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du langage d'un homme, avec les airs et les diss cours qu'il veut affecter, qui font un ridicule plaisant. Cette espece de ridicule ne se trouve point dans des Princes ou dans des hommes élevés à la Cour, qui couvrent toutes leurs sottises du même air et du même langage; mais ce ridicule se montre tout entier dans un Bourgeois élevé grossierement, et dont le naturel fait, à tout moment, un contraste avec l'art dont il veut se parer. C'est ce naturel grossier qui fait le plaisant de la Comédie; et voilà pourquoi ce n'est jamais que dans la vie commune qu'on prend les personnages comiques. Le Misantrope. est admirable; Le Bourgeois Gentilhomme plaisant. Les quatre premiers actes de cette Piece. peuvent passer pour une Comédie : le cinquieme est une Farce, qui est réjouissante, mais trop peu vraisemblable. Moliere auroit pu donner moins de prise à la critique, en supposant quelqu'autre homme que le fils du Grand Turc mais il cherchoit par ce divertissement plutôt à réjouir qu'à faire un Ouvrage régulier. Lully qui fit la musique du Ballet, y joua comme dans Pourceaugnac. »

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Lully, sous le nom emprunté du sieur Chiaccherone, chanta et joua, avec beaucoup de gaieté, le rôle du Mufti, aux représentations qui furent données de cette Piece, devant le Roi, à Chambord et à Saint-Germain-en-Laye. Cela lui fit même un obstacle lorsque quelque tems après, il voulut entrer dans la compagnie des Secrétaires du Roi, de laquelle il avoit acheté une charge. Mais faisant observer que ce n'étoit que pour le Roi seul qu'il avoit joué Pourceauznac et le Mufti du Bourgeois Gentilhomme, le Ministre, M. de Louvois, fit lever la difficulté, et les Secrétaires du Roi ne purent se dispenser d'admettre Lully parmi eux.

« Aucune Piece n'avoit encore autant inquiété Moliere sur son succès que Le Bourgeois Gentilhomme, après la premiere représentation de Chambord, dit M. Bret, dans l'Avertissement qu'il a mis au-devant, et les Observations à la suite de cette Piece. Louis XIV, à son souper, n'en dit pas un mot à l'Auteur; et ce silence qui fut pris pour une improbation du Maître, donna carriere à toutes les décisions précipitées du mauvais goût. Moliere n'y est plus, disoient quelques Courti sans, fatigués de voir au milieu d'eux un cen

seur qui pouvoit, au premier jour, révéler leurs ridicules particuliers au Public, il extravague. Le voilà tombé dans la Farce Italienne. Que veut-il dire avec son Halaba Balachou ? &c. »>

«Il se passa malheureusement plusieurs jours entre cette premiere représentation de Chambord et la seconde ; de sorte que le supplice de Moliere fut bien long! Il n'osa se montrer, diton, pendant cet intervalle; et Baron, qu'il envoyoit à la découverte, ne rapportoit rien de consolant. Il ne reconnoissoit plus son Maître, dont le goût, toujours sûr, sembloit l'avoir abandonné cette fois. Mais quel fut son triom phe, lorsqu'après la seconde représentation le même Prince lui dit hautement qu'il trouvoit sa Piece excellente, que rien ne l'avoit encore plus amusé, et que s'il ne lui avoit rien dit le premier jour, c'étoit dans la crainte d'avoir été séduit par la perfection du jeu des Acteurs! Dès ce moment les mauvais plaisans se turent; et après avoir annoncé la chûte du Bourgeois Gentilhomme, ils ne rougirent pas de se montrer au nombre de ses admirateurs. Nous ne pouvons trop le faire remarquer; c'est à la protection ouverte dont Louis XIV honora toujours Moliere que nous

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devons la plupart des chef-d'œuvres de ce grand homme. Sous un Maître moins éclairé, moins ami du vrai mérite, on eut étouffé ses talens, presque dès leur naissance. Le Bourgeois Gentilhomme étoit décrié par les Courtisans ; Louis XIV parle, et cet Ouvrage n'a plus d'ennemis. Quelle reconnoissance ne doivent pas les Lettres à ce Prince ?....>>

« Le succès du Bourgeois Gentilhomme ne fut point balancé à Paris. Le sens droit de Madame Jourdain, ainsi que sa naïve brusquerie; les complaisances intéressées et basses de Dorante, la gaieté ingénue de Nicole, le bon esprit de Lucile, la noble franchise de Cléonte, la subtilité féconde et gaie de Covielle, et la brusque vanité des différens Maîtres d'Arts et de Sciences, jettoient, à l'envi, le jour le plus heureux sur le ridicule principal de M. Jourdain. Tout étoit marqué au coin de la nature et de la bonne plaisanterie dans le corps de l'Ouvrage, et fit passer l'exagération bouffonne de la cérémonie Turque. »>

« La fausseté sociale de vouloir paroître plus qu'on n'est ne pouvoit échapper au pinceau de Moliere. Élevé par un pere sage et modéré, qui

content de la médiocrité de son état n'en avoit point destiné d'autre à son fils, c'étoit à lui de veiller au soutien des mœurs, auxquelles il importera toujours qu'en général chacun se plaise dans la situation où l'a placé la Providence, et qu'une vaine sotte et dangereuse inquiétude n'en fasse pas trop souvent et impunément franIchir les bornes. >>

« L'homme de génie et d'humeur (J. J. Rousseau) contre lequel, continue M. Bret, nous avons déja eu à défendre Moliere, n'a pas mieux jugé du Bourgeois Gentilhomme que du Misantrope, de L'Avare et de George Dandin. (Voyez les Jugemens et Anecdotes sur Le Misantrope, tome dix-septieme, ceux sur L'Avare, tome dix-huitieme, et ceux sur George Dandin, tome vingtieme des Comédies du Théatre François de notre Collection.) Quel est le plus blámable, dit-il, (J. J. Rousseau) dans sa Lettre adressée à M. d'Alembert, sur les Spectacles, d'un Bourgeois sans esprit et vain qui fait sottement le Gentilhomme, ou du Gentilhomme fripon qui le dupe? Dans la Piece ce dernier n'est-il pas l'honnête homme? N'a-t-il pas pour lui l'intérêt, et le Public n'applaudit-il pas à tous les tours qu'il fait à

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