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pacifiques entre les États demeurés étrangers à cette lutte et les États qui s'y trouvent engagés. Lorsque toutes les nations sont en paix, la neutralité et le cortège de règles constitutives de son status juridique ne peuvent exister, par la raison que la donnée même qui sert de support à leur existence fait défaut, à savoir un état de belligérance.

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Ce qui est vrai, c'est que l'on peut s'engager en temps de paix à pratiquer la neutralité en temps de guerre. C'est ainsi qu'à côté d'une neutralité occasionnellement adoptée dans le flagrant d'un conflit armé et pour ce conflit, on peut distinguer une neutralité anticipativement stipulée en vue d'une guerre ou même de toute guerre dans l'avenir.

§ 1.

LES STIPULATIONS DE NEUTRALITÉ ET LEUR PORTÉE
JURIDIQUE.

Remarquons bien la portée juridique de pareilles stipulations. L'existence de la neutralité et son régime demeurent liés à l'éventualité de la guerre. On convient simplement que tel État suivra en cas de guerre telle ligne de conduite. En d'autres termes, on s'engage actuellement à faire, le cas échéant, une prestation déterminée. De telles stipulations ont l'avantage de placer sous le sceau d'un engagement immédiat une attitude éventuelle celle de la neutralité. Mais elles ne créent manifestement pas un régime de neutralité en temps de paix. Moins encore transportent-elles dans la paix des exigences liées par leur nature à l'état de belligérance.

Il n'existe pas, il ne peut exister de neutralité en temps de paix.

Les stipulations de neutralité, consistant proprement dans l'engagement actuel de fournir une prestation éventuelle subordonnée au cas de guerre, ne donnent point naissance par elles-mêmes à un système de prestations juridiques exigibles en temps de paix.

Juridiquement, il ne peut davantage y avoir, en temps de paix, une violation réelle de la neutralité, par ce motif qu'on ne peut violer un régime qui n'est pas arrivé à l'existence.

Tout cela est et demeure vrai, sans qu'il y ait lieu de distinguer si la stipulation de neutralité vise l'observance éventuelle de ce régime pour une guerre déterminée ou applique la même observance à toute guerre à venir. La série plus ou moins complète de cas prévus dans la stipulation ne peut changer, à ce point de vue, la nature même du contrat.

§ 2. LA PROPHYLAXIE DE LA NEUTRALITÉ.

Est-ce à dire qu'il ne puisse y avoir et qu'il n'y ait en effet en temps de paix, pour les États engagés dans une stipulation de neutralité spéciale ou générale, aucune mesure de précaution à prendre en vue de se trouver à même de pratiquer, le cas de guerre échéant, le régime de la neutralité? Nullement, mais ceci est tout autre chose. Ces mesures n'appartiennent pas de leur nature au système des éléments strictement exigibles de la stipulation de neutralité. Par cette stipulation, les parties conviennent de la prestation d'une attitude déterminée - l'attitude pacigérante pour une catégorie d'éventualités en perspective les conflits armés. Prester cette attitude le cas échéant, voilà ce qui est in solutione et ce qui devient, l'éventualité se produisant, exigible

comme tel. Les mesures à prendre en vue de se trouver à même de faire face, au moment donné, à cette prestation sont l'affaire personnelle du neutre. Elles appartiennent à ce que l'on peut appeler la prophylaxie de la neutralité.

Elles ont généralement le caractère de conseils de prudence elles tendent à ne pas rendre difficile au neutre l'accomplissement, au moment voulu, de ses obligations juridiques.

Elles peuvent revêtir le caractère de devoirs de prévoyance en tant qu'elles détournent le neutre de certaines situations ou de certains engagements dont l'existence peut compromettre et dont la persistance rendrait, le cas échéant, impossible l'accomplissement de ces mêmes obligations.

On conçoit des hypothèses où le neutre, durant la paix, faillirait d'une manière plus ou moins grave aux mesures prophylactiques dont nous parlons. Le neutre peut ainsi susciter des défiances et justifier chez ses co-contractants des préparatifs de sauvegarde en rapport avec des éventualités devenues menaçantes. On conçoit encore des hypothèses extrêmes, quoique invraisemblables, où le neutre prendrait durant la paix une attitude équivalente en quelque sorte à une dénonciation de la convention de neutralité. Mais ces situations diverses sont distinctes au point de vue du droit et ne doivent pas être confondues avec le fait de la violation actuelle et réelle de la neutralité. La comptabilité juridique, si l'on peut s'exprimer ainsi, n'est pas la même dans ces différents cas. Ce dont il faut se garder, c'est d'ériger des mesures préparatoires ou prévisionnelles en vue de prestations à fournir éventuellement, en obligations juridiques exigibles avant même l'éventualité qui

peut donner naissance à ces prestations. Il ne faut pas ouvrir la porte à l'arbitraire sous prétexte d'infractions virtuelles à la neutralité.

Pareil procédé serait non seulement contraire au droit, mais plein de dangers. Il pourrait en effet aboutir à placer une grande partie de la vie internationale et même nationale du neutre sous une sorte de haute surveillance exercée par ses co-contractants. Ceux-ci pourraient intervenir sous prétexte que la neutralité permanente est violée durant la paix. S'ils sont plusieurs, ils pourraient formuler des exigences unilatérales, même divergentes, même contradictoires. Et le conflit sur de prétendues obligations internationales qui ne s'actualisent qu'en temps de guerre pourrait, en pleine paix, allumer une guerre générale.

Il ne s'agit pas ici d'exonérer les neutres de toute responsabilité quant à toutes les licences qu'ils pourraient se permettre en temps de paix. Il ne s'agit pas davantage d'affranchir les petits États de cette déférence sans servilisme qu'ils ne peuvent manquer d'avoir, dans leurs comportements, pour leurs « grands frères».

Il s'agit de distinguer le droit de la politique et de ne pas confondre des obligations exigibles par elles-mêmes et pour elles-mêmes lorsque s'actualise une éventualité déterminée, avec des précautions qui n'ont point ce caractère. L'histoire prouve d'ailleurs, au point de vue des résultats pratiques, que les progrès dans l'affermissement du status juridique des neutres comme dans la loyale politique de la neutralité sont mieux assurés par la vigilance des petits États pacifiques à se sauvegarder eux-mêmes, que sous des tutelles plus ou moins absorbantes.

Étudiés à la lumière de la distinction capitale que nous venons de faire entre l'ordre des prestations découlant de la neutralité et l'ordre des précautions inhérentes à son régime, beaucoup de problèmes, objets d'interminables controverses, se résolvent d'eux-mêmes.

L'ordre des prestations vise le temps de guerre : il consiste essentiellement dans la pratique effective du régime de neutralité, antérieurement accepté comme ligne éventuelle de conduite.

L'ordre des précautions concerne surtout le temps de paix. Il consiste essentiellement dans la prévoyance à ne pas s'engager dans des voies qui ne s'harmonisent point avec la ligne de conduite à tenir éventuellement.

Dans cet ordre, l'État lié par une stipulation de neutralité considérera comme un devoir pour lui de s'abstenir, en temps de paix, d'engagements dont la réalisation ne serait point compatible, le temps de guerre s'ouvrant, avec la pratique de la neutralité.

I considérera comme prudent pour lui de ne pas s'aventurer, en temps de paix, dans des voies qui pourraient rendre particulièrement difficile, en période de belligérance, la pratique de cette même neutralité.

Soumis à de justes exigences quant à l'exécution de ses obligations effectives, il ne sera pas sujet à des comptabilités anticipées, aussi dangereuses en fait qu'injustifiables en droit. Toutes questions de loyauté et de juste déférence sauves, il demeurera libre dans le présent, sous les responsabilités de l'avenir.

La question des unions douanières et celle des cessions de chemins de fer ont mis en relief en Belgique deux cas intéressants relatifs à la prophylaxie de la neutralité. Nous allons les examiner.

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