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disposant chacune d'un budget de cent millions, chacune d'une armée de cent mille hommes? Ne serait-ce rien, Messieurs, comme mesure conservatoire, qu'une pareille fédération, alors que d'autres intérêts également attachés à l'indépendance de la Belgique ne tarderaient pas à venir confondre des forces plus imposantes avec les forces que nous aurions mises sur pied d'un commun accord avec nos voisins, nos anciens compatriotes? Car, Messieurs, politiquement et commercialement, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, la vraie destinée de la Belgique, les vrais intérêts de sa politique sont de se rapprocher de jour en jour de la Hollande.

» Messieurs, il n'y a pas de haines nationales qui tiennent contre un grand intérêt politique. N'avons-nous pas vu l'Europe elle-même, contre laquelle la Hollande venait de s'insurger, accourir avec empressement au secours de cette même Hollande lorsqu'elle fut attaquée par les armées de Louis XIV? Pourquoi, Messieurs? Parce que, je le répète, les haines nationales, les ressentiments nationaux ne tiennent jamais devant un grand intérêt politique, devant la raison d'État. »

Voici, d'autre part, comme s'exprimait M. Beernaert, le 4 mars 1901, à la Commission chargée de l'étude des. questions relatives à la situation militaire : « A mon avis, nos situations politiques sont désormais indissolublement liées je ne comprendrais pas une Belgique libre si la Hollande ne l'était pas aussi, et réciproquement.

» A défaut de traités, et nous n'en pouvons pas faire, au jour du danger la communauté des calculs déterminerait quelque symétrie dans les résolutions, et je crois que s'il y avait sur la Meuse, de Dinant à Maestricht, 80,000 ou 100,000 Belges et 40,000 Néerlandais, nos

territoires seraient sûrement respectés par les belligérants. >>

Rappelons ici que, lors de la révolution de 1848, au moment où de graves éventualités paraissaient menaçantes, le comte de Randwyck, Ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, fit la déclaration suivante au sein de la seconde Chambre des États Généraux (7 mars 1848): « Au moment où nous prenons des mesures pour la sécurité du pays, c'est une circonstance heureuse qu'il règne entre le Gouvernement des Pays-Bas et celui de la Belgique la meilleure harmonie et le meilleur accord. Le Ministre du Roi à Bruxelles a été chargé de déclarer qu'ici l'on espère et l'on souhaite que la neutralité de la Belgique, neutralité si importante pour le repos de l'Europe, sera conservée, et que la Néerlande attache la plus grande importance au maintien et à la confirmation des traités existants. Elle ne souhaite rien et n'a d'autre but que la conservation de l'indépendance de la Belgique et la consolidation des liens qui unissent à présent les deux pays.

>> Ces ouvertures ont été accueillies par le Gouvernement belge avec la plus grande satisfaction, nous en avons reçu plus d'une preuve. »

Rappelons encore qu'en 1855, au moment où s'exerçait une pression diplomatique pour entraîner les petits États dans la guerre d'Orient, le Ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas dit au général Willmar, agent du Gouvernement belge : « Vous êtes neutre de droit, je me tiens à vous pour demeurer neutre de fait. »

En ce qui concerne un autre point de grande importance, les bouches de l'Escaut occidental et l'accès de la ville d'Anvers, remarquons que la Hollande, indé

pendamment de toute alliance, aurait en temps de guerre certains devoirs à remplir.

D'une part, elle devrait s'opposer au passage des belligérants en territoire belge par son territoire fluvial. Les cours d'eau internationaux tels que l'Escaut, encore que soumis par rapport au commerce au régime de la libre navigation, demeurent partie intégrante du territoire des États riverains.

D'autre part, la Hollande devrait laisser libre passage aux forces appelées à participer à l'exercice de la défense de la Belgique contre toute agression.

