Images de page
PDF
ePub

timidité, le jeune médecin néglige la saignée, et le malade meurt le septième jour. M. Vitet sentit amèrement sa faute. Avertit par ce cruel revers de ce que la médecine exige de qui ose l'exercer, et ne se croyant plus digne de traiter les maladies, il s'en interdit pour un tems le privilége; il reprend ses études, ses lectures, ses observations; et refaisant au lit du malade toute son éducation médicale, il abdique en quelque sorte le doctorat, pour ne plus l'obtenir que de son propre suffrage. M. Vitet persista plusieurs années dans cette louable sévérité : mais avec de nouvelles lumières, il reprit une nouvelle confiance, jusqu'à ce qu'enfin les sollicitations de ses amis ? et sur-tout le sentiment légitime qu'il avait de ses forces, mirent un terme à cette interdiction volontaire.

Rentré dans la carrière que ses scrupules lui avaient presque fermée, il passa dix ans à donner, l'hiver et le printems, des démonstrations publiques d'anatomie et de chimie, qui eurent le plus grand éclat. Il publia quelques écrits polémiques; et de concert avec deux médecins de ses amis, il fit dans les hôpitaux deux espèces d'observations fort importantes. Les premières avaient pour objet de constater ou de renverser la nouvelle doctrine de Solano sur les variétés du pouls; doctrine présentée par Borden avec des modifications si délicates qu'on n'osait trop s'y fier. Les secondes étaient relatives au régime des hôpitaux et aux moyens d'en corriger les abus.

Comme on le voit, les premières observations n'intéressaient que la science : les secondes intéressaient le public. Il faut se souvenir qu'à cette époque, dans les hôpitaux de Lyon, comme ailleurs, deux malades, quelquefois trois, quatre, et même cinq, occupaient le même lit, pêlemêle, et jetés les uns sur les autres. Les salles toujours encombrées étaient privées d'air. Il n'y avait pour ce grand nombre de malheureux que peu de médecins. Il résultait de cette disproportion et de la nécessité du service, que les visites étaient faites en courant et comme à la volée. Cette légèreté forcée tournait malheureusement en habitude.

[ocr errors]
[ocr errors]

Aucun traitement n'était raisonné aucune observation suivie. L'expérience des médecins était perdue, ou plutôt il n'y avait pas d'expérience. La pratique, la pharmacie le formulaire fourmillaient d'erreurs, et la mortalité était effrayante. Comment n'être pas frappé de tant de maux à la fois M. Vitet le fut plus que personne. Il le dit et fut persécuté : mais la publicité qu'il donna à ses Mémoires, l'approbation de tous les médecins distingués de l'Europe, le tems et la vérité entraînèrent enfin l'opinion publique. Une administration plus humaine et plus éclairée adopta les réformes proposées par M. Vitet et par ses collègues, et leur décerna ainsi la scule récompense dont leur zèle pût être touché.

Mais l'envie est un sentiment trop haineux pour qu'on en puisse étouffer jusqu'à la dernière semence. On dirait que le bien, comme le mal, ne reste jamais impuni. Dans la vivacité de leur triomphe, les trois amis obtiennent de la ville et du collège des médecins qu'il sera construit à Lyon un laboratoire de chimie, un cabinet d'histoire naturelle, et un amphithéâtre pour les démonstrations anatomiques. On attache à ce nouvel établissement trois chaires que les trois amis se partagent. Les cours sont ouverts; les élèves accourent en foule : mais la jalousie ourdit sourdement sa trame. On fait circuler des bruits alarmans; l'envie et la malveillance échauffent la plus dangereuse des passions, le fanatisme. Le peuple s'ameute; les partis se rencontrent et se choquent: au milieu du tumulte et de la fureur, on fait irruption dans la salle des médecins; on pille, on disperse; on détruit par la flamme peu s'en faut que l'incendie ne gagne le collége et la bibliothèque publique. L'autorité songea trop tard à réprimer le scandale et à prévenir l'effusion du sang. Les professeurs que l'on accusait de disséquer des enfans tout vivans, furent dépouillés; et sur la permission de l'archevêque, les prêtres de l'Oratoire s'étant approprié les salles où se faisaient les cours, cet utile établissement fut ruiné

sans ressource.

Peu de tems après, une cause célèbre, celle de la fille Lerouge, fut portée devant les tribunaux de Lyon. On accusait les frères Para d'avoir étranglé cette fille, et de l'avoir précipitée dans le Rhône. Heureusement pour les accusés, M. Vitet venait de faire paraître un Mémoire sur les noyés Mémoire fondé sur des observations anatomiques très-précises, et où il combattait, sur des points essentiels, le sentiment de l'illustre Louis. Ce mémoire éclaira la religion des juges, et sauva l'innocence et la vie aux frères Para.

Vers la même époque, le ministère fondait à Lyon et à Paris des écoles vétérinaires, sous la direction de Bourgelat. Un petit incident (1) inspira à M. Vitet le désir d'étudier à fond l'organisation du cheval, du bœuf et de la brebis. Il réunit dans des écuries séparées, plusieurs de ces animaux malades; il s'attacha à suivre de l'œil la marche de leurs diverses maladies, et l'action si variée des médicamens. Enfin, après douze ans d'un travail opiniâtre, il publia, en 3 vol. in-8. un Traité de Médecine vétérinaire: ouvrage qui se répandit bientôt dans toute l'Europe, qui fut traduit en plusieurs langues, et dont les progrès de l'art vétérinaire n'ont point encore fait oublier le mérite.

