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la testimoniale, mais seulement lorsque l'objet sera preuve tellement modique, qu'il soit impossible de supposer que le bénéfice qui en résultera, soit suffisant pour payer les faux témoins que l'on pourrait employer. Tel est le motif de l'article 1341 du Code Civil, qui admet la preuve testimoniale pour les objets qui n'excèdent pas cent cinquante francs. En effet, comme, d'un côté, il faut au moins deux témoins pour faire une preuve; que, de l'autre, il faut supposer que le demandeur retirera également sa part du bénéfice, certainement une somme de cent cinquante francs, partagée en trois personnes, n'est pas suffisante pour les déterminer à encourir la peine de la réclusion, et même celle des travaux forcés, infligée au faux témoin, qui a reçu de l'argent de la partie en faveur de laquelle il a déposé.]...

[On excepte ordinairement de la disposition que, la loi n'a pas d'effet rétroactif, les lois interprétatives, c'est-à-dire celles qui font connaître dans quel sens on doit entendre une loi précédente. Il est vrai que l'effet de ces lois remonte ordinairement à la date de celles qu'elles interprètent; mais comme elles sont censées ne faire qu'un avec cette même loi, on ne peut pas dire, à proprement parler, qu'elles aient un effet rétroactif. Elles l'ont même si peu, qu'elles ne préjudicient en rien aux droits acquis irrévocablement à des tiers avant leur promulgation, quand même ces droits seraient contraires à l'interprétation qu'elles donnent de la loi primitive. On peut voir un exemple de ces principes dans les articles 2 et 3 de la loi du 4 septembre 1807, interprétative de l'article 2148 du Code. (Bulletin, no 2742.)

Nous ferons observer à cette occasion que l'on distingue, en droit, deux espèces d'interprétations: celle dont il s'agit ici, qui est faite par le Législateur lui-même, et qui se nomme interprétation par voie de réglement; et celle qui est faite par le juge ou par le jurisconsulte, et que l'on nomme interprétation par voie de doctrine. Elles diffèrent, en ce que la première détermine le sens de la loi d'une manière générale, et pour tous les cas semblables; au lieu que celle du juge ne s'applique, de droit, qu'à l'affaire qui a donné lieu à l'interprétation. Cependant l'interprétation,

même par voie de doctrine, lorsqu'elle est admise dans le même sens par les tribunaux, forme ce qu'on appelle la jurisprudence, et devient un moyen très-important en faveur de celui qui peut l'invoquer.

On a beaucoup écrit, fait beaucoup de raisonnemens, même métaphysiques, sur l'application du principé, que la loi n'a pas d'effet rétroactif. Obligé de parler à des étudians, et par conséquent de n'exprimer que des idées simples et à la portée de tout le monde, je vais tâcher de faire connaître, en très-peu de mots, comment ce principe me paraît devoir être appliqué. Je le considérerai sous cinq rapports principaux ; relativement aux délits, aux conventions, à la capacité des personnes, à la disponibilité, c'est-à-dire à la faculté de disposer de telle ou telle quotité de ses biens, et à la forme des actes.

Relativement aux délits. C'est un principe incontestable, et qui n'a jamais été révoqué en doute, qu'il ne peut jamais y avoir lieu à d'autre peine qu'à celle qui était établie par la loi en vigueur à l'époque à laquelle le délit a été commis. Cependant si la seconde peine est plus douce que la première, on est dans l'usage d'appliquer la seconde. Le Législateur, en adoucissant la première, a prouvé par-là qu'il la regardait comme trop rigoureuse.

Relativement aux conventions. Toutes les contestations relatives à la preuve ou à l'effet d'une convention, doivent être jugées d'après la loi qui était en vigueur à l'époque où la convention a été passée. Mais il faut qu'il s'agisse de l'effet direct de la convention. S'il s'agit seulement d'un fait relatif, à la vérité, à la convention, mais qui lui est postérieur, toutes les questions relatives à la preuve ou à l'effet de ce fait, doivent être jugées d'après la loi sous l'empire de laquelle le fait a eu lieu. Exemple:

Supposons qu'une loi élève en ce moment l'intérêt légal, en matière civile, à six pour cent. Il est formé, depuis, une demande en paiement d'une somme d'argent, due en vertu d'une obligation passée antérieurement à cette loi. Le paiement n'a pas lieu. Intervient jugement qui condamne le débiteur à payer le principal et les intérêts, à compter du jour

de la demande. Ces intérêts sont-ils dus sur le pied de cinq pour cent, taux légal de l'intérêt à l'époque du contrat, ou sur le pied de six pour cent, taux de la loi actuelle? Ils se ront dus sur le pied de six pour cent, parce qu'il ne s'agit point ici de l'effet direct de l'obligation, mais d'un fait qui lui est postérieur, c'est-à-dire, du non-paiement. Or, ce fait est arrivé sous l'empire de la nouvelle loi.

Par la même raison, le débiteur d'une rente, qui a, depuis le Code, laissé écouler deux ans sans payer les arrérages, peut être contraint au remboursement. (Depuis que j'ai écrit ceci, la question s'est présentée à la Cour de Cassation, et a été jugée conformément à cette opinion, le 6 juillet 1812. (Jurisprudence du Code Civil, Tom. 19, pag. 253,) Et le principe général paraît avoir été également consacré par deux autres arrêts de la même Cour; l'un du 5 février 1818, rapporté dans Sirey, 1819, 1 part., pag. 126; et l'autre du 16 juin suivant, ibid. pag. 188.

