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territoire pour des opérations autres que sa propre défense, de même exiger que ses troupes ne fussent pas employées ailleurs que sur le sol belge et pour la défense nationale, enfin, se retirer au moment où le danger aurait disparu. Cependant il est possible de prévoir certaines hypothèses où l'issue de la guerre et le salut du pays dépendrait d'une agression en territoire ennemi, où la retraite de la Belgique affaiblirait ses alliés au point de compromettre le résultat tout entier. Dans ce cas, une participation plus large aux hostilités ne serait pas contraire au devoir de neutralité.

Quelque soin que l'on prenne, ajoute-t-il, de déterminer à l'avance la limite de l'intervention du neutre dans les hostilités, il sera toujours très difficile d'observer les obligations déduites des principes lorsque le conflit sera engagé, le neutre mêlé à la querelle, et les adversaires en présence sur son territoire (1).

Il est facile de saisir, à la lumière de ces observations, combien la liberté politique du neutre, dans les circonstances les plus périclitantes, se trouve dégagée par le fait d'être en mesure de suffire d'une manière solide à sa propre défense, et quelle influence préventive ce fait peut exercer sur la diversité des agressions et des arrangements en perspective.

Lorsque le neutre est amené par certaines violations ayant le caractère d'un casus belli à faire la guerre pour son compte ou à la faire comme allié, on considère parfois la neutralité comme annihilée dans son chef. Il semble plus exact, en tant que le neutre n'est pas complice de la violation mais réagit contre elle, de considérer sa neutralité tout au plus comme suspendue. Il convient même de considérer le neutre dans ce cas et en dépit de la mêlée guerrière où il peut être engagé, comme revê

(1) LÉON ARENDT, Les petits États, p. 27.

tant formellement plutôt que foncièrement la qualité de belligérant.

Il y a, en effet, au fond de son action, une revendication persistante de son status propre, qui, affirmée déjà pendant la guerre, s'accuse juridiquement lors du traité de paix par l'inapplicabilité du droit de conquête et le rétablissement justifié dans l'état antérieur.

Le neutre ne pourrait être induit en responsabilité définitive qu'autant qu'il aurait agi, non pas en défense, mais en violation de son status. Encore la mesure plus ou moins grave de cette violation doit-elle entrer en ligne de compte et n'est-il pas permis d'assimiler, à ce point de vue, certains faits de négligence à une complicité active et résolue.

Aucune responsabilité n'est d'ailleurs juridiquement imputable au neutre si, dans l'accomplissement consciencieux de ses devoirs et malgré le convenable usage de ses forces, il n'est point parvenu à soustraire complètement son territoire aux entreprises du belligérant violateur. Sans doute, pendant la guerre, ce fait n'est pas toujours complètement relevant au regard de l'adversaire qui, dans certains cas, peut être tenté de prendre certaines mesures de défense personnelle, mesures distinctes d'ailleurs en soi, comme nous l'avons observé, des actes par lesquels on poursuit la satisfaction d'une réparation due. Mais lors du règlement définitif, ce fait garde toute son importance.

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La simple impuissance résultant de l'infériorité dans certaines circonstances d'un petit État perpétuellement neutre lui est d'autant moins imputable qu'elle est dans les prévisions positivement accusées, et motive précisément le régime international spécial de neutralité permanente et de garantie conventionnellement stipulé.

TITRE QUATRIÈME

PARTIE POLITIQUE.

La politique internationale de la Belgique.

Dans la vie internationale contemporaine de la Belgique, il importe de distinguer la politique spéciale appliquée à la réalisation pratique de notre Constitution internationale et la politique générale du pays poursuivie en harmonie avec cette Constitution. La première s'inspire d'une scrupuleuse observation de nos devoirs particuliers dans la grande famille des nations. La seconde s'occupe de la défense de nos droits et de la procuration de nos intérêts comme membres indépendants de la communauté internationale.

CHAPITRE PREMIER.

La mise en œuvre de la Constitution internationale de la Belgique dans l'histoire contemporaine.

§ 1.

LA JURISPRUDENCE FONDAMENTALE.

Nous entendons par jurisprudence fondamentale, l'œuvre d'application de notre Constitution internationale dans ses éléments essentiels aux faits de l'histoire contemporaine. C'est, si l'on veut, le commentaire pratique et vivant du principe d'indépendance et de neutralité permanente inscrit dans le droit public de la Belgique. Peu de temps après l'adoption des Traités de 1839,

dans le mémorable discours du 10 novembre 1840, l'auguste Fondateur de notre dynastie posait d'une main ferme la pierre angulaire de la politique internationale de la Belgique.

La position de la Belgique, disait le Roi en ouvrant le Parlement, a été déterminée par les traités, et la neutralité perpétuelle lui a été solennellement assurée. Mon Gouvernement n'a négligé aucune occasion de faire connaitre l'importance qu'il attache à cette garantie. Partout, je le dis avec satisfaction, nous n'avons rencontré que des sentiments de bienveillance et de respect pour le principe inscrit dans notre droit public.

La neutralité, nous ne pouvons trop nous en convaincre, est le véritable but de notre politique. La maintenir sincère, loyale et forte doit être notre but constant.

L'histoire du développement pratique de notre Constitution internationale en connexion avec les grands faits de la vie contemporaine des nations, est intéressante et féconde en enseignements.

Sans essayer d'épuiser ici un si vaste sujet, mêlé à toutes nos relations extérieures, nous voulons en dégager quelques points saillants auxquels peuvent être rattachées lumineusement, selon nous, les grandes phases d'évolution du principe cardinal de notre droit public.

Première phase: La mise en valeur pratique, devant l'Europe, de notre Constitution internationale.

Quelques mois à peine après la signature des Traités de 1839, la question d'Orient faillit amener une conflagration générale. L'Angleterre, après avoir essayé quelque entente avec le Gouvernement français, s'était tournée

vers la Russie et avait négocié avec elle et avec les autres Cours du Nord, le Traité du 15 juillet 1840, qui isolait la France. Le Cabinet de M. Thiers, disposé aux mesures énergiques, pressait les armements et menaçait de porter la guerre sur le Rhin et les Alpes, au cas où Constantinople ou Alexandrie seraient occupées par des troupes européennes. En face d'éventualités redoutables, le Gouvernement belge, par une circulaire du 4 août à ses agents diplomatiques, prit nettement position sur ce terrain : ferme maintien de l'article 7 du Traité du 19 avril 1839; observation des devoirs et revendication des droits qui s'y rattachent; mesures sérieuses d'ordre militaire en vue de la sécurité nationale.

Cette attitude fut accueillie avec bienveillance par les autres États, non sans certaines réserves ou défiances toutefois de la part de quelques-uns.

La France trouvait, à certains égards, son profit à l'attitude de la Belgique, qui était un élément de sécurité pour sa frontière la plus vulnérable. Il semble bien cependant que le Cabinet de M. Thiers, en s'y ralliant, n'ait pas laissé de manifester quelque intention de prendre luimême quelques suppléments de sécurité éventuels au détriment de notre inviolabilité territoriale. D'autre part, lorsque certains États, tels que la Sardaigne et le grandduché de Bade, firent mine d'imiter notre exemple, M. Thiers donna à entendre que la France ne se laisserait pas bloquer par les neutres. Mais le roi Louis-Philippe s'attacha bientôt à donner des apaisements à la Belgique inquiète. Il se sépara du ministre aux projets belliqueux. Et M. Thiers lui-même, peu de temps après sa retraite, disait à notre ministre belge à Paris, M. Lehon : « Soyez assuré que la neutralité de la Belgique est pour nous un article de foi. »

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