'est encore la mode. On en viendra à ne plus oser écrire que François Ir a été vainqueur à Marignan, sans s'autoriser d'un document inédit, bien entendu.. Thèse minutieuse, où pas un personnage de troisième plan, ignoré ou négligé de ses contemporains eux-mêmes, n'est omis, pas un détail sacrifié, et qui prend parfois allure d'énumération ou de catalogue. C'est encore la mode. J'appliquerais volontiers à cette érudition, dont je reconnais d'ailleurs les mérites, un passage cité par M. Renaudet: «A quoi bon, disait l'auteur de l'Imitation, disputer grandement de choses obscures et cachées que nous ne serons pas accusés d'avoir ignorées au jour du jugement! » (p. 71).

Où en ira-t-on avec cette progression, que tout le monde constate depuis assez longtemps déjà? N'y aurait-il pas lieu de réagir, de déclarer que, si l'historien a le devoir rigoureux de consulter le plus de documents possible, il a aussi celui de ne pas les employer tous, de distinguer, de choisir, de grouper les faits essentiels, de composer, en un mot? Et puis aussi, de ne pas avoir comme une sorte de crainte superstitieuse des idées générales, sous prétexte que chez les esprits médiocres elles se transforment en phraséologie. Il s'agit tout simplement de tâcher de ne pas être médiocre.

Je n'ai pu m'empêcher, lisant avec beaucoup de soin et d'intérêt le livre de M. Renaudet, de me dépiter souvent en songeant à ce qu'il aurait pu être, si l'auteur avait mieux mis en lumière tout ce qu'il contient de nouveau, d'utile, de précieux, et je regrette pour lui qu'il ait trop laissé aux autres l'avantage de tirer parti des observations qu'il suggère. Car il fait incontestablement réfléchir.

Et tout d'abord, que valent les témoignages des réformateurs sur l'état de l'église et du clergé français? Tout ce que M. Renaudet cite de Standonck, de Maillard et de leurs adeptes montre en eux des esprits absolus, sans ménagements, dogmatiques et intransigeants, jusqu'au fanatisme. Intelligences et âmes fortes, sans doute, sincères, mais étroites, incapables de comprendre les idées et les faits en dehors de leurs doctrines. Qu'il s'agisse de religion, de morale, d'éducation, de philosophie, c'est bien là, me semble-t-il, la marque de leur tempérament.

Maillard condamne tout et tout le monde sans choix : les bourgeois « pingues et incrassati », leur luxe, la toilette des femmes; il semble,

que la société féminine soit composée de courtisanes ou d'entremetteuses. Les marchands sont des voleurs, les imprimeurs éditent tous de mauvais livres. « C'est l'abomination de la désolation prédite par le prophète Daniel. » Les prêtres sont ignorants, avides, luxurieux : « Le Christ n'a jamais nourri de chiens, ni de faucons ». Les moines fréquentent les mauvais lieux ou nourrissent des ribaudes (p. 208, 244).

En présence de ces exagérations évidentes, ne faut-il pas se demander si ces jugements doivent être acceptés sans contrôle ? La passion des réformistes ne les rend-elle pas suspects? Les adversaires de Maillard disaient volontiers qu'il ne connaissait pas les choses dont il parlait (p. 199). Il ne connaissait que ce qu'il voulait voir et comme il le voulait voir. Vraiment, si les tableaux que tracent les prédicateurs étaient exacts, un état de choses si contraire à toute raison comme à toute morale aurait-il pu durer? Il y a des textes, répondra-t-on; oui, mais il y a aussi une critique interne des textes, et l'on n'ignore pas que le langage ecclésiastique ne connaît pas les nuances du langage laïque : c'est son devoir d'être absolu.

Même rigidité dans les théories des réformistes et dans les applications qu'ils en essaient. Standonck, lorsqu'il organise la Société des pauvres, « a tout calculé, dit M. Renaudet, pour réduire les membres à l'obéissance passive ». Exercices religieux incessants, les matines et la messe depuis minuit, la confession publique, la privation de repas pour les fautes, la discipline, le cachot, l'obligation de dénoncer les défaillances des autres, l'abstinence de viande, de vin, les jeûnes répétés. De maigres repas ouverts par le De profundis et la commémoration des morts (p. 344-346).

(4)

En ce qui concerne la pratique de l'enseignement, M. Renaudet écrit qu'elle soumettait les esprits à une « application écrasante ». Je ne le vois pas tout à fait, au moins d'après ce qu'il cite. Il semble

(4) P. 342-345. Je crois que M. Renaudet force un peu la traduction d'un texte latin : « Non nituntur nostri temporis homines cum litteris et scientiis quas sollicite satis ad vanitatem congregant ante omnia virtutes et probitatem vitæ adipisci ». Il écrit : « Les hommes

de notre temps s'efforcent, pour satisfaire leur vanité, d'acquérir la connaissance des lettres et des sciences et laissent de côté la droiture et la vertu ». Ce n'est pas tout à fait le sens. La question va plus loin qu'il ne paraîtrait au premier abord.

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