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brunes, de plus ou moins noires. L'espèce est généraleme: répandue en Europe, en Asie, en Afrique; mais on prétend qu'il n'y en avait point en Amérique, et que, celles qui y sont actuellement 20 en grand nombre, viennent 21 originairement de notre continent; ce qu'il y a de vrai, c'est qu'il paraît que ce petit animal suit 22 l'homme et fuit les pays inhabités,24 par l'appétit naturel qu'il a pour le pain, le fromage, le lard,25 l'huile, le beurre et les autres aliments que l'homme prépare pour luimême.

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BUFFON (1707-1788).

IX. CONFIANCE EN DIEU.

DEUX hommes étaient voisins, et chacun d'eux avait une femme et plusieurs petits enfants, et son seul travail pour les faire vivre.1

Et l'un de ces deux hommes s'inquiétait en lui-même en disant: Si je meurs, ou que 2 je tombe malade, que deviendront ma femme et mes enfants?

Et cette pensée ne le quittait point et elle rongeait son cœur comme un ver ronge le fruit où il est caché.

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Or, bien que la même pensée fût venue à l'autre père, il ne s'y était point arrêté; car, disait-il, Dieu, qui connaît toutes ses créatures, et qui veille sur elles, veillera aussi sur moi, et sur ma femme, et sur mes enfants."

Et celui-ci vivait tranquille, tandis que le premier Le goûtait pas un instant de repos ni de joie intérieurement.

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Un jour qu'il travaillait aux champs, triste et abattu à cause de sa crainte, il vit' quelques oiseaux entrer dans un buisson, en sortir, et puis bientôt y revenir encore.

Et s'étant approché, il vit deux nids posés côte a côte, et dans chacun plusieurs petits nouvellement éclos 10 et encore sans plumes.

Et quand il fut retourné 11 à son travail, de temps en temps il

levait les yeux et regardait ces oiseaux, qui allaient et venaient,' portant la nourriture à leurs petits.13

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Or, voilà qu'au moment où l'une des mères rentrait avec sa becquée: un vautour la saisit, l'enlève, et la pauvre mère, sc débattant vainement sous sa serre, 14 jetait des cris perçants.

A cette vue, l'homme qui travaillait sentit son âme plus troublée qu'auparavant; "car, pensait-il, la mort de la mère est la mort des enfants. Les miens n'ont que moi non plus. Que deviendront-ils 15 si je leur manque?"

Et tout le jour il fut sombre et triste, et la nuit il ne dormit point.

Le lendemain, de retour aux champs,16 il se dit: "je veux voir les petits de cette pauvre mère: plusieurs sans doute ont déjà péri ;" et il s'achemina vers le buisson.

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Et, regardant, il vit les petits bien portants; pas un ne semblait avoir pâti.

Et ceci l'ayant étonné, il se cacha, pour observer ce qui se passerait.

Et après un peu de temps, il entendit un leger cri, et il aperçut la seconde mère rapportant en hâte la nourriture qu'elle avait recueillie, et elle la distribua à tous les petits indistinctement,19 et il y en eut pour tous, 20 et les orphelins ne furent point délaissés dans leur misère.

Et le père qui s'était défié de la Providence, raconta, le soir, à l'autre père ce qu'il avait vu.

Et celui-ci lui dit: "Pourquoi s'inquiéter? Jamais Dieu n'abandonne les siens.21 Son amour a des secrets que nous ne connaissons point. Croyons, espérons, aimons, et poursuivons notre route en paix.

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Si je meurs avant vous, vous serez le père de mes enfants, si vous mourez avant moi, je serai le père des vôtres.

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Et si, l'un et l'autre, nous mourons avant qu'ils soient en âge2 de pourvoir à leurs nécessités, ils auront pour père le Père qui est dans les cieux."

LAMENNAIS (1782-1854)

V X. LE CORBEAU ET LE RENARD.

MAITRE Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.

Maître renard, par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage:1

Hé! bonjour, Monsieur du corbeau, 2

Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

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Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie;"
Et, pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

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Le renard s'en saisit, et dit: Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute:

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Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.

Le corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

LA FONTAINE (1621–1695).

