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II..

LA PARODIE BURLESQUE.

1° Parodie du portrait.

2o Parodie du roman pastoral et du roman d'aventures.

30 Parodie de l'épopée.

4° Parodie de la tragédie.

LA PEINTURE RÉALISTE.

1o Le roman réaliste.

2° La poésie realiste.

L'idéalisme excessif, qui s'est manifesté dans la littérature mondaine, en particulier dans le roman, devait nécessairement provoquer une réaction réaliste. Les deux tendances idéaliste et réaliste sont d'ailleurs traditionnelles dans notre littérature, où dès le moyen àge on les rencontre dans Le Roman de la Rose et Le Roman de Renart. Elles représentent les deux faces de l'esprit français : l'esprit mondain et l'esprit bourgeois.

La réaction réaliste, au xvire siècle, s'est produite surtout entre 1640 et 1660. L'effort pour se rapprocher de la réalité a pris deux formes : l'une, exagérée, la parodie burlesque; l'autre, plus raisonnable, la peinture réaliste.

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A quel point a sévi en France le goût du burlesque, de 1640 à 1650, Pellisson nous l'apprend dans son Histoire de l'Académie Française (1652): « Cette fureur du burlesque, dont à la fin nous commençons à guérir, était venue si avant que les libraires ne voulaient rien qui ne

portât ce nom; que par ignorance ou pour mieux débiter leur marchandise, ils le donnaient aux choses les plus sérieuses du monde, pourvu seulement qu'elles fussent en petits vers d'où vient que, durant la guerre de Paris, en 1649, on imprima une pièce assez mauvaise, mais sérieuse pourtant, avec ce titre, qui fit justement horreur à ceux qui n'en lurent pas davantage : La passion de Notre Seigneur en vers burlesques. »

On1 a pu définir le burlesque « du précieux retourné ». Et de fait, ces deux exc's opposés ont une source identique, le désir de se distinguer soit par lo raffinement soit par la grossièreté du langage. C'est pourquoi non seulement la même génération a vu naître ce double type intellectuel, « le boufson » et « Feuflé », comme les appc'le Pascal2 qui les déteste également, mais on les rencontre l'un et l'autre parfois unis et confondus dans les mèmes esprits, par exemple chez Cyrano de Bergerac..

Le burlesque a consisté avant tout dans la parodie de certains genres littéraires qu'avait caractérisés leur progressif é'oignement de la vérité : le portrait, qui peu à peu prit l'habitude de faire avec outrance l'éloge immérité des personnes ; le roman pastoral et le roman d'aventures, qui tombèrent très vite dans la fadeur de la galanterie convenue et dans l'extravagance des fantaisies les plus folles; l'épopée et la tragédie, qui par amour de l'héroïque et du noble finirent par créer un monde artificiel de fausse et monotone grandeur.

1° Parodie du portrait.

Charles Sorel, en 1659, a tourné ce genre en ridicule dans sa Description de l'Ile de Portraiture. Molière s'en est également moqué dans Les Précieuses ridicules. Même dans la fameuse Galerie des Peintures, dont nous avons parlé (p. 419), se trouve, an milieu de tant de portraits flattés, une amusante caricature, le portrait de Mme de la Grenouillère 3, dont voici un fragment:

« J'ai les yeux à fleur de tête et assez gros, mais ils sont ouverts d'un peu trop et ronds, et, pour ne rien déguiser, ils ressemblent à des yeux de lapin blanc. Ils ont un autre défaut encore, c'est qu'ils ne sont pas assez éloignés du nez; le mien est aquilin et

1. Pierre Brun, dans sa thèse sur Cyrano de Bergerac, 1893 (déjà citée p. 485). 2. « Je hais le bouffon et l'enllé on ne voudrait faire son ami ni de l'un ni de l'autre. >>>

3. La Galerie des portraits de Mile de Montpensier (éd. Édouard de Barthélemy, p. 373).

fort pointu, avec une butte fort considérable au milieu, et tout le monde jugé que des lunettes ne lui siéraient pas mal; il est un peu tordu, il rougit au froid, et en hiver il est toujours paré d'une roupie... Outre cela, j'ai les gencives plus rouges que le corail, et je ne laisse pas d'avoir l'haleine puante à cause de la mauvaise constitution de mon estomac... >>

Et dans son Dialogue des héros de roman, dont nous reparlerons plus bas. Boileau a raillé la fadeur habituelle des portraits à la mode, en faisant lire devant Pluton par Sapho, la poétesse grecque, ce portrait de Tisiphone, l'une des trois Furies:

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Tisiphone a naturellement la taille fort haute, et passant de beaucoup la mesure des personnes de son sexe; mais pourtant si dégagée, si libre et si bien proportionnée en toutes ses parties, que son énormité même lui sied admirablement bien. Elle a les yeux petits, mais pleins de feu, vifs, perçants et bordés d'un certain vermillon qui en relève prodigieusement l'éclat. Ses cheveux sont naturellement bouclés et annelés, et l'on peut dire que ce sont autant de serpents qui s'en tortillent les uns dans les autres et se jouent nonchalamment autour de son visage...

2° Parodie du roman pastoral

et du roman d'aventures.

