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un code pénal et un projet de loi pour la responsabilité qui doit accompagner l'exercice du droit de placarder.

M. Noailles. Le droit de placarder est une dépendance de la liberté de la presse; il tient à la liberté de manifester sa pensée d'une manière quelconque. Il ne doit pas y avoir plus de responsabilité pour l'exercice de ce droit que pour celui d'écrire et d'imprimer.

M. Legrand. Ce que je demande, c'est qu'on fasse une loi pour empêcher qu'on puisse placarder des calomnies contre les citoyens, nuitamment, par exemple. (On rit.)

M. Prieur. Quand vous feriez une loi contre les placards calomnieux, je demande si vous empêcheriez qu'on en affichât nuitamment. Voulez-vous au contraire consacrer les principes de la liberté: les écrits calomnieux et incendiaires tomberont dans le mépris. Voulez-vous détruire les placards incendiaires, calomnieux et factieux : laissez-en couvrir les murailles, et bientôt ils tomberont dans l'avilissement. Si vous les défendez, ils deviendront rares; plus ils seront rares, plus ils seront recherchés, et plus ils feront d'effet. (On entend des rumeurs.) Et voici la preuve de ce que j'avance. La calomnie n'a-t-elle pas aiguisé tous ses poignards contre nous? Ces libelles se vendaient dans les rues; vos corridors en étaient pleins : aujourd'hui il n'y en a plus. (On murmure.) On me dit qu'il y a encore l'abbé Royou, l'Ami du Peuple; je dis qu'ils ne sont plus lus que par les insensés, et que non-seulement tous ces libelles ne se vendent plus, mais que les honnêtes gens n'en veulent plus pour rien. Laissez donc une liberté entière, et les mauvais écrits tomberont d'eux-mêmes dans le néant... Le droit d'affiche doit être respecté comme tout autre moyen de manifester sa pensée.

M. Regnault, député de Saint-Jean-d'Angély. Le droit d'affiche appartient à tous les particuliers, sous les mêmes conditions que l'édition de leurs pensées. Mais je réclame contre l'attribution de ce droit aux sociétés, parce que je crois qu'il se rapprocherait du caractère de la loi et semblerait leur consacrer une existence politique. Je demande donc que ce droit soit attribué seulement à tous les individus, et point aux sociétés.

M. Barnave. Je ne crois pas que la discussion, envisagée sous son véritable point de vue, puisse être l'objet d'un dissentiment d'opinion. Je distingue deux choses dans la question : l'une est le caractère légal qui doit être exclusivement attribué à la loi, et l'autre, la manifestation de la pensée. Je vois trois points très-distincts dans la contexture des actes émanés des autorités constituées, sa

voir : l'intitulé, l'affiche et la publication. Quant à l'affiche, je pense, comme M. Goupil, qu'il doit lui être réservé une place particulière. La publication doit être assujettie aux mêmes principes: c'est être sacrilége à la loi que d'en emprunter les formes. L'intitulé doit aussi être particulier; aucun acte d'association établie par la loi ne pourra porter le même protocole. Si elles veulent faire connaître leur sentiment, ce ne doit être que sous le titre d'avertissement. Cela tombe alors, comme l'a dit M. Regnault, sous les mê– mes règles que la manifestation des opinions; et je crois qu'à cet égard les individus réunis ont autant de droit que les individus séparés. Je demande s'il est quelqu'un dans cette assemblée qui puisse contester à un homme le droit de publier un livre? Eh bien! par la même raison, il peut annoncer que ce livre traite de telle matière, qu'il renferme telles maximes. Si ce livre a été fait par une société littéraire ou par une académie, cette société n'a-t-elle pas aussi le droit d'annoncer son livre comme un individu isolé? Hors de cela, vous franchissez les limites que votre caractère même a posées.

M. Dupont. Aucun citoyen ne doit être responsable des actions d'autrui ainsi je demande que le droit d'affiche ne soit accordé qu'à toute société qui voudra faire signer ses membres au bas de l'imprimé, parce qu'un nom collectif ne suffit point à la responsabilité.

M. Beaumetz. Toute la différence qu'il y a entre la manière d'énoncer son opinion par la voie d'une affiche ou d'un livre, c'est que, dans le premier cas, on s'arrête au coin de la rue pour vous lire, et que, dans le second, on vous achète des mains d'un libraire ou d'un colporteur; ainsi je pense qu'il doit être permis de faire une affiche en nom collectif, comme un livre. On objecte qu'alors le droit de responsabilité n'existe plus. N'avez-vous pas le président et les secrétaires de la société, que vous traduirez devant les tribunaux, comme particuliers? Je demande donc que le droit d'affiche ne soit pas retiré aux sociétés.

