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suffrages; il faut dire aussi que, ni à l'une ni à l'autre époque, elles ne trouvaient faveur dans les sphères administratives : trop libérales en 1869, elles ne répondaient pas au genre de libéralisme qui dominait en 1871. L'Assemblée nationale lui ouvrit la vie publique en l'élisant membre du Conseil d'Etat. Appelé bientôt à la vice-présidence de ce grand corps, il y montra les qualités et les ressources d'un esprit supérieur. Malheureusement, les événements politiques le contraignirent à quitter ces fonctions. Une grande Compagnie de chemin de fer en profita pour l'appeler à la présidence de son Conseil d'administration. Là encore, grâce à son aptitude aux affaires, il rendit des services considérables, non seulement à la Compagnie qui l'avait mis à sa tête, mais à toutes les grandes Compagnies de chemins de fer dont il fut le conseiller écouté dans les négociations qui aboutirent aux conventions de 1883.-M. Andral n'avait pas, en ce qui nous concerne, borné son adhésion à son inscription sur nos listes, il a pris part, plus d'une fois, à nos réunions et à nos discussions, et en acceptant la viceprésidence de la Société, il lui avait donné un appui moral des plus précieux. Il avait droit au témoignage de reconnaissance qu'en votre nom je donne à sa mémoire.

Le temps qui m'est étroitement mesuré m'oblige à mentionner plus sommairement, que je ne le désirerais, M. ARRIGHI, qui laisse au Palais, où il s'était fait une place honorée, le souvenir d'un homme d'autant de cœur que de talent; M. TENAILLE SALIGNY, ancien avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, ancien préfet, ancien sénateur; M. HOUETTE, membre de la Chambre de commerce de Paris qui, en se faisant inscrire au nombre des membres de la Société avait voulu reconnaître les services qu'elle rend au monde des affaires; M. RICARD, notaire à Paris; M. Jules DUFOUR, avocat à Bucharest; M. MALAPERT, avocat à la Cour d'appel, professeur de droit commercial au Conservatoire des Arts et Métiers, auteur de publications juriques dignes d'estime, qui a pris plusieurs fois part à nos discussions où il apportait des vues personnelles exposées avec une ardeur de conviction qui faisait excuser la forme parfois un peu àpre de son langage.

Le nom de M. VILLEQUEZ, doyen de la Faculté de droit de Dijon, éveille en moi des souvenirs et des regrets personnels dont vous me permettrez d'apporter ici l'expression. J'étais étudiant à cette Faculté quand il vint, en 1851, y occuper la chaire du Code civil,

qu'il occupait encore au jour de sa mort; j'ai pu suivre pendant un certain temps son enseignement et apprécier les qualités de vigueur et de solidité qui en étaient le caractère distinctif. Il avait conquis sa chaire dans un concours ouvert devant la Faculté de Paris, et qui fut le dernier pour la nomination aux chaires dans les facultés de droit. Il était alors depuis quelques mois suppléant à la Faculté de Rennes, après avoir auparavant enseigné à Dijon même, pendant plusieurs années, en qualité de suppléant provisoire. Il revint avec bonheur s'y fixer pour toujours. Il s'y trouvait à proximité du village où il était né, non loin de Gray, dans la Haute-Saône, et où vivait sa mère. M. Villequez, en effet, était originaire de Franche-Comté, province de tout temps féconde en jurisconsultes, qui a donné à la science du droit, entre autres, Proudhon, doyen lui aussi de la Faculté de Dijon et le rival de gloire de Toullier au commencement de ce siècle; Grappe bien connu au barreau de Paris vers le même temps; Bugnet et Valette enfin pour ne parler que de ceux qui ne sont plus. Je passe sous silence d'autres noms d'une notoriété plus locale, appartenant notamment à la fin de l'ancien régime, et dont l'évocation attesterait la puissance de vie qu'entretenait encore, même en sa décadence, au moins dans le domaine du droit, la décentralisation universitaire qu'on s'efforce de nous rendre aujourd'hui, dans des conditions difficiles, parce qu'on ne peut plus l'appuyer sur la décentralisation provinciale qui lui servait alors de cadre et de support.

