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celui d'ouvrir et fermer tous les ans le trésor public, et la constitution polonoise seroit renversée de fond en comble.

CHAPITRE IX.

Causes particulières de l'anarchie.

La diete, bien proportionnée et bien pondérée ainsi dans toutes ses parties, sera la source d'une bonne législation et d'un bon gouvernement: mais il faut pour cela que ses ordres soient respectés et suivis. Le mépris des lois, et l'anarchie où la Pologne a vécu jusqu'ici, ont des causes faciles à voir. J'en ai déja ci-devant marqué la principale, et j'en ai indiqué le remède. Les autres causes concourantes sont, 1o le liberum veto, 2o les confédérations, 3o et l'abus qu'ont fait les particuliers du droit qu'on leur a laissé d'avoir des gens de guerre à leur service.

Ce dernier abus est tel, que, si l'on ne commence pas par l'ôter, toutes les autres réformes sont inutiles. Tant que les particuliers auront le pouvoir de résister à la force exécutive, ils croiront en avoir le droit; et tant qu'ils auront entre eux de petites guerres, comment veut-on que l'état soit en paix? J'avoue que les places fortes ont

besoin de gardes; mais pourquoi faut-il des places qui sont fortes seulement contre les citoyens et foibles contre l'ennemi? J'ai peur que cette réforme ne souffre des difficultés; cependant je ne crois pas impossible de les vaincre; et, pour peu qu'un citoyen puissant soit raisonnable, il consentira sans peine à n'avoir plus à lui de gens de guerre quand aucun autre n'en aura.

J'ai dessein de parler ci-après des établissements militaires; ainsi je renvoie à cet article ce que j'aurois à dire dans celui-ci.

Le liberum veto n'est pas un droit vicieux en lui-même; mais, sitôt qu'il passe sa borne, il devient le plus dangereux des abus: il étoit le garant de la liberté publique; il n'est plus que l'instrument de l'oppression. Il ne reste, pour ôter cet abus funeste, que d'en détruire la cause tout-à-fait. Mais il est dans le cœur de l'homme de tenir aux priviléges individuels plus qu'à des avantages plus grands et plus généraux. Il n'y a qu'un patriotisme éclairé par l'expérience qui puisse apprendre à sacrifier à de plus grands biens un droit brillant devenu pernicieux par son abus, et dont cet abus est désormais inséparable. Tous les Polonois doivent sentir vivement les maux que leur a fait souffrir ce malheureux droit. S'ils aiment l'ordre et la paix, ils n'ont aucun moyen d'établir chez eux l'un et l'autre tant qu'ils y laisseront subsister

ce droit, bon dans la formation du corps politique, ou quand il a toute sa perfection; mais absurde et funeste tant qu'il reste des changements à faire; et il est impossible qu'il n'en reste pas toujours, sur-tout dans un grand état entouré de voisins. puissants et ambitieux.

Le liberum veto seroit moins déraisonnable s'il tomboit uniquement sur les points fondamentaux de la constitution; mais qu'il ait lieu généralement dans toutes les délibérations des diétes, c'est ce qui ne peut s'admettre en aucune façon. C'est un vice dans la constitution polonoise que la législation et l'administration n'y soient pas assez distinguées, et que la diéte exerçant le pouvoir législatif y mêle des parties d'administration, fasse indifféremment des actes de souveraineté et de gouvernement, souvent même des actes mixtes par lesquels ses membres sont magistrats et législateurs tout à-la-fois.

Les changements proposés tendent à mieux distinguer ces deux pouvoirs, et par-là même à mieux marquer les bornes du liberum veto; car je ne crois pas qu'il soit jamais tombé dans l'esprit de personne de l'étendre aux matières de purc administration, ce qui seroit anéantir l'autorité civile et tout le gouvernement.

Par le droit naturel des sociétés, l'unanimité a été requise pour la formation du corps politique

et pour les lois fondamentales qui tiennent à son existence, telles, par exemple, que la première corrigée, la cinquième, la neuvième et l'onzième, marquées dans la pseudo-diéte de 1768. Or l'unanimité requise pour l'établissement de ces lois doit l'être de même pour leur abrogation. Ainsi voilà des points sur lesquels le liberum veto peut continuer de subsister; et puisqu'il ne s'agit pas de le détruire totalement, les Polonois, qui, sans beaucoup de murmure, ont vu resserrer ce droit par la diéte de 1768, devront sans peine le voir réduire et limiter dans une diéte plus libre et plus légitime.

Il faut bien peser et bien méditer les points capitaux qu'on établira comme lois fondamentales, et l'on fera porter sur ces points seulement la force du liberum velo. De cette manière on rendra la constitution solide et ces lois irrévocables autant qu'elles peuvent l'être; car il est contre la nature du corps politique de s'imposer des lois qu'il ne puisse révoquer; mais il n'est ni contre la nature ni contre la raison qu'il ne puisse révoquer ces lois qu'avec la même solennité qu'il mit à les établir. Voilà toute la chaîne qu'il peut se donner pour l'avenir. C'en est assez et pour affermir la constitution, et pour contenter l'amour des Polonois pour le liberum veto, sans s'exposer dans la suite aux abus qu'il a fait naître.

CONTRAT SOCIAL.

19

Quant à ces multitudes d'articles qu'on a mis ridiculement au nombre des lois fondamentales, et qui font seulement le corps de la législation, de même que tous ceux qu'on range sous le titre de matières d'état, ils sont sujets, par la vicissitude des choses, à des variations indispensables qui ne permettent pas d'y requérir l'unanimité. Il est encore absurde que, dans quelque cas que ce puisse être, un membre de la diéte en puisse arrêter l'activité, et que la retraite ou la protestation d'un nonce ou de plusieurs puisse dissoudre l'assemblée, et casser ainsi l'autorité souveraine. Il faut abolir ce droit barbare, et décerner peine capitale contre quiconque seroit tenté de s'en prévaloir. S'il y avoit des cas de protestation contre la diète, ce qui ne peut être tant qu'elle sera libre et complète, ce seroit aux palatinats et diétines que ce droit pourroit être conféré, mais jamais à des nonces qui, comme membres de la diéte, ne doivent avoir sur elle aucun degré d'autorité ni récuser ses décisions.

Entre le veto, qui est la plus grande force individuelle que puissent avoir les membres de la souveraine puissance, et qui ne doit avoir lieu que pour les lois véritablement fondamentales, et la pluralité, qui est la moindre et qui se rapporte aux matières de simple administration, il y différentes proportions sur lesquelles on peut dé

a

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