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volonté de l'État qui entend se soumettre à ce régime : c'est la neutralité permanente volontaire et érigée en maxime d'État par un pays.

Elle peut enfin trouver son titre de naissance dans la volonté concordante de deux parties, dont l'une assume et dont l'autre reconnaît pareille ligne de conduite, avec les conséquences juridiques qui se rattachent à cet accord des volontés c'est la neutralité permanente conventionnelle.

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La neutralité permanente, créée en dehors de toute participation de la nation soumise à ce régime et résultant de la contrainte exercée sur celle-ci par un ou plusieurs autres États, n'est qu'un abus de la force qui ne lie point l'État ainsi neutralisé. Mais il convient d'observer qu'un régime, violent à son origine, peut devenir autre dans son cours. D'autre part, il ne faut pas considérer comme imposée par la violence pure toute neutralité permanente contractée sous l'empire de certaine pression politique. Alors même que l'une des parties aurait, dans. des conditions d'influence plus grande, « dicté la loi du contrat », le concours des deux volontés à l'acte constitutif de la neutralité confère à celle-ci un caractère contractuel.

2.

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Neutralité permanente volontaire
érigée en maxime d'État.

Il y a neutralité permanente volontaire érigée en maxime d'État lorsqu'une nation manifeste à suffisance et réalise en conséquence sa volonté d'adopter en prin

cipe, comme règle invariable de conduite, la non-participation aux conflits armés entre d'autres États. Remarquons bien qu'il ne suffit pas, pour donner naissance à cette institution, qu'une nation demeure en fait, pendant un temps plus ou moins long, étrangère aux luttes violentes qui peuvent se produire : car il peut n'y avoir là qu'une succession de manifestations de la neutralité occasionnelle. Il faut une affirmation non douteuse de volonté concernant l'adoption en principe de cette ligne de conduite. Le Statut constitutionnel peut d'ailleurs donner à cette affirmation le caractère d'une loi fondamentale de l'État.

Les hommes sont si habitués au spectacle de la violence, jouant le rôle de Deus ex machina dans les rapports internationaux, qu'ils en viennent à considérer comme anormales et presque illégitimes les situations où éclate, dans une pureté inaccoutumée, la vérité juridique.

S'il est un pouvoir d'un usage facultatif pour un État souverain, c'est à coup sûr celui de s'associer en quelque manière, pour ce qui le concerne, aux luttes armées entre d'autres États. Un État ne fait rien que de parfaitement légitime en soi en déclarant publiquement sa ferme volonté de demeurer une fois pour toutes étranger à ces mêlées sanglantes, en élevant sa neutralité permanente à la hauteur d'une maxime d'État.

L'adoption en principe d'une telle ligne de conduite non seulement constitue un usage licite, mais peut constituer un usage éclairé de la souveraineté. Elle peut avoir sa raison d'être et trouver sa justification dans les convictions juridiques d'un peuple, dans la claire vue de ses intérêts permanents, dans la constatation de sa situation géographique particulière, dans la conscience de sa vocation au sein des nations civilisées.

Cette ligne de conduite n'est pas sans péril, en tant qu'elle peut créer l'isolement dans l'insécurité. Mais elle peut être recommandable comme étant en harmonie avec certaines situations déterminées.

Certes, un petit État n'a pas à rougir si, tout en pourvoyant, suivant les conseils de la prudence, à la sécurité nationale, il garde la réserve qui répond à une sage appréciation de lui-même et de ses modestes destinées, et s'il renonce en conséquence à jouer, dans ce qu'on a appelé «< la grande politique internationale », un rôle aventureux où les haines redoutables menacent d'alterner pour lui avec les dangereuses protections. Dire qu'un tel État n'a point de « mission historique », c'est confondre un peu trop, ce semble, mission historique avec guerre et conquête; c'est oublier qu'il y a des vocations d'ordre pacifique qui ont leur raison d'être comme leur honneur dans la communauté des nations.