M. Villequez connaissait bien ces vieilles universités de FrancheComté, ou plutôt cette vieille université, car il n'y en eut qu'une transportée successivement de Gray à Dôle, puis à Besançon, il en connaissait particulièrement la faculté de droit dont il a écrit l'histoire et, à la suite, celle de la faculté de Dijon, son héritière, car Dijon avait obtenu à son profit le transfert de l'université bisontine. Dans cette histoire pleine de renseignements intéressants, il n'oublie rien ni personne. Je ne sais si je dois le remercier d'y avoir honorablement inscrit mon nom, car sous l'empire d'un bon sentiment sans doute, il a eu l'imprudence de m'y désigner comme le successeur de Bugnet, en ajoutant que Bugnet lui-même était élève de Proudhon, écrasant ainsi ma modeste personnalité sous le poids de ces deux grands noms dont il semble vouloir me faire le conti

nuateur.

M. Villequez n'a pas écrit que cette consciencieuse histoire des Écoles de droit de Franche-Comté et de Bourgogne. On lui doit deux

petits livres relatifs à la chasse où se manifestent avec quelque vivacité les goûts du chasseur alliés à la science du jurisconsulte. Il a donné aussi, dans diverses revues, un certain nombre de dissertations juridiques très remarquables, dont le sujet est ordinairement choisi dans des matières où le droit actuel s'éclaire à ses origines historiques. Mais c'est à son enseignement oral qu'il a donné le meilleur de son temps et de sa vie. Content de son lot, n'ambitionnant pas un théâtre plus en vue que celui où il se trouvait placé, esprit ouvert, cœur chaud, caractère expansif, il n'avait pas de plaisir plus vif que de s'échapper, dès que ses devoirs professionnels le lui permettaient, pour aller au village natal embrasser sa mère qu'il aimait autant qu'il en était aimé et dont la santé lui avait inspiré, dans les dernières années, d'assez vives inquiétudes. Elle lui a survécu cependant pour mourir quelques jours après lui, frappée par le coup qui le lui avait enlevé. M. Villequez avait bien voulu me garder de loin un souvenir affectueux; je lui devais ces quelques mots de souvenir reconnaissant.

Mais, de toutes les pertes que nous avons à déplorer, il n'en est pas de plus cruelle et qui nous laisse des regrets plus profonds que celle de M. Raphaël GONSE, décédé conseiller à la Cour de cassation, où il avait été appelé deux ans avant sa mort.

M. Gonse appartenait à la Société de législation comparée dès l'époque de sa fondation, en 1869. Il était alors avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Comprenant toute l'importance de l'étude des législations étrangères, assez négligée à cette époque, bien préparé d'ailleurs pour cet ordre d'études, comme il devait le montrer, il répondit des premiers, et avec un grand empressement, à l'appel des promoteurs d'une œuvre au succès de laquelle il devait puissamment contribuer. Ce qu'il apportait, en effet, à la Société naissante, ce n'était pas une adhésion banale, c'était une collaboration active et dévouée qui ne s'est jamais démentie: collaboration scientifique d'abord, dont la trace durable demeure dans nos Bulletins et dans nos Annuaires, collaboration administrative aussi, non moins précieuse, soit au Conseil de directien, soit au secrétariat général, qui est comme la cheville ouvrière et l'organe principal des associations comme celle-ci, soit enfin dans une des vice-présidences, récompense insuffisante des services incessants qu'il nous avait rendus. Cependant des récompenses d'un autre ordre lui étaient réservées qui devaient lui fournir l'occasion de rendre d'autres services à la science et au pays. Son grand mé

