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dant à nous associer à la lutte. Le 16 février 1855, M. de Brouckere, interpellé à ce sujet, expliqua sa politique et la fit approuver par la Chambre. Un homme d'Etat justement considéré, M. Lebeau, prononça à cette occasion un discours toujours digne d'être médité. De part et d'autre, au banc du Gouvernement comme au sein de la Législature, on fut amené à accentuer, à cette époque, le caractère défensif, militaire au besoin, de la neutralité belge. Notre position, du reste, ne tarda pas à être mieux appréciée au dehors. En Angleterre, où l'idée d'une coopération de la Belgique à la guerre avait été assez populaire, on revint bientôt à d'autres sentiments dont M. Disraeli se fit, le 8 juin 1855, l'organe à la Chambre des Communes. « Jamais, dit-il, la Belgique n'a été plus qu'en ce moment intimement liée au système politique général. » La justification de cette thèse était aussi celle de notre attitude politique (1).

Nous avons signalé les questions délicates que peut soulever la reconnaissance soit de nouveaux États, soit de la qualité de belligérant. Lors de la guerre de la sécession américaine, alors que plusieurs Puissances manifestaient leur résolution de demeurer neutres entre « les parties belligérantes » ou «< contendantes », la Belgique qui avait adhéré aux principes formulés au Congrès de Paris, le 16 avril 1836, se borna à prendre des mesures d'exécution dans cet ordre, sans qualifier, dans la déclaration insérée au Moniteur belge du 25 juin 1861, les parties en lutte et même sans les mentionner. Cette attitude comparativement réservée fut très appréciée par les États du Nord.

Dans une autre circonstance, survenue un peu plus tard, à l'occasion des notes du 10 avril 1863 remises par

(1) SYLVAIN VAN DE WEYER, loc. cit.

l'Angleterre, la France et l'Autriche au Cabinet russe concernant les affaires de Pologne, la Belgique fut invitée par diverses Puissances à joindre ses démarches aux leurs. C'était un hommage rendu à la considération dont le pays jouissait au dehors, mais cet hommage ne laissait pas d'être embarrassant. La Belgique s'abstint de faire des représentations et d'adhérer à la note des autres Puissances. Elle fit pourtant une démarche occasionnelle, mais s'en acquitta avec une si sage réserve et un tact si parfait qu'elle répondit au vœu des autres Puissances sans porter le moindre ombrage au Cabinet de SaintPétersbourg.

A ce sujet, Lord Palmerston, sans méconnaître la prudence qui s'imposait à l'État neutre, estima que cette prudence ne devait pas aller, en toute circonstance, jusqu'au désintéressement des affaires européennes et des questions de paix générale. Mais il reconnut que la Belgique était seule juge de l'attitude à prendre en l'occurrence.

Rappelons ici le témoignage solennel rendu à notre pays lors de la Conférence de Berlin de 1885. Interprète d'un sentiment unanime, M. le comte de Launay, plénipotentiaire d'Italie, s'est exprimé en ces termes dans la mémorable séance du 25 février

Dans les circonstances les plus graves, la Belgique a su remplir avec fidélité et dignité les devoirs prescrits par sa neutralité.

Quatrième phase: La résistance aux attractions et aux pressions compromettantes pour l'indépendance

Le Congrès de Paris de 1856 devait porter à l'apogée la puissance de Napoléon III sans débarrasser l'Empire des conspirations intérieures et des attentats révolution

naires. Ces menées, dont quelques-unes furent tramées par des Français sur notre territoire, ont été le point de départ de pressions diverses exercées sur notre Gouvernement et dirigées dans des voies qui n'étaient pas sans danger pour notre indépendance.

Nous avons indiqué précédemment les circonstances qui amenèrent la Belgique à remanier deux fois sa législation pénale, en 1852 et en 1856, en vue de donner satisfaction à des réclamations du Gouvernement français. Nous avons également rappelé les conditions dans lesquelles la Belgique, fortement prise à partie, un instant, au Congrès de 1856, répondit par le « jamais » de M. le vicomte Vilain XIIII à des tendances menaçantes pour notre régime constitutionnel et pour notre autonomie nationale (1).

