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Tic tac, tic tac, j'ai de l'amour,

Tic tac, tic tac, pour plus d'un jour Tra la la la, j'ai de l'amour,

Tic tac, tic tac, pour plus d'un jour

Jeannette aurait une couronne

De beaux enfants, dans quelque temps; Ainsi le cerisier boutonne,

Ainsi l'oiseau niche au printemps;
Mais hélas! au clair de la lune,

Comme chez Pierrot j'ai rêvé;
Mon père ne m'a pas trouvé
Sur le chemin de la fortune.

Tic tac, tic tac, j'ai de l'amour,

Tic tac, tic tac, pour plus d'un jour; Tra la la la, j'ai de l'amour,

Tic tac, tic tac, pour plus d'un jour.

Mon amour me tourne la tête,
Je sens que j'en deviendrai fou,
Quand même j'obtiendrais Jeannette,
Que peut-on faire sans un sou?
Je veux trouver une machine

Pour scier d'un coup la moisson,
Ou pour changer un sac de son
En un sac de blanche farine.

Tic tac, tic tac, j'ai de l'amour,

Tic tac, tic tac, pour plus d'un jour;

Tra la la la, j'ai de l'amour,

Tic tac, tic tac, pour plus d'un jour.

DUPONT (b. 1821)

XXXV. LES PREMIÈRES LECTURES.

Un livre a toujours été pour moi un conseil, un consolateur éloquent et calme dont je ne voulais pas épuiser vite les ressources, et que je gardais pour les grandes occasions. Oh! quel est celui de vous qui ne se rappelle1 avec amour les premiers qu'il a dévorés ou savourés. La couverture d'un bouquin poudreux, que vous retrouvez sur les rayons d'une armoire oubliée, ne vous a-t-elle jamais retracé les gracieux tableaux de vos jeunes années? n'avez-vous pas cru voir surgir devant vous la grande prairie baignée des rouges clartés du soir, lorsque vous la vîtes pour la première fois, le vieil ormeau et la haie qui vous abritèrent, et le fossé dont le revers vous servit de lit de repos et de table de travail, tandis que la grive chantait la retraite à ses compagnes et que le pipeau du vacher se perdait dans l'éloignement. Oh! que la nuit tombait vite sur ces pages divines! que le crépuscule faisait cruellement flotter les caractères sur la feuille pâlissante! C'en est fait, les agneaux bêlent, les brebis sont arrivées à l'étable, le grillon prend possession des chaumes de la plaine. Les formes des arbres s'effacent devant le vague de l'air,3 comme tout à l'heure les caractères sur le livre. Il faut partir; le chemin est pierreux, l'écluse est étroite et glissante; la côte est rude; vous êtes couvert de sueur; mais vous aurez beau faire, vous arriverez trop tard; le souper sera commencé. C'est en vain que le vieux domestique, qui vous aime, aura retardé le coup de cloche autant que possible; vous aurez l'humiliation d'entrer le dernier, et la grand'mère, inexorable sur l'étiquette, même au fond de ses terres, vous fera, d'une voix douce et triste, un reproche bien léger, bien tendre, qui vous sera plus sensible' qu'un châtiment sévère. Mais quand elle vous demandera le soir la confession de votre journée,1o et que vous aurez avoué, en rougissant, que vous vous êtes oublié à lire dans un pré, et que vous aurez été sommé de montrer le livre, après quelque hésitation et

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une grande crainte de le voir confisqué sans l'avoir fini, vous tirerez en tremblant de votre poche, quoi? Estelle et Némorin ou Robinson Crusoé! Oh! alors la grand'mère sourit. Rassurezvous, votre trésor vous sera rendu; mais il ne faudra pas désormais oublier l'heure du souper. Heureux temps! ô ma vallée noire ô Corinne! 12 ô Bernardin de Saint-Pierre! 13 ô l'Iliade! ô Millevoye! 1 ô Atala! 15 ô les saules de la rivière ! ô ma jeunesse écoulée! ô mon vieux chien! qui n'oubliait pas l'heure du souper, et qui répondait au son lointain de la cloche par un douloureux hurlement de regret et de gourmandise! ...

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GEORGE SAND (b. 1804).