M. Regnault de Saint-Jean-d'Angély. Dans une société, il n'y aura jamais qu'une partie de ses membres qui aura été de l'avis de la délibération, comment voulez-vous rendre la minorité responsable d'un acte auquel elle aura refusé de concourir?

M. Chapelier. J'adopte les diverses propositions qui ont été faites. Il en est cependant une à laquelle je m'oppose. On demande que les sociétés puissent afficher sous un nom collectif. Sous le point de vue de l'intérêt particulier, rien ne serait plus nuisible aux sociétés qui pourraient se trouver liées par vingt de leurs membres; et, sous le rapport de l'intérêt public, on donnerait lieu de craindre

la renaissance d'associations qui finiraient par prendre un caractère politique. Je pense que les sociétés peuvent donner des avertissements par la voie d'affiche, en mettant au bas la signature de deux ou trois personnes, et en y joignant le nombre des individus, au nom desquels cet avertissement sera donné.

La discussion est fermée.

L'assemblée, consultée, décrète l'article suivant :

« Art. XIV. Aucune affiche ne pourra être faite sous un nom collectif. Tous les citoyens qui auront concouru à une affiche seront tenus de la signer. »>

M. Ræderer. Je demande, non pas seulement pour l'intérêt du trésor public, mais par une raison politique, que toutes les affiches soient soumises aux droits de timbre. (On applaudit à plusieurs reprises.)

M Biauzat. Vous ne devez pas établir le droit de timbre sur les affiches des personnes qui veulent débiter leurs ouvrages... Je demande le renvoi de la proposition de M. Roederer au comité, qui nous en fera un rapport détaillé.

On demande à passer à l'ordre du jour.

M. Ræderer. On peut décréter le principe et renvoyer au comité les détails. Il y a au droit d'affiche un petit danger qui n'est point attaché à la publication des livres : c'est particulièrement pour le prévenir que je propose le timbre. Lorsque dans un libelle, un aristocrate me traite de factieux, j'ai contre lui un facile recours, parce que je trouverai toujours, soit l'imprimeur, soit le libraire, soit le colporteur. L'affiche ne présente pas le même avantage. Je deinande donc, avec le comité, que celui qui met l'affiche soit obligé de la signer, et je demande encore que l'on ne puisse pas mettre une fausse signature; cela n'arrivera jamais si on est obligé de la porter chez un homme public pour y apposer le timbre.

L'assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion de passer à l'ordre du jour.

Le renvoi de la proposition de M. Roederer au comité est décrété.

Le Moniteur ne dit rien sur la fin de cette discussion. Le décret fut terminé le 18; on n'y trouve pas l'article proposé par Ræderer. Mais les articles de Goupil, sauf la disposition relative au flagrant délit, y forment l'article XI.

La loi sur le droit de pétition et d'affiche fut vivement attaquée. On répondit de tous côtés à cette sentence exprimée dans la loi Le droit de pétition appartient à tout individu et ne peut se déléguer, que le peuple, pouvant déléguer le droit de faire

TOME V.

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des lois, pouvait aussi bien déléguer le droit de faire des pétitions. « Lorsqu'on a lu, ajoute Brissot, le projet de décret sur le droit de pétition, lorsqu'on se rappelle que la déclaration des droits n'est pourtant pas une chimère, on ne conçoit pas qu'il existe des hommes assez dévergondés pour oser proposer à l'assemblée régénératrice de la France de fouler aux pieds les droits les plus sacrés de l'homme. On assure que Mirabeau, avant sa mort, avait formé le projet d'enchaîner Paris par le département, et la France par Paris. Disposant à son gré du directoire et du comité de constitution, il aurait fait ici la loi, et présidé là à l'exécution. Cette idée acquiert une grande vraisemblance, quand on observe la conduite du directoire du département, la coalition qui s'est formée entre ces deux sociétés, les adresses insidieuses de l'un, et les projets abominables de l'autre. >>

« Un décret sur le droit de pétition! ne faut-il pas être bien écolier, ou profondément tyran, pour en imaginer un! Un décret en dix-huit articles, pour une chose aussi simple, pour régler un droit que l'homme tient de la nature! Mais les valets du despotisme savent bien que multiplier les lois, c'est le secret de ressusciter le despotisme. Et voilà pourquoi ils empilent décret sur décret, volume sur volume.» (Patriote français, 10 mai.)

