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certes ne se peut justifier, mais simplement pour déployer plus commodément le front de leur armée : ce qui est autrement injustifiable.

Nous estimons que pour conseiller la prudence au pays, il n'est aucunement nécessaire de formuler des thèses subversives de tout droit comme de notre condition internationale, et de détruire de nos propres mains l'importance et la loyauté des garanties que nous ont données les puissances.

En se plaçant à un point de vue qui n'est pas ici sans importance, il semble bien difficile de saisir comment le sentiment de l'honneur, de l'honneur militaire comme de tout autre honneur, se concilie avec la thèse qui soutient que l'on peut sans forfaire atteindre un ennemi en perçant le cœur d'un ami. A prétendre ainsi affranchir l'armée de tout frein à l'égard du droit dans ce qu'il a de plus respectable, ne court-on pas le risque d'enlever à cette grande institution toute noblesse et tout respect? Car la haute considération qui s'attache justement à l'armée tient précisément à ce qu'elle est la représentation non de la violence pure, mais de la force au service du droit dans ce qu'il a de plus sacré la défense nationale.

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Quant aux publicistes sans responsabilité, dont les opinions sont parfois alignées avec quelque complaisance dans de graves écrits, et dont les uns, écrivains français, croient pouvoir définir la neutralité belge « une simple expression diplomatique, c'est-à-dire rien au point de vue militaire », pendant que pendant que les autres, écrivains allemands, disent à leur tour: «<< qu'on le sache bien, la neutralité belge ne pèsera pas un fétu de paille dans la décision de l'état-major allemand »>, ils ne devraient pas oublier

que les traités de 1859 ont un caractère strictement synallagmatique et que l'on ne comprendrait pas que la Belgique fût tenue de rester neutre et que les Puissances ne fussent plus astreintes à l'obligation de respecter et de garantir sa neutralité. Le principe de la réciprocité des obligations, << sans lequel il n'y aurait point de droit des gens (1) », est inéluctable. Les publicistes qui parlent de la caducité juridique ou pratique des traités de 1839 admettraient-ils que la Belgique fût libre de tirer toutes les conséquences de leurs prémisses et de s'allier avec qui bon lui semble au détriment de leur pays? Nous ne le pensons pas. Que l'intérêt s'unisse donc à la raison pour les rendre plus sages! La neutralité belge n'est pas et ne peut pas être l'isolement dans l'insécurité. Elle est l'amitié de tous dans une sécurité réciproquement promise, loyalement procurée en une mesure raisonnable par la Belgique aux Puissances, rigoureusement respectée et garantie par elles à notre pays.

Le droit, nous le savons et nous l'avons rappelé, n'est pas tout dans le monde. Mais ce serait une erreur en sens contraire de supposer qu'il ne fût rien. Nous ne devons pas douter de notre droit. Nous ne devons pas permettre qu'on en doute ou qu'on l'obscurcisse. Et il n'est pas sans importance de constater que tous les arguments allégués pour invalider les traités de 1839 se retournent contre leurs auteurs et deviennent des témoins qui les confondent. Quatre États vivent aujourd'hui dans notre monde international sous le régime de la neutralité permanente la Suisse depuis 1815, la Belgique depuis 1831, le Grand-Duché de Luxembourg depuis 1867, l'État

(1) FUNCK-BRENTANO et ALBERT SOREL, Précis de droit des gens. Paris, 1877, p. 357.

Indépendant du Congo depuis 1885. Aucune atteinte effective n'a été portée à l'inviolabilité d'aucun d'eux depuis leur origine. Les garanties stipulées ont de même été, le cas échéant, loyalement prestées. C'est là un fait digne d'être remarqué. Et s'il n'est pas permis d'en tirer des conséquences optimistes, il convient pourtant d'observer que chaque progrès de la raison publique, chaque conquête du droit des gens, tous les facteurs si puissants et si variés qui concourent à l'affermissement dans le monde du sentiment de la justice, sont de nature à consolider la constitution des États qui représentent par excellence la vie pacifique des nations et les éléments stables de l'équilibre international.