rite avait fixé l'attention du garde des sceaux, qui l'appela d'abord à un emploi élevé dans la magistrature de province il fut nommé, en novembre 1875, substitut du procureur général à Limoges. Peu de mois après, Dufaure, qui venait de fonder la bibliothèque de législation étrangère et le comité chargé de la former et de la conserver (27 mars 1876), lui confia, avec le titre de chef de bureau au ministère de la justice, des fonctions considérables qui l'associérent de très près à cette fondation et qui l'acheminèrent à la direction des affaires civiles, en passant par le grade intermédiaire de chef de division. Les études mêmes qu'il avait faites à la Société de législation comparée l'avaient bien préparé à remplir ce poste qui l'associait au travail législatif en le faisant participer à la rédaction de nombreux projets de lois. Il y apportait, d'ailleurs, outre une instruction solide en législation et la sagacité d'un esprit exercé et pénétrant, des habitudes laborieuses contractées de bonne heure et qu'il a conservées dans tout le cours de sa carrière. Les douze années qu'il passa au ministère de la justice, du 1er avril 1876 au 23 février 1888, ont été des mieux et des plus activement remplies. Parmi les nombreuses commissions extra-parlementaires aux travaux desquelles il a pris part, je mentionnerai seulement celle de la loi sur les sociétés et celle de la réforme du Code de procédure civile; ce n'était là, d'ailleurs, qu'une partie de sa tâche au point de vue législatif; il faudrait y joindre la préparation des projets de loi élaborés par le Conseil d'Etat, dont il était devenu membre, ou présentés directement par le garde des sceaux. Les services signalés rendus par M. Gonse dans cette situation lui valurent d'abord la croix de chevalier (1881), puis celle d'officier (1884) de la Légion d'honneur et enfin, comme récompense bien légitime, en 1888, ce siège à la Cour suprême qu'il occupait lorsqu'une mort prématurée (il n'avait que cinquantetrois ans) vint le frapper inopinément. La Cour, qui avait su apprécier la valeur de l'avocat lorsqu'il plaidait à sa barre, avait compté pouvoir profiter longtemps des lumières de sa science et de son expérience; elle a été douloureusement frappée par sa perte. Son passage, a dit M. l'avocat général Desjardins, « éveilla toutes les espérances et nous laisse tous les regrets. »

Ces regrets, Messieurs, nous les ressentons plus que personne. Dans les situations diverses qu'il avait occupées, M. Gonse n'avait jamais oublié la Société de législation comparée: elle était pour

lui comme une seconde famille. Assidů aux séances du Conseil de direction dont il était membre permanent en qualité d'ancien secrétaire général, non moins assidu aux réunions de la section des langues du Nord dont il était un des membres les plus actifs, il a continué jusqu'à son dernier jour sa collaboration aux annuaires de législation étrangère. Il s'y était constitué une sorte de domaine personnel. Attaché à l'Alsace par des liens que lui avait créés son mariage, il s'était donné pour tâche de nous faire connaître, année par année, le mouvement législatif en Alsace-Lorraine et les modifications qu'y subissaient les lois françaises: travail intéressant pour le juriste et plein, pour le patriote, d'une amertume qui ne va pas cependant sans quelque douceur, car c'est encore un moyen de maintenir une certaine communauté avec ceux qui ont été violemment séparés de nous, en les suivant dans les vicissitudes de leur existence nouvelle. Rien de ce qui les touche ne doit nous demeurer étranger.

Une si longue, si fidèle, si affectueuse coopération nous créait envers M. Gonse, au jour de sa mort, des devoirs particuliers. Aussi le bureau et le conseil de direction de la Société ont-ils été représentés à ses obsèques, je dirais officiellement si les obsèques célébrées hors de Paris n'avaient pas revêtu un caractère exclusivement privé. Pour la même raison, je n'ai pas pu dire, au bord même de la tombe de notre confrère et ami, comme je l'aurais désiré, notre reconnaissance, nos souvenirs et nos regrets. Du moins ont-ils été consignés dans le procès-verbal de la séance du Conseil de direction qui a suivi, en attendant qu'il me fût permis, en ce jour, d'en renouveler l'expression solennelle. Puisse le témoignage de notre reconnaissante estime contribuer à adoucir la douleur de la famille que sa mort a si douloureusement frappée.

Et maintenant, Messieurs, avant de descendre de ce siège où m'avait fait monter votre bienveillance, ma dernière parole, comme la première que j'ai prononcée en en prenant possession, doit être pour vous remercier, du fond du cœur, de l'honneur insigne que vous m'avez fait en m'appelant à la présidence de la Société de législation comparée. Cet honneur s'est trouvé singulièrement agrandi par la bonne fortune qui m'est échue de présider nos assises solennelles de l'année dernière. Ce sera, à coup sûr, l'un des meilleurs, si ce n'est le meilleur souvenir de ma carrière. Mon bonheur serait complet, mon ambition serait comblée, si je pou

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