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l'avait placé, il aurait dû travailler la terre dont il était le

roi; seulement ce travail n'aurait rien eu de pénible ni de fatiguant, ce n'eût pas été ce travail à la sueur du front auquel il est aujourd'hui condamné.

«En décrivant l'abondance des biens dont ils jouissaient, dit Mer Gerbet, la plupart des cosmogonies profanes nous représentent les premiers hommes comme coulant leurs jours dans une sorte de béatitude oisive, ou du moins comme n'exerçant aucune action sur la nature, qui s'empressait d'elle-même de leur prodiguer tous ses dons. De son côté, la Genèse nous apprend que l'homme, bien qu'il fût placé dans un jardin de délices, devait néanmoins le travailler. Le travail dont il était exempt, c'était le travail à la sueur du front, le travail contre les ronces et les épines, tristes images de tous les obstacles qui fatiguent et quelquefois ensanglantent la main de l'industrie humaine. Mais l'homme, roi de la nature, n'en devait pas moins la gouverner par un travail sans peine, parce qu'il était sans résistance. Ce n'était pas une lutte contre une matière rebelle, mais la culture et comme l'éducation d'une matière docile. Il devait l'élever à lui en lui imprimant le sceau de son intelligence, lui communiquer en quelque sorte une vie supérieure, en la rendant l'exécutrice de ses volontés. Dans les traditions profanes, les rapports primordiaux du genre humain avec la nature sont envisagés dans un point de vue presque épicurien, dans le seul point de vue des jouissances de l'homme. Dans la Genèse de Moïse, l'homme primitif exerce, au sein des jouissances, une noble fonction sur les créatures inférieures qui les lui procurent. Il est le ministre de Dieu

dans le gouvernement des animaux, des plantes et des éléments terrestres. Par là se révèle le véritable caractère de la royauté de l'homme sur l'univers matériel. Les plus gracieuses peintures de l'âge d'or sont bien pâles près de ce magnifique éclair de vérité (1). »

L'homme innocent exerçait sur l'univers matériel une véritable royauté, tous les êtres inférieurs étaient ses sujets; et, pour nous servir des paroles de l'Écriture, la terre, les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, et tous les animaux qui se meuvent sur la terre étaient soumis à son empire (2). Cette merveilleuse souveraineté ne rencontrait aucun obstacle, elle s'exerçait sans entrave, la nature entière s'inclinait devant elle. L'ordre régnait à tous les degrés de la création l'homme était soumis au Créateur, et les créatures inférieures obéissaient à la voix de l'homme, qui était pour elles le représentant de Dieu.

Voilà, dans leur ensemble, les magnifiques idées que le catholicisme nous donne de l'état primitif de l'espèce humaine. Interrogeons maintenant les doctrines de l'hérésie et du rationalisme.

(1) Loc. cit.

(2) Gen. 1, 28.

CHAPITRE II.

Des adversaires de la doctrine catholique.

§ I.

Des hérétiques.

L'Église a dû défendre contre plusieurs hérétiques la pureté de sa foi sur l'état primitif de l'homme. Au quatrième siècle, les Pélagiens, dont la doctrine générale nous apparaît sous les traits d'un demi-rationalisme, soutinrent que l'état d'Adam avant son péché n'était pas différent de celui où nous naissons tous aujourd'hui; ils niaient que la nature humaine eût été, à l'origine, élevée à un état surnaturel, et ils n'admettaient pas même cette intégrité naturelle que nous avons définie plus haut en parlant de la possibilité d'un état purement naturel. Conséquents à ce principe, ces sectaires ne reconnaissaient point le dogme du péché originel; ce dogme était pour eux un non-sens, puisqu'à leurs yeux l'homme n'avait rien perdu.

Les hérétiques du seizième siècle s'accordèrent avec

les Pélagiens pour nier que l'état primitif de l'homme fût un état surnaturel; mais ils s'en formèrent toutefois une idée bien différente. Luther et Calvin reconnaissaient avec les catholiques que l'homme primitif était pur, juste, saint, heureux dans son corps et dans son âme; mais ces prérogatives n'étaient point pour ces Réformateurs le fruit de la grâce, elles étaient purement naturelles. Nous verrons plus tard les conséquences de cette doctrine par rapport au péché originel. « Adam était donc juste et saint dans le paradis terrestre, dit Mohler en exposant la doctrine luthérienne, mais en quoi consistait sa sainteté et sa justice? C'est ici que commence la première contrariété doctrinale entre les catholiques et les protestants. Luther sembla prendre à tâche de contredire l'école sur tous les points. Contre les scolastiques qui voyaient un attribut accidentel dans la justice primitive, il avança que cette prérogative appartenait à la nature de l'homme, formait une partie de son essence, esse de natura, de essentia hominis; et niant également qu'elle lui eût été donnée comme un don surnaturel, par la grâce, il prétendit qu'elle était simplement l'œuvre de ses facultés naturelles, le fruit de ses efforts. L'homme encore pur, disait-il, possédait, dans l'heureuse condition de son origine, tout ce qui pouvait le rendre agréable à Dieu. Par une vertu qui lui était propre, son corps se trouvait dans une harmonie parfaite avec la raison, et tout son être dans un rapport intime avec le ciel. Ses facultés religieuses, surtout, devaient se développer au plus haut dégré; par cela seul qu'il les possédait dans son être, il avait la connaissance de Dieu, l'amour de Dieu, la confiance de Dieu;

si bien qu'il pouvait de lui-même, sans aucun secours surnaturel, se mettre en rapport avec son Créateur, accomplir la loi divine et pratiquer toutes les vertus (1). » En un mot, le moine de Wittemberg, mêlant les choses les plus distinctes, confondit la nature et la grâce, l'ordre naturel et l'ordre surnaturel; et s'inscrivant en faux contre toute la tradition chrétienne sous prétexte d'écarter de vaines subtilités scolastiques, il ne vit plus dans les sublimes prérogatives dont la bonté de Dieu avait orné la nature de nos premiers parents que des qualités essentielles de l'homme et inhérentes à sa nature. Calvin et les autres chefs de la Réforme suivirent fidèlement Luther sur ce point.

Plus tard, un théologien belge, dont la doctrine acquit une triste célébrité, tomba dans la même erreur. Baïus confondit comme Luther l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, et ne vit non plus dans l'état primitif de l'homme qu'un état purement naturel.

Peu de théologiens protestants défendent encore aujourd'hui les symboles et les professions de foi fixés au xvIe siècle par les patriarches de la Réforme; depuis lors les esprits ont fait du chemin, et les anciennes doctrines ne comptent plus que de bien rares partisans. Depuis près d'un siècle, la théologie protestante a pris, surtout en Allemagne, une direction toute rationaliste; et de nos jours la plupart des théologiens ne sont plus guère que des philosophes parlant Écriture sainte.

Luther, In Genes., c. 11. Opp.

(1) Symbolique, liv. 1, chap. 1, § II. ed. Jen. tom. 1, p. 83; Apol., De peccato originali, § 7.

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