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Les Cours du Nord, de leur côté, n'étaient pas sans défiance concernant notre volonté, tout accentuée qu'elle fût, de suivre une ligne de conduite exclusivement nationale. On prétendit contrôler nos mesures de défense; on en vint même jusqu'à considérer de telles mesures comme signe de notre intention de jouer un rôle actif dans les conflits. Sans aller aussi loin, sans méconnaître le droit pour la Belgique d'organiser la défense de son indépendance et de sa neutralité, Lord Palmerston soulevait la question d'une entente avec les Puissances garantes pour constater la nécessité d'aviser, sauf les précautions urgentes pour mettre les forteresses à l'abri d'un coup de main.

Le Gouvernement belge, sans froisser aucune susceptibilité, sauvegarda en son intégrité notre Constitution internationale contre toutes les interprétations qui pouvaient y porter atteinte, affirma l'énergique volonté de notre peuple de vivre par lui-même et pour lui-même, et sut mettre pratiquement en lumière la convergence de nos intérêts et de nos droits avec l'intérêt des autres Puis

sances.

Quand le péril qui menaçait la paix européenne fut conjuré, la ferme et loyale attitude prise par la Belgique fut universellement appréciée. Le principe essentiel de notre Constitution internationale se trouva mis en valeur auprès des grandes Puissances. Et d'autre part, l'envoyé des Pays-Bas à Paris, le général Fage, constatant le lien de commune sécurité qui rapprochait nos deux pays, était amené à dire à M. Lehon :

Savez-vous qu'avec ce système loyalement mis en action, l'existence de la Belgique comme État indépendant offre un grand avantage à la Hollande? Elle devient pour nous

un rempart élevé et garanti par l'Europe elle-même, rempart plus protecteur mille fois que tous les traités de réunion et de barrière (1).

Seconde phase: L'affermissement de notre Constitution internationale sur la base de nos institutions nationales consolidées par l'épreuve.

La Révolution de 1848 fut pour la Belgique l'occasion d'affermir le principe régulateur de sa Constitution internationale et de montrer en même temps la vitalité et la stabilité de ses institutions nationales. Durant la première période de cette révolution, le Gouvernement profita des gages de modération et de paix donnés par M. de Lamartine pour consolider notre situation vis-à-vis de la France. Les principes directeurs de la politique belge dans ces circonstances furent exposés comme suit, le 1er mars, à la Chambre des Représentants, par M. D'Hoffschmidt, Ministre des Affaires étrangères :

La politique du Gouvernement dans les circonstances graves où nous nous trouvons ne peut être guidée que par les intérêts de la nation; elle ne peut être basée que sur la position que les traités lui ont faite.

La Belgique n'a point à intervenir dans les affaires des autres pays ni à s'occuper de la forme de gouvernement qu'il leur convient d'adopter.

Maintenir l'indépendance nationale, l'intégrité du territoire, la neutralité politique qui lui est garantie, les institutions libérales que la Belgique s'est si glorieusement données telle est la règle de conduite que s'est tracée le Gouvernement; et il a la conviction profonde de s'appuyer ainsi sur le sentiment des Chambres et de la nation tout entière.

(1) Dépêche de M. Lehon du 27 septembre 1840.

A la même date, le Ministre des Affaires étrangères envoyait à nos agents diplomatiques une circulaire insistant sur la même ligne de conduite. Le Gouvernement belge, ayant pris le 2 mars la résolution de reconnaître le Gouvernement provisoire de la République française moyennant un acte de réciprocité du Gouvernement provisoire envers la Belgique neutre et indépendante, obtenait le 5 mars une déclaration constatant l'assurance donnée à la Belgique, « comme premier gage de la continuation des bons rapports avec la France », « du respect profond, inviolable du Gouvernement français pour l'indépendance et la nationalité belge et pour la neutralité que les traités ont solennellement garantie à la Belgique ».

Nous avons déjà rappelé précédemment l'attitude particulièrement amicale des Pays-Bas à l'égard de la Belgique, en des circonstances qui allaient s'aggravant (1).