Cette double exigence résulte à titre spécial des traités par lesquels la Hollande a reconnu la neutralité permanente de l'État belge (traité de 1859 entre la Belgique et la Hollande) et la garantie des puissances (traité de 1839 entre la Hollande et les cinq puissances). La prestation effective de ce double office peut être d'autant plus légitimement attendue que la Belgique, comme le rappelait la Conférence de Londres, sert largement, de son côté, de boulevard aux Pays-Bas. Il est juste, l'Escaut occidental étant du côté de la mer le seul accès d'Anvers pour les navires de guerre, que la Hollande ne décline pas la tâche d'empêcher cet accès par des moyens défensifs appropriés au sérieux accomplissement de cette fonction, alors surtout que ces moyens sont en quelque sorte sous la main et que d'autre part la flotte. réservée pour une autre fin, suffirait à peine éventuellement à cette destination. En 1873, à propos du projet de loi concernant le système de défense de la Hollande, le Ministre de la Guerre de ce pays s'exprimait en ces termes « Les forts d'Ellewoutsdijk et de Neuzen forment en quelque sorte une liaison d'Anvers avec la mer et la Néerlande. Il est très important pour nous de pouvoir

commander les bouches de l'Escaut occidental, car c'est un des meilleurs cours d'eau du monde, soit pour le commerce, soit pour la guerre. >>

Observons enfin que le blocus de l'Escaut, même au cas où la Hollande serait belligérante, ne serait pas admissible tout au moins au regard de la Belgique perpétuellement neutre, assise aux deux rives de ce fleuve international. En 1805, l'Escaut étant bloqué et la Hollande belligérante, le navire Frau Ilsabe, après avoir été pris, fut relâché, sa destination étant le port neutre d'Anvers. Il n'est pas sans intérêt de rappeler également ici qu'en 1870, le blocus des côtes allemandes de la mer du Nord n'a pas été étendu aux bouches de l'Ems, en partie hollandaise.

En examinant la question des alliances de portée belliqueuse dans leur rapport avec la neutralité permanente, nous avons fait abstraction, d'une manière générale, du point de savoir si l'alliance est réalisée au moment ou au cours de la guerre, ou si elle est nouée en vue d'une guerre éventuelle.

Dans le premier cas, le fait de se constituer allié dans des conditions inconciliables avec l'essence de la neutralité permanente est une violation effective et actuelle de celle-ci.

En ce qui concerne le second cas, il convient d'observer qu'avant que la paix ne soit rompue et que le cas d'alliance ne se réalise, il n'y a pas à proprement parler et il ne peut y avoir violation effective et actuelle de la neutralité. Jusqu'alors, il peut y avoir dessein plus ou moins manifesté, mais non exécuté, de violer le régime de

neutralité, dessein qui peut susciter des défiances plus ou moins accentuées, des préparatifs de sauvegarde contre une violation appréhendée, mais enfin qui n'actualise pas au point de vue formellement juridique une rupture de la neutralité.

La différence doit être maintenue, non pour donner au neutre à titre permanent pleine carrière de prendre, avant l'échéance, des attitudes que la prévoyance lui commande de ne pas prendre, ou pour l'exonérer des responsabilités positives de l'avenir, mais pour conserver aux situations juridiques leur vérité et pour prévenir les conséquences que l'on pourrait tirer, sans raison suffisante, de la méconnaissance de ces situations.

Nous allons précisément mettre ce point en lumière en étudiant distinctement, après le système des obligations qui tempèrent l'exercice de la souveraineté, le système des précautions qui entourent cet exercice.

SECTION II.

Le système des précautions inhérentes à l'exercice de la souveraineté dans le pacte international belge. La neutralité et le temps de paix.

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Dans le régime spécial constitué par le pacte international belge, - comme en général dans tout système de la neutralité permanente, il importe souverainement de distinguer les prestations exigibles en elles-mêmes et pour elles-mêmes, et les précautions à prendre en vue d'être à même de faire face, le cas échéant, à ces prestations.

La neutralité est une relation de paix en temps de guerre et avec des belligérants. Elle ne se conçoit point sans le concours de ces deux éléments: une lutte armée limitée à quelques puissances, un ordre de relations

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