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dernier, les nations européennes se partageaient une partie de la côte occidentale africaine pour mieux se ménager l'exercice, sans contestation, de la traite des noirs. Aujourd'hui, en se partageant l'Afrique jusqu'en ses profondeurs, elles placent au rang de leurs devoirs les plus sacrés l'abolition de la traite et le respect élevé à la hauteur d'une obligation internationale des droits de l'humanité dans

la personne de l'esclave.

est

Au point de vue historique comme au point de vue géographique, le rayonnement de la civilisation et l'empire du droit, qui en est le caractère saillant, comme le règne de la force pure est le propre caractère de la barbarie, non moirs frappant dans les rapports internationaux (1). Pendant longtemps, les relations d'État à Etat ont été considérées comme réductibles à une série d'intérêts arbitrairement déterminés par les gouvernements et soutenus par eux au moyen de la force et de la ruse. Mais le droit s'est peu à peu dégagé de ces fatales étreintes. Il s'est affirmé : il a passé, comme le dit Jellinek, de l'état d'exigence idéale à l'état de puissance effective dans la vie internationale (2). La vieille maxime que le droit règne à l'intérieur des empires et ne rayonne pas au delà est définitivement répudiée par la société des nations civilisées. Cette société met en présence des Etats qui joignent à la pleine conscience de leur personnalité nationale la reconnaissance de principes et de règles juridiques élevés à la hauteur d'un droit commun : le droit international. Et il n'est pas rare de voir les Puissances, dans de solennelles assises, rappeler expressément et étendre l'empire de ce droit public universel.

Sous l'égide de ce droit, chaque Etat garde son autono

(1) ARTHUR DESJARDINS, Les derniers progrès du droit international (Revue des DEUX MONDES, janvier 1882).

(2) JELLINEK, Die Lehre der Staatenverbindungen, p. 8.

mie, conforme à sa première et irréductible tendance à vivre de sa vie propre, selon son génie, sur son territoire, par l'activité de son peuple, au moyen de ses ressources à lui, en vue d'accroître son bien-être moral et matériel, et d'assurer en toutes choses sa légitime grandeur. Mais en même temps il se reconnaît comme juridiquement coordonné aux autres États dans la communauté internationale et comme tenu, à ce titre, de concilier sa puissance d'expansion avec le droit égal des autres États à leur conservation et à leur perfectionnement. Il trouve d'ailleurs dans le fécond échange de services que lui ménage la communauté internationale et dans les biens multiples qu'elle lui procure, un accroissement de bien-être supérieur au juste sacrifice qu'il impose à sa puissance illimitée d'expansion, et un auxiliaire nécessaire à son développement personnel car, ainsi que l'a remarqué M. de Martens, «<au siècle actuel, il n'y a pas un seul peuple civilisé qui puisse trouver tous les éléments de la vie et de son développement dans les bornes de son propre territoire (1) ».

Telle est la communauté juridique des peuples civilisés. Le droit s'y révèle comme principe régulateur universellement accepté, encore qu'il ne soit pas toujours observé, — ce qui arrive aussi dans la vie privée. Et la diversité des nations y apparaît comme établie, non pour les asservir les unes aux autres, ni pour les détruire les unes par les autres, mais pour les rassembler dans une association féconde où le respect de chaque membre de la grande famille des États s'harmonise avec le bien commun de tous.

Si le droit est la règle de coordination de la vie internationale ainsi conçue, la paix est la forme normale de cette vie. C'est dans la paix que les Etats se rapprochent pour

(1) DE MARTENS, Traité de droit international, p. 28.

s'associer; c'est sous ses auspices que leur sont départis les bienfaits de la société des nations; en telle sorte que si l'on ne peut dire que la paix soit toujours le bien le plus précieux des États, — la justice, l'honneur, la défense nationale peuvent primer ses exigences, il est vrai tout au moins d'affirmer que la paix est, d'une manière générale, le bien médiateur par excellence des autres biens dans la vie des peuples.

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Tous les Etats sont aujourd'hui intéressés à la constitution sur de solides assises de l'édifice juridique international, parce que le droit est un principe stable de coordination des intérêts. Ceux-ci peuvent se déployer largement sous son égide; il ne proscrit que leur débordement désastreux. Et peut-être à sa lumière sereine et pacifiante les Etats parviendront-ils à reconnaître que ce qui les divise, ce sont moins leurs intérêts véritables que l'idée erronée et passionnée qu'ils peuvent s'en faire.

La place des États neutres à titre permanent dans la société des nations, envisagée à ces points de vue, est à coup sûr remarquable. Leur constitution nous met en présence des premières assises de la paix juridiquement organisée. Normalement constitués dans des conditions d'indépendance propre, développés organiquement sur la base que nous avons mise en lumière, fortifiés par l'énergie du sentiment national, ils ne sont point, comme on l'a dit, un expédient du passé. Nécessité du présent, ils sont en harmonie avec toutes les exigences et toutes les attentes de l'avenir.

En commençant notre Étude sur la politique internationale de la Belgique, nous avons signalé le mémorable

discours prononcé par S. M. Léopold Ier en 1840. Nous voulons terminer cette Étude et tout notre travail en rappelant les paroles non moins mémorables prononcées par S. M. Léopold II dans le discours du Trône de 1870.

La Belgique, dans la position que le droit international lui fait, ne meconnaitra ni ce qu'elle doit aux autres États ni ce qu'elle se doit à elle-même.

Elle saura, pendant la guerre, conserver à sa consciencieuse neutralité le caractère loyal et sincère qu'elle s'est toujours efforcée de donner à ses relations pendant la paix. Conformément au vœu des belligérants eux-mêmes, elle se tiendra prête à se défendre avec toute l'ardeur de son patriotisme et toutes les ressources qu'une nation puise dans l'énergie de sa volonté.

Le peuple belge a la profonde conscience de son droit; il connait le prix des biens que depuis quarante ans il a si heureusement acquis, si honorablement possédés. Il n'est pas près d'oublier que ce qu'il a à conserver, c'est le bien-être, la liberté, l'honneur, l'existence même de la patrie!

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