Les efforts faits par notre peuple pour améliorer son système défensif furent représentés comme des actes de défiance, pendant que la faiblesse relative du pays était considérée par moments comme sujette à caution. Menace et séduction semblèrent alterner dans la politique suivie à notre égard. La célèbre dépêche de M. Thouvenel au comte de Persigny, en date du 19 mars 1860, désavouant toute intention d'agrandissement vers le Khin et déclarant que la France, abritée au nord par la neutralité de la Belgique, n'avait plus de ce côté aucune espèce de garantie à réclamer, parut, il est vrai, éclaircir l'horizon. Mais lorsque fut établie l'unité italienne, Napoléon tourna de nouveau ses regards des Alpes vers le Rhin. Cependant la Belgique, par les démonstrations nationales aussi

(1) Voyez supra, pp. 454 et 456.

vives qu'unanimes d'un peuple décidé à demeurer luimême, s'efforçait de prévenir les tendances à une politique de convoitise. Par le grand acte international du rachat du péage de l'Escaut, nous affranchissions des vieilles servitudes, pour le bien commun de tous les États maritimes du globe, notre grand fleuve international. Et les Puissances, de leur côté, en signant le Traité du 16 juillet 1863, avaient renouvelé solennellement les garanties de notre indépendance.

Vainement notre diplomatie, tout en gardant les réserves attachées à notre situation spéciale et à notre mission propre dans l'ordre international, accédait aux propositions de Congrès européen, caressées avec quelque illusion par le Gouvernement impérial. Il devenait de plus en plus manifeste que l'on entendait un peu différemment, de part et d'autre, la condition première des bons rapports internationaux. Dès avant la guerre austro-prussienne de 1866, et surtout après l'issue de la crise germanique qui engendra l'unité allemande, l'empereur Napoléon s'engagea dans une série de procédés, les uns assez patents, tels que les réclamations de compensations territoriales et la circulaire-manifeste du marquis de la Valette du 16 septembre 1866, formulant la théorie de la convergence des petits États vers les grandes agglomérations, les autres tortueux, comme les menées relatives aux cessions de chemins de fer, les autres encore ténébreux, tels que les négociations Benedetti, où la diplomatie française devait marcher de déception en déception jusqu'à la catastrophe qui fit sombrer l'établissement impérial.

La Belgique ne dériva point, et un quart de siècle après le célèbre discours royal de 1840, S. M. Léopold II, dans

le discours du trône de 1866, pouvait prononcer en toute justice ces paroles où se traduisait la pensée nationale :

Au milieu des graves événements qui ont troublé une grande partie de l'Europe, la Belgique est demeurée calme, confiante et pénétrée des droits et des devoirs d'une neutralité qu'elle maintiendra, dans l'avenir comme dans le passé, sincère, loyale et forte.

Cinquième phase: Le règlement organique du fonctionnement de la garantie dans la guerre survenue entre garants limitrophes et les mesures d'application du régime des neutres en rapport avec cette guerre.

Les traités anglo-français et anglo-germanique de 1870 marquent une date remarquable dans l'histoire de la jurisprudence appliquée à notre Constitution internationale en une matière importante la garantie.

Nous avons étudié précédemment la genèse et la portée de ces traités et nous avons en même temps signalé les erreurs d'appréciation auxquelles ils ont donné lieu. Nous n'avons donc plus qu'à marquer ici leur place dans notre aperçu historique (1).

Il n'est guère de conflit armé qui ait contribué plus que la guerre franco-allemande à l'élaboration du droit des neutres, principalement en ce qui concerne les rapports sur terre entre belligérants et non-belligérants. Les trois États neutres à titre permanent, la Belgique, la Suisse et le grand-duché de Luxembourg, étaient limitrophes des États en guerre. La plupart des problèmes posés par les événements, éclairés par la pratique et les conventions,

(1) Voyez supra, p. 287.

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