CHAPITRE IV.

La

La sphère générale de rayonnement, dans le monde juridique, de la Constitution internationale de la Belgique. Les contractants immédiats. généralisation du ressort d'application des traités de 1839.

§ 1. LE RÉSEAU JURIDIQUE INITIAL.

Les traités conclus à Londres le 19 avril 1859 comprennent des conventions de trois ordres distincts.

I. Traité de dissolution du royaume des Pays-Bas entre la Hollande et les cinq Puissances. La Belgique n'y est point partie contractante. Ce traité renferme :

1o La reconnaissance officielle par la Hollande du fait de la dissolution de l'union qui a existé entre la Belgique et la Hollande;

2o Un engagement de la Hollande de faire immédiatement convertir en traité avec le Roi des Belges les articles

arrêtés d'un commun accord, sous les auspices des cinq puissances, et qui sont annexés au traité de dissolution;

3° Une déclaration des puissances vis-à-vis de la Hollande que ces articles sont considérés comme ayant la même force et valeur que s'ils étaient insérés textuellement dans le présent acte et qu'ils se trouvent ainsi placés sous la garantie desdites puissances.

II. Traité de paix et d'amitié entre les Pays-Bas et la Belgique. C'est le traité prévu par le traité précédent : il règle les questions territoriales, financières, commerciales en litige, et renferme dans son article 7 la disposition fondamentale concernant l'indépendance et la neutralité de la Belgique.

III. Traité de garantie entre la Belgique et les cing puissances. C'est le traité déclarant que les articles du traité entre la Belgique et la Hollande, annexés au présent acte, sont considérés comme ayant la même force et valeur que s'ils étaient textuellement insérés dans cet acte et qu'ils se trouvent ainsi placés sous la garantie des puissances.

Le réseau général de droits et d'obligations résultant de ces actes au point de vue qui nous occupe peut être déterminé comme suit :

I. Et d'abord, en ce qui concerne l'ensemble des contractants, il est reconnu d'une manière définitive et générale, mème par la Hollande, et avec tous les droits et devoirs impliqués dans cette reconnaissance, que la Belgique formera un État indépendant et perpétuellement neutre.

II. En ce qui concerne spécialement la Belgique, elle acquiert, outre cette reconnaissance, le droit à la garantie des cinq puissances pour son indépendance et sa neutralité telles qu'elles sont consacrées; elle assume, d'autre

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part, l'obligation de se comporter dans le monde des nations comme État perpétuellement neutre envers tous les autres États.

III. En ce qui concerne spécialement les cinq puissances, elles reçoivent de la Belgique l'engagement qu'elle se comportera, en effet, comme État perpétuellement neutre envers tous. Elles assument, d'autre part, l'obligation de garantir efficacement l'indépendance et la neutralité de la Belgique.

IV. En ce qui concerne spécialement la Hollande, sans assumer cette garantie, elle en reconnaît expressément l'existence.

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Après avoir déterminé le réseau immédiat de droits et d'obligations formé par les traités de 1859, il convient de remarquer que le ressort d'application de la neutralité belge déborde le cercle des puissances signataires de ces traités, et cela d'une part en vertu de l'accession des États qui ont implicitement reconnu l'œuvre instaurée à la Conférence de Londres dans un intérêt de communauté internationale, d'autre part à raison de la stipulation expresse de l'observation de la neutralité perpétuelle par la Belgique à l'égard de tous les autres États.

Mais on peut envisager de diverses façons la sphère de rayonnement de la neutralité belge dans le monde des États. Cette sphère embrasse-t-elle exclusivement le système européen? S'étend-elle à cette communauté plus large des États de civilisation identique ou assimilée à la nôtre, que nous désignons sous le nom de « famille des

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