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accord, déféré le titre honorable de raison écrite. La loi 1, ff de pactis dotalibus, 23. 4, porte : Pacisci post nuptias, etiamsi nihil antè convenerit licet (1).

Si l'on ne consultait que la simple raison, il faudrait dire, avec la loi, que les conventions matrimoniales peuvent être faites après, aussi bien qu'avant le mariage. On n'aperçoit point, dans la nature des choses, de motifs suffisans pour qu'elles ne puissent être faites depuis le mariage; car la société ou l'union des personnes, qui constitue le mariage, peut exister sans la société des biens, qui n'en est que l'accessoire. Les époux peuvent se marier et vivre ensemble sans former aucune société de biens. Le Code, d'accord en cela avec le droit romain, le permet expressément. (Art. 1536). Dans ce cas, la femme conserve l'entière administration et la jouissance de ses biens: elle en avait même à Rome la libre disposition. Chacun des époux jouit alors de ses biens, et les administre comme bon lui semble. Dans cette situation, qui peut les empêcher de faire des conventions matrimoniales, qu'ils regrettent de n'avoir pas faites avant la célébration de leur mariage, et que l'expérience, l'habitude d'une vie commune, la connaissance de leurs caractères respectifs, les mettent à même de faire avec plus de maturité et beaucoup mieux qu'auparavant?

Mettons à l'écart les idées qu'ont pu nous donner les traditions, presque toujours reçues sans

(1) Junge loi 26, § 2, ibid.

examen, et fondées sur les préjugés : nous trouverons que loin de réprouver ces conventions, la raison les approuve.

25. La disposition de l'art. 1395, qui porte que les conventions matrimoniales ne peuvent recevoir aucun changement après la célébration du mariage, est une conséquence de la précédente, et ne paraît pas plus conforme à la raison; elle est en opposition avec cette grande règle d'équité naturelle, que nous a transmise la sagesse des jurisconsultes romains: Nihil tam naturale est quàm eo genere quicquid dissolvere quo colligatum est. Ideò verborum obligatio verbis tollitur; nudi consensûs obligatio contrario consensu dissolvitur. Loi 55, ff de R. J.

Rien ne paraît plus raisonnable que cette règle, et son application aux conventions matrimoniales. Supposons deux époux dont le contrat de mariage porte exclusion de communauté, conformément à l'art. 1500 du Code. Chacun jouit de ses biens, -les administre comme il lui plaît, et s'il fait des économies ou des acquêts, ce n'est que pour son propre compte : il en résulte qu'il n'existe entre eux aucun intérêt commun, quoiqu'ils aient des dépenses et des devoirs communs.

Si, dégoûtés enfin par sentiment et par expérience, de ce triste isolement de leurs intérêts, si peu convenable à deux individus dont la nature a si intimement et pour toujours uni les personnes, les deux époux désirent en revenir au droit commun, en établissant entre eux le régime de la communauté, ce retour au droit commun,

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toujours si favorable, leur sera-t-il donc interdit? Loin de réprouver un pareil acte, la raison y applaudit.

26. Cependant, l'ancienne jurisprudence française ne le permettait pas; elle voulait que toutes les conventions matrimoniales fussent faites avant le mariage, et déclarait nuls tous les changemens qu'on y faisait depuis la signature du contrat, soit avant, soit après la célébration du mariage, sans le consentement des parens.

27. Cette nécessité de la présence des parens aux conventions matrimoniales des époux, remonte à une haute antiquité; car elle paraît nous être venue des peuples d'origine germanique qui vinrent s'établir dans les Gaules, et qui nous apportèrent un si grand nombre de leurs institutions avec le régime de la communauté. Chez ces peuples, on ne pouvait donner ses immeubles sans le consentement de ses héritiers (1). De là, la nécessité d'appeler les parens des deux familles aux fiançailles et aux conventions matrimoniales, pour veiller à leurs intérêts, sans quoi elles étaient nulles (2).

Plusieurs de nos anciennes coutumes prouvent que cet usage avait passé en France, et qu'il s'y maintint. L'ancienne Coutume de Bourgogne, rédigée en 1459, tit. 4, art. 7, et la nouvelle, réformée en 1570, art. 26, exigent le consentement des plus

(1) Heineccius, Elementa juris germanici, liv. 2', § 354. (2) 1bid., liv. 1, §§ 188, 190, 193.

proches parens habiles à succéder aux époux, pour la validité de leurs conventions et donations.

Ce fut donc pour l'intérêt des familles que fut introduite la nécessité de la présence des parens aux conventions matrimoniales.

28. Ce fut encore par cette raison que la nécessité de la présence des mêmes parens fut exigée pour la validité de tous les contrats ou traités faits entre époux, dont l'un d'eux pouvait retirer quelque profit, comme nous l'apprend encore l'art. 26 de la Coutume de Bourgogne : Le mari › et la femme ne peuvent faire traité, donation, » confession ou autres contrats, constant leur mariage, par testament ou ordonnance de dernière volonté, ou autrement, si ce n'est du con» sentement des plus prochains parens vivans, qui devraient succéder au mari ou à la femme. »

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29. Cette disposition finale fait bien voir que la présence des parens n'était exigée que pour les mettre à même de veiller à leurs intérêts et à ceux de leurs familles. Aussi le savant Bouhier, sur cet article, adopte le sentiment de Dumoulin, ce grand oracle du droit coutumier. « Ce consentement est requis, dit-il, non solo favore mulierum, sed etiam favore agnatorum, et cognato• rum, ne hereditaria bona diriperentur.

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30. Même raison d'exiger la présence des parens pour la validité des contre-lettres. La Coutume de Paris portait, art. 258: «Toutes contre> lettres faites à part, et hors la présence des ⚫ parens qui ont assisté aux contrats de mariage, » sont nulles. Ferrière, sur cet article, n°. 5, ob

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serve que « quoique cet article semble restreint aux » contre-lettres faites après le contrat de mariage » il a lieu pour celles qui sont faites avant. Aussi voyons-nous qu'un arrêt du 19 février 1716 (1), jugea nulle une donation faite entre les futurs époux, sans y avoir appelé leurs parens, la veille de leur contrat de mariage.

Cet arrêt était conforme aux anciens principes, qui avaient fait introduire la nécessité de la présence des parens aux conventions matrimoniales des époux, et aux usages que nous avaient anciennement apportés les peuples d'origine germanique, qui s'étaient établis dans les Gaules. C'est de là que nous vient ce vœu si prononcé des coutumes pour la conservation des biens dans les familles, cette aversion pour les donations, que nous avons remarquée ailleurs. (2)

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La raison, dit Ferrière (3), pour laquelle nos » coutumes se sont écartées des lois romaines, > en défendant aux conjoints par mariage toute espèce d'avantage et donation, est fondée sur » le soin et le désir de conserver les biens dans » les familles, qui a servi de fondement à la plus grande partie des dispositions coutumières, » comme celle qui regarde les propres, les retraits

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(1) Il est rapporté dans le Traité des contrats de mariage, tom. I, pag. 212; dans le Répertoire, v. Contre-lettre, pag. 116, in fine, 4. édition, et par Pothier, préface du Traité de la communauté, n. 14.

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(2) Tom. V, pag. 174.

(3) Sur l'art, 282 de la Coutume de Paris, glos. 1, n.o 6.

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