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ce seigneur leur ferma la bouche en répondant avec dignité qu'il auroit désiré de ressembler au Misanthrope.

Il est très-douteux, en effet, que M. de Montausier ait eu des rapports aussi directs avec Alceste. Il s'exprimoit noblement, se conduisoit avec décence, remplissoit exactement les devoirs de son état; mais le désir de rester en faveur le portoit à s'oublier quelquefois. On pourra juger de son caractère par une anecdote curieuse et peu connue, qui se trouve dans les Mémoires de madame de Motteville. La reine-mère, Anne d'Autriche, ne vouloit pas que les dames de sa suite vissent madame de La Vallière, maîtresse de son fils: une d'elles avoit manqué à cet ordre, et madame de Motteville en parloit au duc de Montausier, dans l'espoir qu'il partageroit l'indignation de la reine Ah! vraiment, répondit ce dernier, la reine-mère est bien plaisante d'avoir trouve mauvais que madame de Brancas ait eu de la complaisance pour le roi, en tenant compagnie à madame de La Vallière. Si elle étoit habile et elle devroit être bien aise que le roi fút

sage,

amoureux de mademoiselle de Brancas; car étant fille d'un homme qui est à elle et son premier domestique, sa femme et sa fille lui rendroient de bons offices auprès du roi. « Je répondis à M. de « Montausier, poursuit madame de Motteville, qu'il me sembloit avoir remarqué dans l'hisCatherine de Médicis étoit déshonorée pour avoir eu de pareilles complaisances

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que

pour les rois ses enfants, et que je serois fâchée, pour l'intérêt que je prenois à la gloire d'Anne

d'Autriche, qu'elle fût capable d'en faire au« tant. » Qui ne croiroit, d'après ce récit simple, et dont on ne peut contester l'authenticité, que c'est madame de Motteville qui joue le rôle du Misanthrope, tandis que M. de Montausier ne fait valoir que les qualités d'un courtisan habile?

Molière ne dédaignoit pas quelquefois de faire des allusions aux événements qui se passoient à la cour. Dans les Amants magnifiques, une princesse aime un simple gentilhomme; et son amour paroît calqué sur celui que Mademoiselle éprouva pour Lauzun, liaison qui la rendit si malheureuse. On sait que la princesse voulut épouser

son amant, et se donner la gloire de faire d'un des plus pauvres gentilshommes de France un des plus riches princes de l'Europe. Louis XIV approuva et défendit cette union en 1669; et les Amants magnifiques furent joués l'année suivante. Les dates sont curieuses : la comédie de Molière parut en septembre 1670; et Lauzun fut enfermé à Pignerol au mois de novembre suivant. Ces sortes de pièces, puisées dans des anecdotes de la cour, n'étoient que des délassements dont Molière se permettoit rarement l'usage : il revenoit à son génie, qui le portoit à tracer en grand les caractères et les mœurs.

Il peignit les femmes de son temps avec autant de succès que les hommes. Cependant, à l'exception de quelques caractères marquants, tels que ceux des Précieuses ridicules, des Femmes savantes, de madame Jourdain, de madame Pernelle, de Belise, et des suivantes, toutes représentées avec des couleurs différentes et admirables, il ne choisit en général pour ses héroïnes que que des jeunes personnes pleines d'esprit, et réussissant très-bien à tromper leurs surveil

lants. Ses scènes d'amour et de dépit sont charmantes aucun poëte comique n'a pénétré si profondément dans le cœur humain ; et l'on reconnoît un homme qui fut souvent victime des caprices de cette passion.

Ce fut à la cour qu'il trouva les deux caractères de femmes qui donnent l'idée la plus juste des mœurs du temps. La coquette et la prude du Misanthrope forment un contraste des plus savants et des plus naturels; elles montrent dans toute leur vérité les deux excès opposés où tomboient alors la plupart des femmes; et la douce Éliante, gardant un juste milieu entre ces excès, offre la seule femme aimable et digne d'être aimée.

La coquetterie est de tous les temps ses formes changent peu; cependant on trouve dans le rôle de Célimène des traits qui la distinguent des coquettes du siècle suivant. Elle est pleine d'esprit et de finesse, ne s'écarte jamais, dans ses discours, de la plus rigoureuse décence; et ses médisances, en ne portant que sur des défauts

réels, la rendent aimable et piquante lorsqu'elle se livre le plus à sa malignité.

Quant à la prude Arsinoé, elle diffère peutêtre encore plus de celles qui ont eu depuis le même défaut. Son caractère peut fournir quelques observations sur les mœurs du dix-septième siècle. A cette époque, il y avoit un grand nombre de femmes véritablement pieuses, qui, sans affectation, remplissoient avec exactitude tous leurs devoirs. Les prudes, qui étoient loin de leur ressembler, se trouvoient plutôt dans la classe supérieure de la société que dans la bourgeoisie. Il falloit avoir un certain rang, une certaine fortune, pour se donner ainsi en spectacle. C'est ce que Molière a parfaitement observé en peignant Arsinoé.

Les prudes se partageoient en deux classes, qui avoient les mêmes principes, les mêmes manières et les mêmes mœurs. Quelques jeunes personnes, en entrant dans le monde, sans avoir les vrais principes de la religion, soit qu'elles ne se reconnussent pas assez de beauté, soit que leur cœur ne fût pas enclin aux plaisirs, affectoient

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