La seconde période de la Révolution de 1848 parut en effet révéler des dispositions moins favorables à l'égard de notre pays. L'expédition de Risquons-Tout, peu sérieuse en elle-même, était significative comme indication de certaines menées chez nos voisins. Les inquiétudes du moment donnèrent lieu à de sérieux échanges de vues entre plusieurs grandes Puissances, et nos agents diplomatiques recueillirent à cette occasion des témoignages non douteux du sentiment des gouvernements concernant le caractère obligatoire de la garantie et la volonté, concertée au besoin, non seulement de pourvoir à une solide assistance de la Belgique contre l'agression d'une Puissance étrangère, mais d'assurer l'intégrité territoriale

(1) Voyez supra, p. 374.

définitive de l'État ainsi défendu. Peu de temps après, la victoire du général Cavaignac et son avènement à la Présidence marquaient le retour de relations plus amicales avec notre pays.

La Belgique sortit de la grande secousse révolutionnaire de 1848 avec un surcroît notable de considération et de force. Tandis que les vieilles monarchies tremblaient sur leurs bases séculaires, elle restait calme, solide, inébranlable. L'effet de cette attitude au dehors fut immense. De ce jour date notre émancipation inorale: l'Europe cessa de nous considérer comme une simple dépendance de la France. Le Roi Léopold gagna auprès de la plupart des Cours une influence dont il sut faire un noble et patriotique usage. En Angleterre, les torys rivalisèrent dès lors avec les wighs en démonstrations d'amitié envers le peuple belge. L'Allemagne se mit à examiner avec sympathie nos institutions, à apprécier les ressources de notre neutralité.

La Russie même n'échappa point à ce sentiment général Jusqu'à cette époque, l'empereur Nicolas n'avait pas accrédité de représentant à Bruxelles... L'année 1848 mit un terme à cette froideur... Les relations diplomatiques entre les deux Etats n'ont pas cessé depuis ce moment d'être cordiales, et en plus d'une circonstance la Belgique a trouvé chez la grande Puissance du Nord un appui efficace (1).

Troisième phase: La résistance aux entraînements

compromettants pour la neutralité.

Les événements qui se rattachent à la guerre d'Orient créèrent à la Belgique de nouveaux devoirs en ce qui concerne le maintien de sa Constitution internationale.

(1) Sylvain Van de Weyer, Histoire des relations extérieures de la Belgique depuis 1830 (PATRIA BELGICA, t. II).

Ce fut au mois de janvier 1854 que le Gouvernement belge notifia officiellement l'attitude qu'il entendait observer devant la guerre qui commençait.

Jamais le principe de cette politique ne fut défini avec plus de force, jamais les conséquences n'en furent déduites avec plus de rigueur que dans cette circonstance. On s'interdit même toute intervention morale, toute manifestation d'une tendance exclusive. Nous agissions ainsi d'accord avec la France et l'Angleterre; nous évitions toute réclamation de la Russie et voyions les États secondaires de l'Allemagne, les Pays-Bas eux-mêmes, appuyer leur neutralité de choix sur notre neutralité de droit. La Belgique devenait ainsi le centre d'un groupe d'États qui tendaient à circonscrire et limiter le champ de la lutte. Mais en cela même elle répudiait toute idée de propagande. Notre conduite était mieux que l'effet d'un droit pour nous comme pour la Suisse, elle était l'expression d'un devoir, d'une obligation internationale prévue et sanctionnée par les Puissances. Notre abstention n'était ni un exemple ni un argument : elle était un fait européen qui ne devait surprendre per

sonne...

La situation favorable ainsi créée resta sans altération jusqu'au moment où la Sardaigne se détermina à accéder à l'alliance anglo-française (11 janvier 1855). Un cominencement de pression fut exercé alors sur les Etats secondaires, notamment sur la Belgique : on désirait la voir sortir de la neutralité et suivre l'exemple du Piémont dans une lutte dont l'enjeu était, aux yeux des Puissances alliées, l'équilibre européen, c'est-à-dire un intérêt commun à toutes les nations. Le Gouvernement belge déclina énergiquement tout engagement de cette nature: la neutralité était, suivant lui, une obligation supérieure, qui dominait toute autre considération. Il fit comprendre ses vues à Paris comme à Londres, et l'on s'abstint de toute proposition directe ten

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