A peine ce grand ouvrage terminé, le collége des médecins invita M. Vitet à composer une Pharmacopée. Malgré le nombre presque incroyable de recherches et d'expériences qu'il fallut faire pour donner quelque solidité à un `travail aussi ingrat d'ailleurs, M. Vitet publia, au bout de cinq ans, la Pharmacopée de Lyon, un vol. in-4. 1778. Toutes les parties de l'art pharmaceutique y sont traitées avec le plus grand soin. L'auteur y avait joint ses vues propres sur l'action des médicamens, et sur la classification des maladies. Il était bien difficile qu'un ouvrage de

(1) Bourgelat avait chassé de son école un professeur qui s'occupait, avec M. Vitet, d'anatomie comparée.

cette nature et de cette étendue fût reçu avec un applaudissement universel. Quelques esprits jaloux ou délicats s'offensèrent du titre. On contesta à M Vitet le droit d'en décorer son ouvrage. L'affaire devint sérieuse; les tribunaux intervinrent, et par le crédit de la faculté de médecine, le parlement de Paris prononça la suppression d'un titre qui paraissait usurpé. Dans ce singulier procès, on voit moins la présomption de M. Vitet que l'infidélité de ses confrères; il ne voulut s'en venger que par de nouveaux succès. Pendant les quatre années de 1780 à 1784, il publia chaque semaine, avec un collaborateur digne de lui, un Journal de Médecine, où ces deux écrivains consignaient l'histoire des maladies précédentes, les bons effets des remèdes, les précautions d'hygiène à prendre pour l'avenir, et les observations météorologiques de chaque jour.

[ocr errors]

La réputation toujours croissante et l'infatigable activité de M. Vitet furent enfin remarquées de l'administration. Un intendant de Lyon, M, de Flesselles, jeta sur lui les yeux pour l'établissement d'une école gratuite en faveur des sages-femmes de la campagne. Cette école était si nécessaire, elle fut fondée avec une telle sagesse, et produisit des effets si heureux, que c'est la seule institution qui ait résisté aux ravages de la politique, et qu'elle subsiste encore aujourd'hui, seulement avec de légères modifications.

Cependant M. Vitet, dans le cours d'une pratique trèsétendue et très-heureuse, avait formé un recueil immense d'observations sur les maladies. Ces observations étaient faites au lit du malade; elles étaient suivies jour par jour, et, pour ainsi dire, phénomène par phénomène. Les maladies y étaient représentées au vif, avec toutes les physionomies que leur font prendre successivement, soit l'action spontanée de la nature, soit l'action des remèdes, et les secours du médecin. M. Vitet se préparait à mettre à profit ces précieux matériaux; il allait en construire un grand ouvrage pratique, sous le titre de Médecin du Peuple,

[ocr errors]

lorsque les événemens de, 1789 éclatèrent. Le mouvement qu'ils imprimèrent à toute la France engagea M. Vitet dans les affaires publiques. Il fut notable, administrateur du district, maire de Lyon pendant deux ans ; et par l'inévitable effet de cette rapidité de choses qui entraînait les volontés avant qu'elles eussent le tems de se former, il fut député en 1792 à la Convention nationale. Enveloppé dans le siége de Lyon, fugitif et proscrit, il se tint un an caché dans le canton de Zurich, et ne quitta la Suisse que lorsqu'il lui fut permis de reprendre en France ses droits de citoyen et ses fonctions de député. L'heureuse révolution du 18 brumaire le fit enfin sortir des agitations politiques, et le rendit à luimême et à ses occupations favorites.

Dans le calme de sa nouvelle situation, il reprit ses travaux qu'il se reprochait presque d'avoir abandonnés. Trois ouvrages importans sortirent bientôt et presque en même tems de ses mains. Le premier était le Médecin du Peuple, interrompu depuis tant d'années; le second, sa Médecine expectante, qui parut à Paris, en 6 vol. in-8°. sous la date de 1803; le troisième, à l'impression duquel il n'a pu présider, est un Traité sur la Sangsue médicinale, Traité entièrement neuf, et sans contredit le plus complet qu'on pût attendre sur une telle matière. Nous ne devons entrer ici dans aucun détail sur le mérite de ces ouvrages. Le peu que nous en avons dit suffira sans doute pour faire entrevoir dans quel esprit ils ont été composés. Les médecins y ont trouvé des répétitions, une méthode défectueuse, des négligences et quelques singularités dans les préceptes de traitement; il y a des parties qui ne sont qu'ébauchées. En revanche, ils y ont reconnu une grande variété d'observations, de la simplicité dans les vues, des remarques originales; en un mot, toute l'empreinte d'un esprit indépendant et expérimenté.

Le trait le plus propre à caractériser la pratique de M. Vitet, on le trouve dans le titre de son grand ouvrage -de la Médecine expectante. L'expectation était son moyen de prédilection. Il laissoit marcher librement une maladie,

« PrécédentContinuer »