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LIVRE VIII.

DE L'ÉTAT PRIMITIF DE L'HOMME.

L'homme est une personne ayant une double substance, l'une matérielle, l'autre spirituelle. Nous venons de rappeler les enseignements du christianisme et de la raison sur la nature de la substance supérieure ou de l'âme, nous avons vu ce qu'elle est en elle-même et par son essence. Nous allons maintenant considérer l'état où Dieu l'établit à l'origine, nous allons voir ce qu'était l'homme tout entier lorsqu'il sortit des mains de son Auteur.

CHAPITRE I.

Doctrine catholique

D'après l'enseignement de l'Église, l'homme fut créé dans un état de grande perfection et pour le corps et pour l'âme. Nous parlerons successivement 1° de l'intelligence du premier homme, 2o de la rectitude et de la sainteté de son âme, 3o de l'immortalité de son corps, 4o de la félicité de toute sa personne.

§ I.

De l'intelligence du premier homme.

D'après la doctrine catholique, le premier homme ne fut point créé dans l'état d'ignorance, mais dans l'état de science; il ne fut point condamné à développer péniblement et par son propre travail son intelligence, Dieu luimême la féconda en la lui donnant. La sainte Écriture ne permet pas le plus léger doute à cet égard. La Genèse nous représente l'homme sorti des mains de Dieu dans le plein exercice de ses facultés intellectuelles; elle nous montre le Créateur conversant familièrement avec celui qu'il vient d'animer de son souffle, et amenant à ses pieds les animaux pour qu'il les nomme et en reçoive l'hommage dû à la souveraineté qu'il exerce sur la nature entière. En un mot, nous voyons Dieu s'entretenir avec Adam comme avec un homme dont l'intelligence est pleinement développée (1). L'Ecclésiastique, après avoir rappelé la création de l'homme et de la femme, poursuit en ces termes « Dieu leur donna le discernement, une langue, des yeux et des oreilles, un esprit pour penser, et il les remplit de la sagesse de l'intelligence. Il créa en eux la science de l'esprit; il remplit leur cœur de sens et leur fit voir les biens et les maux. Il plaça son œil sur leurs cœurs pour leur faire voir la grandeur de ses œuvres, afin qu'ils louassent son saint nom, qu'ils le glorifiassent de ses mer

(1) Gen. c. 11.

veilles et publiassent la magnificence de ses ouvrages (1). » Serait-il possible d'être plus formel et plus exprès? Il n'y a donc pas à discuter ici, tous ceux qui admettent la divinité de l'Écriture doivent reconnaître que l'homme ne fut point condamné à se former le langage ni à se mettre de lui-même en possession des vérités essentielles de l'ordre moral et religieux : Dieu fut tout ensemble et son créateur et son premier instituteur.

Aussi les Pères et les théologiens catholiques s'accordent à affirmer que le premier homme reçut de Dieu, avec le langage, la connaissance de la religion naturelle. Ils vont même plus loin, ils enseignent assez généralement que Dieu doua l'intelligence d'Adam de connaissances très-étendues tant dans l'ordre moral et religieux que dans l'ordre naturel; c'est d'ailleurs ce qui semble résulter des paroles de l'Écriture. Quant à l'ordre moral et religieux, il est évident que Dieu dut le faire connaître à Adam d'une manière proportionnée à l'état surnaturel où il l'éleva; et pour ce qui concerne l'ordre matériel, saint Chrysostôme et d'autres docteurs démontrent la perfection de la connaissance du premier homme par ce que dit la Genèse, qu'il donna aux animaux le nom qui leur est propre. Saint Thomas pense qu'Adam connut tout ce que l'homme encore voyageur peut connaître (2).

Nous croyons qu'il n'est pas possible de déterminer l'étendue et les limites de la connaissance du père de l'espèce humaine, il n'y a rien dans l'Écriture ni dans la

(1) Eccli. xvII, 5-9.

(2) Summa theol. p. I, q. xciv, a. III.

tradition qui nous autorise à le faire avec cette rigueur et cette précision qu'y mettent certains théologiens; ce qui est certain, c'est qu'Adam fut créé parfait, connaissant tout ce qu'il lui importait de connaître pour atteindre sa fin et accomplir la haute mission dont il était chargé comme roi et pontife de la création terrestre. Voilà ce qui ressort clairement des paroles de l'Écriture, et c'est là ce qu'enseignent tous les docteurs catholiques. Cette action par laquelle Dieu développa et éclaira l'intelligence du premier homme porte le nom de révélation primitive. Nous y reviendrons tout à l'heure; qu'il nous suffise pour le moment d'avoir constaté et défini la doctrine catholique.

& II.

De la rectitude et de la sainteté d'Adam.

« Si quelqu'un, dit le Concile de Trente, refuse de reconnaître qu'Adam, le premier homme, lorsque dans le paradis il eut transgressé le commandement de Dieu, perdit aussitôt la sainteté et la justice, dans laquelle il avait été établi...., qu'il soit anathème (1). » C'est donc un dogme catholique que le premier homme fut établi dans la sainteté et la justice. Mais il est nécessaire de faire ici quelques observations.

Beaucoup de théologiens distinguent entre la justice

(1) Si quis non confitetur primum hominem Adam, cum mandatum Dei in paradiso fuisset transgressus, statim sanctitatem et justitiam, in qua constitutus fuerat, amisisse............., anathema sit. » Sess. v, can. 1.

originelle et la sainteté; la première pourrait ne désigner que l'innocence, la droiture, la rectitude naturelle de l'homme au sortir des mains du Créateur; tandis que la seconde est un don particulier surajouté à la nature et la plaçant vis-à-vis de Dieu dans un état d'amitié supérieur qui est le fruit de la grâce. Tous s'accordent à reconnaître que l'homme fut créé dans la justice ou la rectitude naturelle; mais il en est quelques-uns qui ont cru qu'il ne fut pas orné de la sainteté et par conséquent élevé à l'état surnaturel à l'instant même de sa création (1). C'est pour cela que le concile de Trente, qui parle de l'état surnaturel du premier homme, s'est contenté de dire qu'il fut établi (constitutus) dans cet état, sans vouloir résoudre la question de savoir s'il y fut établi au moment même de sa création (2).

Tout le monde comprend aisément la possibilité de distinguer entre la justice ou la rectitude naturelle et la sainteté ou la justice surnaturelle, et l'on verra dans la suite que cette distinction n'est pas sans importance. On conçoit que Dieu ait pu créer l'homme dans un état d'intégrité naturelle, tournant son intelligence vers le vrai et sa volonté vers le bien, réglant d'après les lois de la raison les rapports de l'âme et du corps, établissant enfin son être tout entier dans un état de droiture, d'ordre et d'harmonie, mais sans l'élever aussitôt au-dessus des exigences essentielles de la nature humaine, sans le faire entrer

(1) Voir Dominicus Soto, De natura et gratia, lib. 1, c. 5, et Bellarmin, De gratia primi hominis, c. 111.

(2) Voir Pallavicin, Hist. conc. Trid. lib. vii, c. 9.

LES DOGMES CATHOLIQUES.

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