Une timide réaction se dessinait déjà dans L'Astrée contre l'excès de l'idéalisme sentimental en face de Celadon et de sa bergère Honoré d'Urfé avait placé Hylas, le berger ironique et infidèle. Mais deux auteurs ont élevé une protestation plus vigoureuse contre l'insincérité romanesque Charles Sorel, en 1627, dans Le Berger extravagant où parmi des fantaisies amoureuses on voit les impertinences des romans et de la poésie (ouvrage qui dans les éditions suivantes parut sous le titre plus significatif encore de L'Anti-Roman); et Boileau, dans son Dialogue des héros de roman à la manière de Lurien (écrit en 1665 et publié seulement en 1710 après la mort de Mlle de Scudéry1, qu'il avait craint de chagriner par sa satire). Le Discours préliminaire de ce Dialogue atteste l'intention très nette d'attaquer « non seulement le peu de solidité de ces romans, mais leur afféterie précieuse de langage, leurs conversations vagues et frivoles, les portraits avantageux faits à chaque bout de champ de per

1. Voir A. Gasté: Mlle de Scudéry et le Dialogue des héros de roman (1902).

sonnes de très médiocre beauté et quelquefois laides par excès, et tout ce long verbiage d'amour qui n'a point de fin. »

MÉTAMORPHOSE D'UN BERGER EN SAULE

[Lysis est un jeune bourgeois de Paris qui a eu la tête tournée par ses lectures et s est fait berger, pour vivre à la manière d'un héros de roman: il mène paître sur les bords de la Scine une douzaine de brebis galeuses, tout en mourant d'amour pour sa bergère, qu il appelle du doux nom de Charite, et qui est en réalité une jeune fille rencontrée à Paris, de taille plantureuse et modestement nommée Catherine.

L'ép sode le plus amusant du roman de Ch. Sorel est celui où Lysis refuse de sortir d'un sule creux, ou il est tombé en voulant attraper son chapeau suspendu à une branche, sous prétexte qu'il a été métamorphosé en arbre comme les amants des antiques légendes.]

On ne lui voyait plus que la tête et les bras, qu'il étendit d'un côté et de l'autre pour empoigner deux grosses branches, et étant en cette posture il commença à s'écrier ainsi : « Il n'y faut plus songer, Clarimond, la chose est faite en vain vous délibérerez de quelle sorte je serai métamorphosé. Mon destin a voulu que je fusse changé-en arbre. Ah! Dieu! je sens mes jambes qui s'allongent et, se changeant en racines, se prennent dans la terre. Mes bras sont maintenant des branches, et mes doigts des rameaux. Je vois déjà les feuilles qui en sortent. Mes os et ma chair se changent en bois, et ma peau se durcit et se change en écorce. O anciens amants, qui avez été métamorphosés, je serai désormais de votre nombre, et ma mémoire vivra éternellement avec la vôtre dedans les ouvrages des poètes. O vous, mes chers amis, qui êtes ici, recevez mes derniers adieux; je ne suis plus au rang des hommes. »

...

« Ah! mon maître, dit Carmelin, vous vous abusez; vous avez le visage aussi beau' que vous eùtes jamais. Sortez seulement, et vous verrez que vous êtes encore un homme. Voilà votre chapeau qui est là-haut entre ces branches. Je m'en vais l'abattre d'un coup de houlette: ne voulez-vous pas que je vous le donne sur votre tête? Vous la morfondez fort. Hélas! ce

que tu prends pour une tête humaine est le gros bout de ma tige. On n'a pas accoutumé de la couvrir ni avec un chapeau ni avec un bonnet de nuit; car cela l'empêcherait de croître. Il faut maintenant que je sois à l'air. Pourquoi ne croyez-vous

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plus avoir de tête ? reprit Carmelin. Ne vois-je pas vos cheveux qui sont frisés comme la laine d'un de nos moutons? - Tu te trompes, mon ami, repartit Lysis, ce ne sont plus des cheveux, ce n'est rien que de la mousse. »>

[Ne pouvant le décider à sortir de l'arbre, ses amis allument un feu près du saule ; mais comme la fumée commençait à l'aveugler sans qu'il fit mine de s'en aller, ils éteignent le feu et vont chercher un bucheron pour couper le saule.] (Ch. Sorel, L'Anti-Roman

ou Le Berger extravagant, livre v.)

AUX ENFERS

[Pour l'aider à réprimer une révolte qui vient d'éclater aux Enfers parmi les condamnés, Pluton fait venir auprès de lui les plus célèbres héros de l'antiquité, tous gagnés depuis peu par la contagion de la galanterie apportée par les gens du monde venus récemment de la terre.]

PLUTON.

...Suis-nous, Diogène : j'ai besoin de toi pour nous dire le nom des héros qui vont arriver.

DIOGÈNE.

Je ferai de mon mieux.

PLUTON.

Asseyons-nous. Qui est celui-ci qui vient le premier de tous, nonchalamment appuyé sur son écuyer?

C'est le grand Cyrus.

DIOGÈNE.

PLUTON.

Quoi! ce grand roi qui transféra l'empire des Mèdes aux Perses, qui a tant gagné de batailles? De son temps les hommes venaient ici tous les jours par trente et quarante mille. Jamais personne n'y en a tant envoyé,

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