Les Révolutions de Paris émettent aussi sur ce sujet de longues observations. L'auteur de l'article répète d'abord la suite des objections qui ont été faites par les orateurs de l'assemblée. Il y ajoute celle-ci : « Ce décret renferme d'ailleurs une contradiction manifeste avec les décrets rendus précédemment on a permis constitutionnellement aux corps administratifs, municipaux et judiciaires, de présenter des mémoires au corps législatif. Or, ces mémoires ne sont-ils pas de véritables pétitions. Le projet sur lequel le comité lui-même vient de faire une loi n'avait-il pas été présenté par le directoire du département de Paris, sous le titre de pétition? » (Révolutions de Paris, no XCVI.)

Desmoulins attaque principalement Chapelier sur sa définition du droit de pétition essentiellement individuel et essentiellement indéléguable. « Y a-t-il un sophisme plus puéril? Jusqu'à présent on avait conclu de ce qu'une chose appartenait à chacun, qu'elle appartenait à tous, et M. Chapelier conclut au contraire que le droit de pétition n'appartient pas à tous, parce qu'il appartient à chacun. De ce que le droit de défense personnelle est un droit individuel, donc tous ne peuvent se réunir en corps d'armée pour en imposer davantage à l'ennemi. C'est pourtant ce que prétend Chapelier. Misérable ergoteur! oh! quand viendra la seconde législa

ture! Infâme comité de constitution! coupe-gorge de la constitution! poursuis! j'espère que l'excès du mal apportera le remède, et qu'il se trouvera quelque orateur puissant en œuvres et en paroles, quelque génie de la trempe de Mirabeau, qui ouvrira la première session de la seconde assemblée nationale, par ces mots : Nous sommes aujourd'hui ce que nous étions hier; je demande qu'on casse tous les actes de César. » (Révolutions de France, etc., no LXXVII.)

« Dire, ajoute Marat, que le droit de pétition est individuel et qu'il ne peut se déléguer, c'est avancer à la fois cent absurdités, c'est déclarer que des sociétés d'ouvriers, d'artistes, de marchands, de savants, etc., ne peuvent avoir aucune branche commune d'industrie à faire valoir, aucun intérêt commun à défendre, aucun tort commun à faire réparer. C'est prétendre qu'un homme de loi, un homme instruit, un homme courageux, ne peut être chargé légalement de la poursuite de leurs griefs, de leurs intérêts ou de leurs avantages. C'est prétendre que les abus, les malversations, les vexations, les prévarications, les concussions, les brigandages, les conjurations, les trahisons, les conspirations, en un mot, toutes les machinations faites contre la chose publique par les agents du peuple, n'attaquent qu'un individu, qu'elles n'intéressent que des particuliers isolés, et qu'elles ne peuvent concerner les citoyens assemblés, les membres réunis de l'empire. De pareilles absurdités suffiraient pour prouver que l'assemblée qui a rendu le décret est en démence, si elles ne prouvaient qu'elle n'a déraisonné de la sorte que pour couvrir ses noirs attentats.

« Le décret sur le droit de pétition est le plus affreux attentat contre les droits de la nation; par cela seul, il est nul, de toute nullité. Peut-être les sections de la capitale sont-elles trop gangrenées pour protester contre ce coup d'autorité; mais les sociétés fraternelles ne sont pas assez lâches pour abandonner la chose publique. Le seul moyen de la sauver est de s'assembler sans délai, de se réunir toutes ensemble, et d'afficher en leur nom collectif une protestation vigoureuse qu'elles enverront à toutes les sociétés patriotiques du royaume, en les pressant de donner à la France le même exemple d'énergie et de civisme. » (L'Ami du Peuple, no XDLVIII.) Il s'agissait enfin pour l'assemblée nationale, si souvent accusée de vouloir se perpétuer, de fixer le terme de ses travaux. Il restait une dernière partie de la constitution à achever, depuis longtemps décidée en principes il est vrai, mais dont les détails n'avaient pas encore été discutés. C'était l'organisation du pouvoir législatif. Nous analyserons dans la deuxième partie de ce volume

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