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On ne doit point permettre qu'ils jouent séparément à leur fantaisie, mais tous ensemble et en public, de manière qu'il y ait toujours un but commun auquel tous aspirent, et qui excite la concurrence et l'émulation. Les parents qui préfèreront l'éducation domestique, et feront élever leurs enfants sous leurs yeux, doivent cependant les envoyer à ces exercices. Leur instruction peut être domestique et particulière, mais leurs jeux doivent toujours être publics et communs à tous; car il ne s'agit pas seulement ici de les occuper, de leur former une constitution robuste, de les rendre agiles et découplés, mais de les accoutumer de bonne heure à la règle, à l'égalité, à la fraternité, aux concurrences, à vivre sous les yeux de leurs concitoyens, et à desirer l'approbation publique. Pour cela, il ne faut pas que les prix et récompenses des vainqueurs soient distribués arbitrairement par les maîtres des exercices, ni par les chefs des colleges, mais par acclamation et au jugement des spectateurs; et l'on peut compter que ces jugements seront toujours justes, sur-tout si l'on a soin de rendre ces jeux attirants pour le public, en les ordonnant avec un peu d'appareil, et de façon qu'ils fassent spectacle. Alors il est à présumer que tous les honnêtes gens et tous les bons patriotes se feront un devoir et un plaisir d'y assister.

CONTRAT SOCIAL.

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des

A Berne, il y a un exercice bien singulier pour les jeunes patriciens qui sortent du collège. C'est ce qu'on appelle l'état extérieur. C'est une copie en petit de tout ce qui compose le gouvernement de la république. Un sénat, des avoyers, des officiers, des huissiers, des orateurs, des causes, jugements, des solennités. L'état extérieur a même un petit gouvernement et quelques rentes; et cette institution, autorisée et protégée par le souverain, est la pépinière des hommes d'état qui dirigeront un jour les affaires publiques dans les mêmes emplois qu'ils n'exercent d'abord que par jeu.

Quelque forme qu'on donne à l'éducation publique, dont je n'entreprends pas ici le détail, il convient d'établir un collège de magistrats du premier rang qui en ait la suprême administration, et qui nomme, révoque et change à sa volonté tant les principaux et chefs des collèges, lesquels seront eux-mêmes, comme je l'ai déja dit, des candidats pour les hautes magistratures, que les maîtres des exercices, dont on aura soin d'exciter aussi le zèle et la vigilance par des places plus élevées, qui leur seront ouvertes ou fermées selon la manière dont ils auront rempli celles-là. Comme c'est de ces établissements que dépend l'espoir de la république, la gloire et le sort de la nation, je les trouve, je l'avoue, d'une importance que je suis bien surpris qu'on n'ait songé à leur donner

nulle part. Je suis affligé pour l'humanité que tant d'idées qui me paroissent bonnes et utiles se trouvent toujours, quoique très praticables, si loin de tout ce qui se fait.

Au reste, je ne fais ici qu'indiquer; mais c'est assez pour ceux à qui je m'adresse. Ces idées mal développées montrent de loin les routes inconnues aux modernes par lesquelles les anciens menoient les hommes à cette vigueur d'ame, à ce zèle patriotique, à cette estime pour les qualités vraiment personnelles, sans égard à ce qui n'est qu'étranger à l'homme, qui sont parmi nous sans exemple, mais dont les levains dans les cœurs de tous les hommes n'attendent pour fermenter que d'étre mis en action par des institutions convenables. Dirigez dans cet esprit l'éducation, les usages, les coutumes, les mœurs des Polonois, vous développerez en eux ce levain qui n'est pas encore éventé par des maximes corrompues, par des institutions usées, par une philosophie égoïste qui prêche et qui tue. La nation datera sa seconde naissance de la crise terrible dont elle sort; et voyant ce qu'ont fait ses membres encore indisciplinés, elle attendra beaucoup et obtiendra davantage d'une institution bien pondérée: elle chérira, elle respectera des lois qui flatteront son noble orgueil, qui la rendront, qui la maintiendront heureuse et libre; arrachant de son sein les

passions qui les éludent, elle y nourrira celles qui les font aimer; enfin se renouvelant pour ainsi dire elle-même, elle reprendra dans ce nouvel âge toute la vigueur d'une nation naissante. Mais sans ces précautions n'attendez rien de vos lois : quelque sages, quelque prévoyantes qu'elles puissent être, elles seront éludées et vaines; et vous aurez corrigé quelques abus qui vous blessent, pour en introduire d'autres que vous n'aurez pas prévus. Voilà des préliminaires que j'ai crus indispensables. Jetons maintenant les yeux sur la

constitution.

CHAPITRE V.

Vice radical.

Évitons, s'il se peut, de nous jeter dès les premiers pas dans des projets chimériques. Quelle entreprise, messieurs, vous occupe en ce moment? celle de réformer le gouvernement de Pologne, c'est-à-dire, de donner à la constitution d'un grand royaume la consistance et la vigueur de celle d'une petite république. Avant de travailler à l'exécution de ce projet, il faudroit voir d'abord s'il est possible d'y réussir. Grandeur des nations, étendue des états; première et principale source des mal

heurs du genre humain, et sur-tout des calamités sans nombre qui minent et détruisent les peuples policés. Presque tous les petits états, républiques et monarchies indifféremment, prospèrent par cela seul qu'ils sont petits, que tous les citoyens s'y connoissent mutuellement et s'entregardent, que les chefs peuvent voir par eux-mêmes le mal qui se fait, le bien qu'ils ont à faire, et que leurs ordres s'exécutent sous leurs yeux. Tous les grands peuples, écrasés par leurs propres masses, gémissent, ou comme vous dans l'anarchie, ou sous les oppresseurs subalternes qu'une gradation nécessaire force les rois de leur donner. Il n'y a que Dieu qui puisse gouverner le monde, et il faudroit des facultés plus qu'humaines pour gouverner de grandes nations. Il est étonnant, il est prodigieux que la vaste étendue de la Pologne n'ait pas déja cent fois opéré la conversion du gouvernement en despotisme, abâtardi les ames des Polonois, et corrompu la masse de la nation. C'est un exemple unique dans l'histoire qu'après des siècles un pareil état n'en soit encore qu'à l'anarchie. La lenteur de ce progrès est due à des avantages inséparables des inconvénients dont vous voulez vous délivrer. Ah! je ne saurois trop le redire; pensez-y bien avant de toucher à vos lois, et sur-tout à celles qui vous firent ce que vous êtes. La première réforme dont vous auriez besoin

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