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comme vous avez dit: Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien: D'amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux. Ou bien: Vos yeux beaux d'amou. me font, belle marquise, mourir. Ou bien: Mourir vos beaux yeux, belle marquise, d'amour me font. Ou bien: Me font vos beaux yeux mourir, belle marquise, d'amour.

M. JOURDAIN. Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure?

LE MAÎTRE DE PHIL. Celle que vous avez dite: Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.

M. JOURDAIN. Cependant je n'ai point étudié, et j'ai fait cela tout du premier coup.* 81 Je vous remercie de tout mon cœur, et je vous prie de venir demain de bonne heure.

LE MAÎTRE DE PHIL. Je n'y manquerai pas."

MOLIÈRE (1622-1673).

On dit qu'à la vue de l'Apollon, le corps se redresse et prend une plus digne attitude; au souvenir d'une belle vie, l'âme doit se sentir, de même, relevée et ennoblie.

QUE de choses à apprendre dans les rues de Paris! Quel Musée! Fruits inconnus, armes étranges, meubles d'un autre temps ou d'autres lieux, animaux de tous les climats, images des grands hommes, costumes des nations lointaines! Le monde est là par échantillons. Aussi voyez ce peuple dont l'instruction s'est faite le long des vitres et devant l'étalage des marchands! rien ne lui a été enseigné, et il a une première idée de toutes choses. On peut certes l'instruire, mais non l'étonner, car aucune chose n'est complétement nouvelle pour lui. Vous pouvez promener le gamin de Paris dans les cinq parties du monde, et, à chaque étrangeté dont vous croirez l'éblouir, il vous répondra par le mot sacramentel et populaire: Connu!

SOUVESTRE

XXIV. LES SOUVENIRS DU PEUPLE

On parlera de sa gloire

Sous le chaume bien longtemps.
L'humble toit, dans cinquante ans,
Ne connaîtra plus d'autre histoire.
Là viendront les villageois
Dire alors à quelque vieille :
Par des récits d'autrefois,
Mère, abrégez notre veille.1
Bien, dit-on, qu'il nous ait nui,2
Le peuple encor le révère,
Oui, le révère.

Parlez-nous de lui, grand'mère ;
Parlez-nous de lui.

Mes enfants, dans ce village,
Suivi de rois, il passa.

Voilà bien longtemps de ça : *
Je venais d'entrer en ménage.*
A pied grimpant le coteau

pour voir je m'étais mise,
Il avait petit chapeau

Avec redingote grise.

Près de lui je me troublai;

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Tous les cœurs étaient contents;
On admirait son cortége.

Chacun disait: Quel beau temps !
Le ciel toujours le protége.

Son sourire était bien doux,

D'un fils Dieu le rendait père,

Le rendait père.

Quel beau jour pour vous, grand'mère!

Quel beau jour pour vous!

Mais, quand la pauvre Champagne
Fut en proie aux étrangers,
Lui, bravant tous les dangers,
Semblait seul tenir la campagne.8
Un soir, tout comme aujourd'hui,
J'entends frapper à la porte."
J'ouvre. Bon Dieu ! 10 c'était lui,
Suivi d'une faible escorte.

Il s'asseoit 11 où me voilà,
S'écriant: Oh! quelle guerre !
Oh! quelle guerre !

Il s'est assis là, grand'mère !
Il s'est assis là !

J'ai faim, dit-il; et bien vite
Je sers piquette et pain bis ;
Puis il sèche ses habits,

Même à dormir le feu l'invite.

Au réveil, voyant mes pleurs,
Il me dit: Bonne espérance!
Je cours, de tous ses malheurs,
Sous Paris,12 venger la France.

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La véritable éloquence consiste à dire tout ce qu'il faut, et à ne dire que ce qu'il faut.

Il faut de plus grandes vertus pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise.

Il est plus honteux de se défier de ses amis que d'en être trompé.

ON n'est jamais si ridicule par les qualités que l'on a que par celles que l'on affecte d'avoir.

PEU de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile, à la louange qui les trahit.

LA ROCHETOUCAULD.

XXV. PAUL ET VIRGINIE ÉGARÉS DANS LA FORÊT.

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Le bon naturel de Paul et de Virginie se développait de jour en jour. Un dimanche, au lever de l'aurore, leurs mères étant allées à la première messe à l'église des Pamplemousses,1 une négresse marronne se présenta sous les bananiers qui entouraient leur habitation. Elle était décharnée comme un squelette, et n'avait pour vêtement qu'un lambeau de serpillière autour des reins. Elle se jeta aux pieds de Virginie qui préparait le déjeuner de la famille, et lui dit: Ma jeune demoiselle, ayez pitié d'une pauvre esclave fugitive: il y a un mois que j'erre1 dans ces montagnes, demi-morte de faim, souvent poursuivie par des chasseurs et par leurs chiens. Je fuis mon maître, qui est un riche habitant 5 de la Rivière-Noire: il m'a traitée comme vous le voyez. En même temps elle lui montra son corps sillonné de cicatrices profondes par les coups de fouet qu'elle en avait reçus. Elle ajouta: Je voulais aller me noyer; mais sachant que vous demeuriez ici, j'ai dit: Puisqu'il y a encore de bons blancs dans ce pays, il ne faut pas encore mourir. Virginie, tout émue, lui répondit: Rassurez-vous, infortunée créature. Mangez, mangez. Et elle lui donna le déjeuner de la maison, qu'elle avait apprêté. L'esclave, en peu de moments, le dévora tout entier. Virginie, la voyant rassasiée, lui dit: Pauvre misérable! j'ai envie d'aller demander votre grâce à votre maître: en vous voyant il sera touché de pitié. Voulez-vous me conduire chez lui? - Ange de Dieu! repartit la négresse, je vous suivrai partout où vous voudrez.- Virginie appela son frère, et le pria de l'accompagner. L'esclave marronne les conduisit par des sentiers au milieu des bois, à travers de hautes montagnes qu'ils grimpèrent avec bien de la peine, et de larges rivières qu'ils passèrent à gué. Enfin, vers le milieu du jour, ils arrivèrent au bas d'un morne, sur les bords de la Rivière-Noire. Ils aperçurent là une

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