Il est évident, en effet, que ces différentes dispositions, quoique résultant des lois civiles, sont dans le fait des dispositions pénales, et que par conséquent elles doivent être appliquées, ainsi que nous l'avons déterminé relativement aux délits, toutes les fois que le fait qui y donne lieu, s'est passé depuis qu'elles sont établies. Par la même raison, je pense que l'on peut établir en principe général, que l'on peut user d'une prescription établie par une loi nouvelle, même à l'égard d'une obligation déclarée jusque là imprescriptible, en commençant à compter le délai du jour de la promulgation de la loi nouvelle; et que la même disposition doit être appliquée au cas d'une prescription plus courte, introduite par une loi de remplacement d'une plus longue. Celle doctrine est également consacrée par une disposition qui se trouve dans les lettres-patentes, portant promulgation du Code Prussien. Il y est dit, art. 17, que si, pour l'accomplissement d'une prescription déjà commencée au moment de la mise en activité dudit Code, il est fixé par la nouvelle loi un terme plus court que par l'ancienne, celui qui voudra s'autoriser d'une prescription ainsi raccourle pourra, mais à la charge de commencer à en comp

cie,

ter le temps, du jour de la mise en activité de la nouvelle loi seulement. Donc, à pari, s'il est établi par une loi nouvelle une prescription qui n'existait pas auparavant, on pourra en profiter, mais en ne faisant commencer le terme que du jour de la mise en activité de ladite nouvelle loi. Quant à la preuve, l'on doit admettre celle qui était admise par la loi en vigueur à l'époque à laquelle la convention a été formée. Si l'on suppose donc, qu'une loi réduise en ce moment à 100 fr., la somme pour laquelle la preuve par témoins peut être admise, l'on pourra néanmoins encore (conformément à l'art. 1341 du Code Civil) prouver de cette manière toutes les obligations passées sous l'ancienne loi, et qui n'excéderaient pas 150 francs. Sic jugé en cassation le 18 novembre 1806. (SIREY, 1813, 1гe partie, pag. 411.)

Relativement à la capacité des personnes. Les Lois sur la capacité saisissent les personnes au moment où elles sont promulguées. En conséquence, chaque individu qui se trouve compris dans la disposition de la loi, de capable qu'il était, devient incapable, ou d'incapable devient capable, suivant la disposition de la nouvelle loi, et à compter de sa promul gation: bien entendu, sans préjudice pour la validité des actes qui ont pu être passés auparavant, qui étaient valides d'après l'ancienne loi.

Relativement à la disponibilité. Il faut distinguer: lorsque l'acte de disposition a eu son effet du moment de sa confection, tellement qu'il ne fût plus au pouvoir du donateur d'en annuler l'effet, la disponibilité doit être réglée d'après la loi qui était en vigueur au moment de l'acte même. Ce principe s'applique aux donations de biens présens, et même aux institutions contractuelles, quoique ces institutions n'ôtent pas au donateur le droit d'aliéner ses biens à titre onéreux. En effet ces sortes d'institutions n'étant autre chose que la donation de la succession, il suffit que le donateur ne puisse, par aucun acte postérieur, priver le donataire du droit d'appréhender la succession de lui donateur, pour que cela imprime à l'acte un caractère d'irrévocabilité, et par consé

quent, pour que les effets en soient déterminés d'après la loi qui était en vigueur au moment où il a été fait.

Mais si l'acte de disposition est tel qu'il n'en résulte pour le donataire aucun droit quelconque indépendant de la volonté du donateur, tellement que celui-ci puisse l'anéantir tout-à-fait par un simple acte de sa volonté, alors la disponibilité doit se régler par la loi qui se trouve en vigueur au moment du décès. Tels sont les testamens. C'est en effet au moment même du décès, que le testateur est censé saisir son légataire, et lui transmettre la propriété de l'objet légué; c'est donc ce moment seul qu'il faut considérer, pour déterminer la quotité dont le testateur a pu disposer. Cependant un arrêt de Nîmes, du 2 janvier 1819 (Sirey, 1819; 2° partie, pag. 289) paraît avoir jugé le contraire. Mais il y avait dans la cause des circonstances particulières, qui ont pu déterminer le jugement.

Relativement à la forme des actes. L'acte est valable pour tout le temps qu'il peut avoir eifet, quand il a été fait suivant les formes requises par les lois en vigueur, à l'époque de sa confection. En effet, il était dès lors parfait : ce serait donner à la loi nouvelle un effet rétroactif, que de prétendre qu'elle peut ôter à cet acte le caractère de perfection qu'il avait acquis.

Tel est le petit nombre de principes à l'aide desquels je pense qu'on doit résoudre la plupart des questions qui peuvent s'élever relativement à la non-rétroactivité des lois.]

2o Les Lois naturelles étant essentiellement équitables et l'objet naturel de la raison, on ne peut pas dire qu'on les ignore, parce que ce serait dire que l'on manque des lumières de la raison, qui nous les enseigne. Elles ont donc leur effet, et sont obligatoires pour tout individu ayant l'usage de raison, sans avoir besoin d'aucune promulgation. Les Lois positives, au contraire, n'étant pas naturellement connues des hommes, sont comme des faits l'on que peut ignorer, et ne sont en conséquence obligatoires qu'après avoir été légalement publiées (2).

5o. Enfin, les Lois positives étant assez souvent des modifications que l'état de société a obligé d'apporter aux dis

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