XI. LE CHEVAL.

LA plus noble conquête que l'homme ait jamais faite1 est celle de ce fier et fougueux animal qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats: aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l'affronte; il se fait 2 au bruit des armes, il l'aime, il le cherche, et s'anime de la même ardeur. Il partage aussi ses plaisirs à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle. Mais, docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu, il sait réprimer ses mouvements: 4 nonseulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs; et, obéissant toujours aux impres

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sions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère 5 ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire. C'est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'un autre, qui sait même la prévenir, qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l'exprime et l'exécute; qui sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on le veut; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s'excède, et même meurt pour mieux obéir. . . .

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Le cheval est de tous les animaux celui qui, avec une grande taille, a le plus de proportion et d'élégance dans les parties de son corps: car, en lui comparant les animaux qui sont immédiatement au-dessus et au-dessous, on verra que l'âne est mal fait, que le lion a la tête trop grosse,11 que le bœuf a les jambes trop minces et trop courtes pour la grosseur de son corps, que le chameau est difforme, et que les plus gros animaux, le rhinocéros et l'éléphant, ne sont, pour ainsi dire, que des masses informes.12 Le grand allongement des mâchoires est la principale cause de la différence entre la tête des quadrupèdes et celle de l'homme: c'est aussi le caractère le plus ignoble de tous; cependant, quoique les mâchoires du cheval soient fort allongées, il n'a pas comme l'âne un air d'imbécillité, ou de stupidité comme le bœuf. La régularité des proportions de sa tête lui donne, au contraire, un air de légèreté qui est bien soutenu 13 par la beauté de son encolure. Le cheval semble vouloir se mettre au-dessus de son état 14 de quadrupède en élevant sa tête dans cette noble attitude, il regarde l'homme face à face. Ses yeux sont vifs et bien ouverts, ses oreilles sont bien faites et d'ane juste grandeur,15 sans être courtes comme celles du taureau ou trop longues comme celles de l'âne; sa crinière accompagne bien sa tête, orne son cou et lui donne un air de force et de fierté; sa queue traînante et touffue 16 couvre et termine avantageusement l'extrémité de son corps; mais l'attitude de la tête et du cou contribue plus que celle de toutes les autres parties du corps à donner au cheval un noble maintien.17

BUFFON (1707-17881

XII. LA CONSULTATION.

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"Tous mes voisins parlent de consultation. Jacques 1 a con. sulté son avocat; Pierre a consulté son avoué; Mathieu a consulté son notaire. J'ai de l'argent; je veux consulter aussi, moi." 2

Ainsi raisonnait Jean-Paul. Il va à la ville, demande l'adresse d'un homme de loi, se présente chez lui et, jetant une pièce de monnaie sur le bureau du jurisconsulte, "donnez-moi une consultation d'un écu, dit-il; voici votre argent."

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"Sur quoi désirez-vous avoir mon avis? demanda l'avocat. Avez-vous une difficulté avec un voisin ?"-"Oh! non! Je vis 3 très-bien avec mes voisins: Je les laisse faire ce qu'ils veulent." - "Avec un parent, alors!" "Oh! que non.5 Je leur donne ce qu'ils me demandent et je ne leur demande rien." "Mais enfin avez-vous à vous plaindre de quelqu'un,6 "Non! non!"—" Mais

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ou quelqu'un se plaint-il de vous?"
alors pourquoi voulez-vous une consultation?” -
pas; mais j'en veux une."

"Je ne sais

L'avocat prit une feuille de papier timbré, écrivit quelques mots dessus et le remit à Jean-Paul, en empochant l'écu. Le .paysan s'en alla content.

Revenu à la maison, il entendit sa femme discuter avec les domestiques. Les uns prétendaient qu'il fallait rentrer les foins ce soir là, les autres qu'il fallait ne les rentrer que le lendemain. La dispute allait s'échauffer, et Jean-Paul allait y prendre part, car la question était difficile:

"Le foin doit-il 10 être rentré aujourd'hui ou demain ?"

"Que je suis niais! s'écria-t-il; j'ai une consultation dans ma poche et je l'ai payée un écu. Voyons ce qu'elle dit. Il tire son papier timbré, le déploie et lit: "Ne remets jamais au lendemain ce que tu peux faire la veille."

"Voilà la solution, claire et nette, s'écria-t-il. Qu'on rentre les foins ce soir."

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