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LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Il est vrai qu'il les connoît mal, mais il les paye bien; et c'est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose.

LE MAÎTRE A DANSER.

Pour moi, je vous l'avoue, je me repais un peu de gloire. Les applaudissemens me touchent; et je tiens que, dans tous les beaux arts, c'est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que d'essuyer sur des compositions la barbarie d'un stupide. Il y a plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d'un art; qui sachent faire un doux accueil aux beautés d'un ouvrage, et, par de chatouillantes approbations, vous régaler de votre travail. Ouí, la récompense la plus agréable qu'or. puisse recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues, de les voir caressées d'un applaudissement qui vous honore. Il n'y a rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela dè toutes nos fatigues; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées!

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

J'en demeure d'accord; et je les goûte comms vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissemens que vous dites; mais cet encens ne fait pas vivre. Des louanges, toutes pures, ne mettent point un homme à son aise. 11 y faut mêler du solide; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec les mains. C'est un homme, à la vérité, dont les lumieres sont petites, qui parle à

tort et à travers de toutes choses, et n'applaudit qu'à contre-sens; mais son argent redresse les jugemens de son esprit. Il a du discernement dans sa bourse. Ses louanges sont monnoyées; et ce Bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand Seigneur éclairé qui nous a introduits ici.

LE MAÎTRE A DANSER.

Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites, mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l'argent; et l'intérêt est quelque chose de si bas qu'il ne faut jamais qu'un honnête homme montre pour lui de l'attachement.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Vous recevez fort bien pourtant l'argent que notre homme vous donne?

LE MAÎTRE A DANSER.

Assurément mais je n'en fais pas tout mon bonheur, et je voudrois qu'avec son bien il eût encore quelque bon goût des choses.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Je le voudrois aussi ; et c'est à quoi nous travaillons, tous deux, autant que nous pouvons. Mais en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connoître dans le monde, et il paiera pour tous les autres, ce que les autres loueront pour lui.

LE MAÎTRE A DANSER.

Le voilà qui vient.

SCENE II.

M. JOURDAIN, en robe-de-chambre et en bonnet de nuit; DEUX LAQUAIS, LE MAITRE DE MUSIQUE, LE MAITRE A DANSER, L'ÉLEVE du maître de musi UNE MUSICIENNE, DEUX MUSICIENS, TROUPE DE DANSEURS.

que,

M. JOURDAIN, au Maître de musique et au Mattre

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à danser.

bien, Messieurs? qu'est-ce? Me ferez-vous votre petite drôlerie ?

LE MAÎTRE A

DANSER.

Comment? quelle petite drôlerie?

M. JOURDAIN.

Hé, là.... Comment appellez-vous cela? votre Prologue, ou Dialogue, de chansons et de danse?

Ah! ah!

LE MAÎTRE A DANSER.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE, à M. Jourdain. Vous nous y voyez préparés.

M. JOURDAIN.

Je vous ai fait un peu attendre, mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de qualité et mon Tailleur m'a envoyé des bas de soie que j'ai pensé ne mettre jamais.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir.

M. JOURDAIN.

Je vous prie tous deux de ne vous point en aller qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir.

LE MAÎTRE A DANSER.

Tout ce qu'il vous plaira.

M. JOURDAIN.

Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à la tête!

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Nous n'en doutons point!

M. JOURDAIN, montrant sa robe-de-chambre. Je me suis fait faire cette indienne-ci.

LE MAÎTRE A DANSER.

Elle est fort belle !

M. JOURDAIN.

Mon Tailleur m'a dit que les gens de qualité étoient comme cela le matin,

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Cela vous sied à merveille!

M. JOURDAIN, aux Laquais.

Laquais! holà! mes deux Laquais !

LE PREMIER LAQUAIS,

Que voulez-vous, Monsieur?

M. JOURDAIN.

Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien.... (Au Matire de Musique et au Maître à danser, en leur montrant les habits de ses Laquais.) Que dites-vous de mes livrées ?

LE MAÎTRE A DANSER.

Elles sont magnifiques !

M. JOURDAIN, entr'ouvrant sa robe, et faisant voir son haut-de-chausse étroit de velours rouge, et sa camisole de velours verd.

Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin mes exercices.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Il est galant!

M. JOURDAIN, aux Laquais.

Laquais ?

LE PREMIER LAQUAIS.

Monsieur ?

M. JOURDA I N.

L'autre Laquais ?

LE SECOND LAQUAIS.

Monsieur?

M. JOURDAIN, бtant sa robe-de chambre. Tencz ma robe.... (Au Maitre de Musique et au Maire à danser.) Me trouvez-vous bien comme cela? LE MAÎTRE A DANSER.

Fort bien on ne peut pas mieux !

M. JOURDAIN.

Voyons un peu votre affaire.

LE MAÎTRE DE MUSIQUI.

Je voudrois bien auparavant vous faire entendre un air (Montrant son Eleve) qu'il vient de composer pour la sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de mes Écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable!

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