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<«< Marchandise d'enffant ne vault mye ung bouton: (fol. 3 ro) «Il seroit moult très fol, foy que doy Appolon,

«Qui les acheteroit, car s'enffans vendoit-on,

« Les povres seroient riches, car ils en ont foison».

Douleur d'Aiglantine; peu s'en faut qu'elle ne se tue. Les gloutons s'en vont emmenant la jeune femme. En partant ils démarrent le vaisseau où était Tristan, et l'enfant s'en va tout seul à la grâce de Dieu.

Aiglantine reçut du soudan et de son épouse l'accueil le plus favorable. Elle les émerveilla par sa beauté et par son adresse:

Là endroit commança ouvrer d'un tel mestier (fol. 6 v)
Qu'elle ouvroit de fin or dessus un paille cher.

En la mer n'eust poisson ne seussist pourtraictier,
Ne nul oisel volant c'on seüst pronuncer

Que Esglante ne face en ouvraige emploier.

Pendant ce temps Gui de Nanteuil était allé à Rochebrune, et, parlant le sarrazinois que Ganor lui avait appris, il avait acheté des vivres autant qu'il en pouvait trousser sur le cou d'un glouton de Sarrazin. A son retour, grande fut sa surprise de ne plus voir de navire; il apprit ce qui s'est passé pendant son absence, et il se lamenta amèrement.

Cependant, Honorée, la fille du roi de Rochebrune, l'avait aperçu, elle le fit appeler par une de ses suivantes; Gui arriva devant le château où était renfermée la jeune fille. Elle y était gardée par vingt chevaliers qui avaient ordre de n'y laisser entrer nul homme,

S'il n'estoit menestrier, de vielle jouans. (fol. 4 vo)

En la voyant, