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La médiation pouvant, dans certains cas, dégénérer en ingérence, la Conférence de La Haye, en consacrant largement l'emploi de la procédure médiatrice en vue du règlement pacifique des conflits internationaux, a tenu à en fixer la portée par la déclaration suivante contenue dans le Rapport sur l'article 6:

Les Puissances ne peuvent puiser dans les dispositions du présent Acte concernant les bons offices et la médiation, un titre quelconque à exercer une hégémonie, à imposer leur volonté individuelle ou collective par voie d'obligation ou de contrainte. La sphère où se meut la médiation est et doit demeurer la sphère des conseils amicalement offerts ou demandés, librement acceptés ou déclinés.

4. La loi constitutionnelle. La forme
du Gouvernement.

La Belgique s'est donné une Constitution en 1831. Elle a depuis lors revisé cette loi fondamentale. Les questions soulevées par de telles revisions sont des questions de droit public interne dans la solution desquelles les Puissances étrangères n'ont manifestement pas à intervenir et qui ne touchent pas au status de la neutralité permanente. Aussi nulle Puissance n'a-t-elle songé à s'immiscer à aucun point de vue dans la revision constitutionnelle de 1893.

La situation est la même, à ce point de vue, pour les États fédératifs que pour les États unitaires. La Suisse a procédé librement à des revisions constitutionnelles en 1848 et en 1874, sans que les Puissances aient pu voir dans ce fait un titre à ingérence. Vainement, dès 1833, le professeur Zachariæ, de l'Université de Heidelberg, a

essayé de trouver dans le droit public européen et dans les traités de 1815 le point de départ d'un droit d'intervention des Puissances dans les modifications à apporter au pacte fédéral. Vainement M. Guizot a voulu proposer aux Puissances, dès 1845, une intervention collective en vue de faire respecter la souveraineté des cantons. L'Acte final du Congrès de Vienne ne renfermait nullement une garantie de la Constitution fédérale. La Déclaration du 20 mars 1815 ne posait, de son côté, à la reconnaissance et à la garantie de la neutralité suisse, que des conditions depuis longtemps remplies. Quant à l'Acte de neutralité du 20 novembre, il reconnaissait précisément, avec la neutralité perpétuelle de la Suisse, «< son indépendance de toute influence étrangère » : ce qui était précisément la négation de l'ingérence revendiquée. Il est à remarquer d'ailleurs que les Puissances avaient traité, non avec les cantons, mais avec la Diète représentant le système helvétique, et que les transformations survenues dans un État fédératif ne donnent pas naissance à une nouvelle personne de droit international.

M. Guizot sentait du reste si bien la faiblesse de sa thèse à ce point de vue qu'il crut devoir porter le débat sur un autre terrain en demandant si la Suisse ne se mettrait pas en dehors des conditions acceptées par elle en <«< devenant pour ses voisins un foyer d'agitation et de propagande révolutionnaire». Nous examinerons ce point dans les deux paragraphes suivants.

En ce qui concerne la forme monarchique du Gouvernement en Belgique, la question doit être considérée à part, à raison des éléments spéciaux qui lui donnent, à certains égards, une physionomie particulière.

Le 20 novembre 1830, le Congrès national, à la majorité de cent soixante-quatorze voix contre treize, adoptait pour forme de gouvernement la monarchie constitutionnelle représentative sous un chef héréditaire.