XXXVI. UNE CHASSE A L'OURS.

GUILLAUME Mona était un pauvre paysan du village de Fouly, près de Martigny.1

Un ours venait toutes les nuits voler ses poires, car à ces bêtes tout est bon. Cependant il s'adressait de préférence à un poirier chargé de cresanes. Qui est-ce qui se douterait qu'un animal comme ça a les goûts de l'homme, et qu'il ira choisir dans un verger justement les poires fondantes? Or, le paysan de Fouly préférait aussi par malheur les cresanes à tous les autres fruits. Il crut d'abord que c'étaient des enfants qui venaient faire du dégât dans son clos; 2 il prit, en conséquence, son fusil, le chargea avec du gros sel de cuisine, et se mit à l'affût. Vers les onze heures, un rugissement retentit dans la montagne. "Tiens, ditil, il y a un ours dans les environs." Dix minutes après, un second rugissement se fit entendre, mais si puissant, mais si rapproché que Guillaume pensa qu'il n'aurait pas le temps de gagner sa maison, et se jeta à plat ventre contre terre,5 n'ayant plus qu'une espérance, que c'était pour ses poires, et non pour lui que l'ours venait.

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Effectivement, l'animal parut presque aussitôt au coin du verger, s'avançant en droite ligne vers le poirier en question, passa à dix pas de Guillaume, monta lestement sur l'arbre, dont les branches craquaient sous le poids de son corps, et se mit à y faire une consommation telle qu'il était évident que deux visites pareilles rendraient la troisième inutile. Lorsqu'il fut rassasié, l'ours descendit lentement, comme s'il avait du regret d'en laisser, repassa près de notre chasseur, à qui le fusil chargé de sel ne pouvait pas être dans cette circonstance d'une grande utilité, et se retira tranquillement dans la montagne. Tout cela avait duré une heure à peu près, pendant laquelle le temps avait paru plus long à l'homme qu'à l'ours.

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Cependant l'homme était un brave et il avait dit tout bas en voyant l'ours s'en aller: "C'est bon, va-t'en; mais ça ne se passera pas comme ça, nous nous reverrons."

Le lendemain, un de ses voisins qui le vint visiter le trouva occupé à scier en lingots les dents d'une fourche.

Qu'est-ce que tu fais donc là? lui dit-il.-Je m'amuse, répon dit Guillaume.

Le voisin prit les morceaux de fer, les tourna et les retourna dans sa main en homme qui s'y connaît, et après avoir réfléchi un instant:- Tiens, Guillaume, dit-il, si tu veux être franc, tu avoueras que ces petits chiffons de fer sont destinés à percer une peau plus dure que celle d'un chamois.

Peut-être, répondit Guillaume.

-Tu sais que je suis bon enfant, reprit François (c'était le nom du voisin). Eh bien! si tu veux, à nous deux l'ours; deux hommes valent mieux qu'un.

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C'est selon, dit Guillaume, et il continua de scier son troisième lingot.

Tiens, continua François, je te laisserai la peau à toi seul, et nous ne partagerons que la prime et la chair.

J'aime mieux tout, dit Guillaume.

Mais tu ne peux pas m'empêcher de chercher la trace de

l'ours dans la montagne, et, si je la trouve, de me mettre à l'affût sur son passage.

Tu es libre. Et Guillaume, qui avait achevé de scier cea trois lingots, se mit, en sifflant, à mesurer une charge de poudre double de celle que l'on met ordinairement dans une carabine. - Il paraît que tu prendras ton fusil de munition, dit François. Trois lingots de fer sont plus sûrs qu'une balle

Un peu !

de plomb.

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Cela gâte la peau.

Cela tue plus roide.11

Et quand comptes-tu faire ta chasse ?

Je te dirai cela demain.

- Une dernière fois, tu ne veux pas ?
Non.

Je te préviens que je vais chercher la trace!
Bien du plaisir !

Nous deux, dis ? 12

Chacun pour soi.
Adieu, Guillaume!

Bonne chance, voisin!

Et le voisin, en s'en allant, vit Guillaume mettre sa double charge de poudre dans son fusil de munition, y glisser ses trois lingots et poser l'arme dans un coin de sa boutique. Le soir, en repassant devant la maison, il aperçut sur le banc qui était près de la porte, Guillaume assis et fumant tranquillement sa pipe. Il vint à lui de nouveau.

J'ai trouvé la trace

Cependant je viens

Tiens, lui dit-il, je n'ai pas de rancune. de notre bête; ainsi je n'ai plus besoin de toi. te proposer encore une fois de faire à nous deux."

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Le voisin ne put rien dire de ce que fit Guillaume dans la soirée.

A dix heures et demie, sa femme le vit prendre son fusil, rouler un sac de toile grise sous son bras et sortir. Elle n'osa lui

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