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La religion solaire imposée aux Péruviens par les Incas lors de la conquête est bien développée (p. 610). Peut-être pourrait-on ajouter aux détails de la religion primitive des Péruviens qui se maintint en face du culte de l'envahisseur et qui est le culte du clan ayllu représenté par l'ancêtre qui est un arbre, une colline, un animal, en particulier le mille-pattes; c'est du pur totémisme.

M. Beuchat a étudié avec détail et avec raison la poterie si curieuse du Pérou; cette poterie ancienne peut se diviser en deux grands groupes, le groupe de Trujillo, à la peinture monochrome, et le groupe de Nasca, avec un coloris plus riche, des décors blancs, noirs, rouges, oranges, verts, etc. Au sujet du premier groupe, je remarquerai avec M. Max Uhle (Journal des Américanistes, X, 1913) qu'à Moche, petite localité aux environs de Trujillo célèbre pour ses deux temples « Huaca del Sol » et « Huaca de la Luna » attribués aux Chimu et trouvés déjà en ruines par les Espagnols lors de la conquête, dans les cimetières on a trouvé des « a trouvé des « vases polychromes» qu'on appelait poterie Chimu sur la foi de Garcilaso et on a attribué aux Incas les constructions dont ils provenaient. D'après Uhle, les ruines de ces deux temples ne sont pas l'œuvre des Incas, et leur fondation remonterait à une époque antérieure aux constructions du type Tiahuanaco. Les vases polychromes qui en proviennent seraient donc contemporains de ces temples et par suite plus anciens que ceux de l'époque de Tiahuanaco. Il propose de les désigner du nom de « poterie proto-chimu » pour en indiquer l'antériorité (Cf. l'Anthropologie, 1914, p. 189). En revanche, M. Beuchat n'a dit que quelques mots de la musique chez les Péruviens; il ne paraît pas avoir eu connaissance d'une note intéressante qu'au nom du regretté capitaine Paul Berthon nous avons communiquée à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, le 5 mars 1909. D'ailleurs la musique est négligée dans le Manuel même, quoique les documents ne fassent pas défaut; par exemple la musique des Indiens Chippewa du Minnesota nord a été étudiée par Frances Densmore dans les n°45 et 52 du Bureau of Ethnology de Washington.

On sait que les anciens Péruviens employaient pour leurs comptes des cordelettes nouées désignées sous le nom de quipus, car ils ne paraissent pas avoir eu une véritable écriture. Nous aurions aimé à voir un rapprochement de cette coutume chez les Péruviens avec

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leur emploi chez d'autres peuples; la légende rapporte qu'avant l'invention des Koua par le légendaire empereur Fou-Hi, l'écriture chez les anciens Chinois était représentée par des cordes nouées qui sont d'ailleurs encore en usage chez certaines tribus non chinoises de l'Empire; on retrouve les cordelettes nouées chez les anciens Tibétains, également jusqu'au XIX siècle dans l'Archipel Indien et en Polynésie.

Je termine ici ces observations qui ne sont pas des critiques; il est à souhaiter qu'une seconde édition permette bientôt de compléter les quelques lacunes et de donner satisfaction aux quelques desiderata que j'ai signalés. L'ouvrage tel qu'il se présente aujourd'hui est déjà indispensable à tous ceux qui étudient l'Amérique. HENRI CORDIER.

LA JEUNESSE DE SHAKESPEARE.

SIR SIDNEY LEE. A life of William Shakespeare. New edition [4"], rewritten and enlarged. In-8, xxx1-776 p. Londres, Smith, Elder and Co, 1915.

DEUXIÈME ET DERNIER ARTICLE (1).

II

C'est dans une des deux maisons de Henley Street, peut-être celle habitée par John Shakespeare dès 1552, que William Shakespeare vit le jour, vers le 22 avril 1564. Les registres de baptème de Stratford nous apprennent que sa naissance fut précédée par celle de deux fillettes, Joan, née en septembre 1558, et Margaret, née en novembre 1562; l'une et l'autre, à ce qu'il semble, étant mortes en bas àge.

4) Voir le premier article dans le cahier de janvier, p. 14.

Halliwell, t. II, p. 51-52, a groupé

les mentions des Shakespeare dans les registres paroissiaux de Stratford d'après le manuscrit conservé dans

la

Nous ignorons - et nous ignorerons probablement toujours date exacte de sa naissance il fut baptisé le 26 avril et naquit sans doute trois ou quatre jours plus tôt. Comme il mourut le 23 avril 1616, plusieurs biographes se sont plu à lui assigner le même quantième comme date de sa naissance).

L'année même où naquit Shakespeare, la ville de Stratford fut ravagée par une épidémie. En août, en septembre et en octobre, nous relevons le nom de son père parmi les membres de la municipalité qui contribuèrent par leurs souscriptions à alléger les souffrances causées par le fléau. C'est sous ces auspices peu favorables que le poète vint au monde.

Cependant John Shakespeare voyait sa famille s'accroître entre 1566 et 1588 de trois fils et de deux filles. D'autre part sa situation financière cessa d'être aussi prospère. Il cessa de payer ses dettes, emprunta de tout côté et alla jusqu'à hypothéquer en 1578 le domaine possédé à Wilmcot par sa femme, jusqu'à vendre en 1579 à Robert Webbe sa propriété de Snitterfield®.