En ce qui concerne les grands et puissants États, encore qu'une telle attitude ne soit pas impossible à prendre par eux et puisse même, à certains égards, exercer une influence considérable sur les destinées pacifiques du monde, il n'appert pas qu'il faille s'attendre à de prochains exemples semblables de leur part. Il faut même reconnaître que les inconvénients attachés à une pareille ligne de conduite sont de nature à en rendre isolément l'adoption difficile à nombre de petits États.

L'ancienne neutralité suisse, celle de Venise et celle de la principauté de Liége, à certaines époques de leur histoire, ont revêtu le caractère de neutralité permanente érigée en maxime d'État.

La neutralité des États-Unis, quant aux guerres européennes, a été l'objet de déclarations solennelles qui

peuvent la faire ranger, à certains égards, dans la catégorie des neutralités de principe.

En revanche, la neutralité traditionnellement observée par plusieurs États secondaires, tels que la Hollande, n'a pas été suffisamment éclaircie pour qu'on lui attribue ce caractère.

La neutralité permanente érigée en maxime d'État ne peut, en effet, comme nous l'avons déjà observé, — être confondue avec une série plus ou moins longue de manifestations de la neutralité occasionnelle. Elle suppose comme élément caractéristique l'expression non douteuse de la volonté d'un État portant sur l'adoption en principe de la neutralité.

L'examen de la neutralité érigée en maxime d'État n'est pas sans importance pour élucider plus d'un problème concernant les neutralités permanentes. L'institution à étudier dans ses développements ultérieurs se révèle ici en quelque sorte dans sa forme la plus simple, avec tous les éléments et les seuls éléments qui lui sont essentiels, abstraction faite des modifications et adjonctions variables que peuvent y apporter les conventions particulières.

Pour ce qui regarde l'exacte situation juridique des autres puissances à l'égard du régime spécial ainsi adopté, il y a lieu de faire les observations que voici.

L'État qui a érigé la neutralité permanente en maxime d'État n'ayant fait autre chose qu'un usage licite de sa souveraineté, les autres États doivent respecter cet usage, en ce sens qu'ils ne peuvent légitimement ni attraire ni impliquer cet État dans leurs hostilités à eux. Ce serait là violer, à son égard, une des obligations les plus reconnues du droit des gens général, obligation qui subsiste indépendamment des conventions particulières qui peu

vent la confirmer. Mais les autres États n'ont pas renoncé, à l'égard de l'État qui se proclame neutre dans ces conditions, au droit de guerre comme ultima ratio de la revendication de leurs droits propres. Le neutre à titre permanent ne jouit donc d'aucune inviolabilité spéciale à ce point de vue.

D'autre part, cet État peut renoncer en forme équitable à la neutralité permanente; et la conséquence de l'abandon de cette ligne de conduite sera de le faire retomber dans le droit commun sur toute la ligne et à tous égards. Les conditions dans lesquelles il aura agi peuvent être plus ou moins loyales. Elles pourront ébranler plus ou moins la confiance qu'il a inspirée, mais il ne violera par son acte aucune obligation contractuellement assumée. Abstraction faite du caractère d'engagement que peuvent revêtir des manifestations de volonté faites dans certaines circonstances données, il perdra seulement pour l'avenir le bénéfice qui peut s'attacher à la fidélité d'un État à conformer sa conduite aux fermes déclarations qu'il émet.

Ce cas réservé, il est juste de reconnaître qu'une neutralité de principe séculairement affirmée, pratiquée et consacrée même au besoin dans la Constitution d'un État, peut imprimer à la direction d'un gouvernement une telle forme traditionnelle qu'il en résulte une orientation stable à l'égal de celle qui pourrait reposer sur des conventions internationales. « Trois siècles de l'histoire de la Suisse, dit excellemment Schweizer, démontrent que sans traité international, sans protection, sans garantie du dehors, un petit État peut conserver en droit et en fait sa neutralité érigée en maxime d'État (1).

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(1) Schweizer, Geschichte der schweizerischen Neutralität, p. 74.

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