L'institution de la monarchie était dans les traditions du pays. «Depuis la plus vieille époque où notre mémoire puisse se reporter, avait dit M. Leclercq, un chef héréditaire a commandé parmi nous, et l'a fait toujours, à quelques rares exceptions près, comme il convient à des hommes libres. >>

Le régime monarchique était la sécurité pour l'avenir. « Je vote pour la monarchie représentative, avait dit M. Devaux, persuadé qu'elle peut nous donner une liberté aussi complète et aussi vraie que la république, et qu'aujourd'hui ou dans l'avenir, la république nous exposerait aux deux plus grandes chances de despotisme qu'on ait à redouter désormais : l'anarchie et la domination étrangère. >>

L'adoption de la forme monarchique de gouvernement était aussi la nécessité du présent. Pour les Puissances, la constitution de la Belgique en monarchie s'imposait et seul le choix du souverain les préoccupait vivement. Elles estimèrent qu'il y avait lieu pour elles de préciser les conditions auxquelles le futur chef de l'État belge devrait satisfaire à leurs yeux. Elles le firent spécialement dans les protocoles nos 12, 14, 15, 19 que nous avons reproduits dans la partie diplomatique de ce travail.

La question de savoir si ces exigences n'ont qu'une portée de circonstance subordonnant la conclusion du pacte international belge à des conditions à remplir alors et remplies en effet, visant la solution la mieux appro

priée, à ce moment, à la situation générale de l'Europe et à la position spéciale de la Belgique, ou si ces exigences tiennent aux éléments permanents de notre Constitution internationale, a été controversée.

En faveur de la première opinion, on a signalé les circonstances particulières dans lesquelles ces résolutions ont été prises et le but qu'elles poursuivaient. Il s'agissait avant tout d'écarter du trône un prince français. On a rappelé que par le texte des XVIII articles, voté postérieurement, les Puissances se sont formellement interdit de << s'immiscer dans le régime intérieur de la Belgique ». Mais il semble pourtant résulter de la résolution adoptée par les Puissances que la grave question de la reconnaissance par elles d'un changement dans la forme monarchique du gouvernement ne se poserait pas précisément dans les mêmes conditions pour la Belgique que pour les autres pays.

5.

La liberté de la presse. Les crimes et délits qui portent atteinte aux relations internationales.

La question de la protection mutuelle que les États sont amenés à s'accorder dans leurs ressorts respectifs, présente des aspects intéressants et délicats. On a voulu parfois astreindre les États neutres à titre permanent à des charges spéciales dans cet ordre.

Des égards particuliers peuvent être politiquement recommandables, surtout aux États dont l'indépendance et la neutralité sont garanties par certaines Puissances. Juridiquement, la thèse des obligations exceptionnelles ne paraît pas soutenable. Elle présenterait un caractère

particulièrement inadmissible s'il s'agissait de demander à une nation libre le sacrifice d'institutions qui tiennent au fond même de son état social et politique, qui sont liées à la pratique des gouvernements constitutionnels, et qui apparaissent comme nécessaires au mouvement de l'opinion publique dans le monde.

MM. Funck-Brentano et Albert Sorel nous font observer à ce sujet qu'un État peut être amené à demander le respect qui lui est dû dans la forme compatible avec la Constitution de l'État auquel il s'adresse. « L'intervention commence, ajoutent-ils, lorsque l'État réclamant déclare que les institutions de l'État étranger sont insuffisantes pour lui assurer le respect auquel il a droit et la sécurité dont il a besoin, et qu'il en demande la modification. Même sous la forme diplomatique, cette intervention est un abus contre le droit des gens en temps de paix. Elle est si bien un abus, elle repose si réellement sur la force et sur la force seule, qu'il n'y a point d'exemple qu'elle ait été exercée autrement que par des États plus forts à l'égard d'États plus faibles; et cependant, ce sont ces États faibles qui se trouveront le plus souvent placés dans la nécessité d'y recourir la presse et les sociétés secrètes des grands États sont bien plus menaçantes pour la sécurité des petits États que les journalistes et les conspirateurs des petits ne le sont pour celle des grands (1). »

Lors du Congrès de Paris de 1856, M. le comte Walewski ayant insisté, dans la séance du 18 avril, sur de regrettables excès de la presse en Belgique et signalé comme remède une réforme législative qui semblait

(1) FUNCK BRENTANO et ALBERT SOREL, Précis du droit des gens, p. 218.

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