A mesure que ses ressources diminuaient, son zèle pour les affaires municipales se relâchait sensiblement. Nous saisissons sur le vif sa déchéance, en voyant son nom disparaître peu હૈ peu des listes de souscription et, qui pis est, des feuilles de présence. Il négligea si bien ses fonctions qu'en 1586 on le raya de la liste des Aldermen. Cependant son fils William avait grandi; bien que la situation embarrassée de John Shakespeare l'empèchât si tant est qu'il

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(Halliwell, t. II, p. 238.

(5) Arbies devint par la suite de cette hypothèque la propriété d'Edmund Lambert, beau-frère de Mary Arden et de ses descendants. John Shakespeare, en 1580, essaya vainement de lever l'hypothèque.

(6) Halliwell, t. II, p. 176 et 179. ne faut pas confondre notre John Shakespeare avec un cordonnier du mème nom, également domicilié à Stratford; cf. les documents relatifs à ce dernier dans Halliwell, t. II, p. 137-140.

l'eût jamais voulu de procurer à ses garçons plus qu'une instruction sommaire, ces derniers n'en souffrirent pas autant qu'on eût pu le craindre. Comme fils d'Alderman, ils avaient droit à l'instruction gratuite à l'école secondaire de Stratford. C'est là que William reçut les premiers éléments de son instruction classique.

Le roi Édouard VI, entre autres réformes administratives, entreprit la systématisation de l'enseignement secondaire en Angleterre, en réorganisant une foule d'établissements existants, si bien que dans toutes les vieilles cités anglaises on trouve un King Edward VI Grammar School. Plusieurs de ces vieux collèges ont conservé presque intactes leurs modestes bibliothèques, ce qui nous fournit une idée assez exacte des livres employés dans les classes. On y trouve l'Accidence, les Sententiæ pueriles, les ouvrages grammaticaux de Sulpitius, de Stanbridge, de Lily, de Whittington, de Jean de Garlande, des recueils historiques comme le Polychronicon de Ralph Higden ou les Chronicles of England, les vers de Baptista Mantuanus, quelques classiques comme Térence, Ovide, Horace et Virgile".

que des

passages

Les auteurs dont les œuvres de Shakespeare supposent la connaissance sont précisément ceux qu'il avait pu connaître à l'école de Stratford. Ainsi que l'ont remarqué ses commentateurs, plusieurs de ses personnages, comme Sir Hugh Evans des Joyeuses Commères de Windsor ou le magister Holofernes, dans Love's Labour's lost citent textuellement des vers de Mantuanus, ainsi entiers de Lily ou des Sententiæ pueriles. Plusieurs personnages de Henry V s'expriment en un français passable, et l'assertion de son ami Ben Jonson que Shakespeare connaissait « peu de latin et encore moins de grec » (small Latin and less Greek) trouve dans ses pièces la plus heureuse des confirmations. C'est surtout par des traductions que les chefs-d'œuvre de l'antiquité lui devinrent familiers. Il lisait Plutarque dans l'anglais de North et les Métamorphoses d'Ovide dans la version d'Arthur Golding. Sans doute, quand il écrivit vers 1592 la Comedy of errors, la traduction des Ménechmes attribuée à Warner n'avait pas encore été publiée (elle

Sidney Lee, p. 13-16; Spencer Baynes, What Shakespeare learnt at

school dans Shakespeare studies, 1894,
P. 17 et suiv.

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vit le jour en 1595); mais nous savons par le traducteur lui-même qu'elle avait circulé en manuscrit ").

Il est même possible que le jeune Shakespeare en ait appris à Stratford un peu plus long que ses camarades: vers 1680, Aubrey nous raconte qu'il « entendait assez bien le latin, ayant été dans sa jeunesse maître d'école à la campagne >>).

(2)

Quoi qu'il en soit, il dut bientôt quitter l'école pour aider son père dans son commerce. Bien que ce détail n'ait pour garants que des traditions postérieures d'un siècle, ce que nous savons aujourd'hui des embarras où se débattait John Shakespeare le rend fort vraisemblable. Nous aimerions toutefois savoir avec exactitude quelle était la profession de ce père. Dans les documents contemporains, il est qualifié à l'occasion de gantier (glover). Dès la fin du XVIIe siècle, la tradition faisait de lui soit un boucher, soit un marchand de laine. Cette dernière version, la moins répandue, a pour garant Rowe, dont l'informateur, l'acteur Betterton avait, dès cette époque, fouillé les archives de Stratford. L'autre est attestée par Dowdall qui visita Stratford en 1693; son cicerone, sans doute le sacristain, vieillard plus qu'octogénaire, lui dit « que Shakespeare avait jadis dans cette ville été mis en apprentissage chez un boucher, d'où il avait fui à Londres ». Sur cette version, Aubrey (avant 1680) brode quelques jolis détails : « son père était boucher et des voisins m'ont raconté que tout jeune, il suivit la profession de son père; mais quand il tuait un veau, il y mettait du brio et entamait un discours ». Le même Aubrey ajoute encore un curieux détail : « Il y avait à cette époque dans la même ville un autre fils de boucher que l'on estimait ne lui être nullement inférieur, quant aux dons naturels, son ami et son contemporain, mais qui mourut jeune. >> Si un seul document contemporain, parmi les deux ou trois cents qui le concernent, donnait à John Shakespeare la qualité de boucher,

(4)

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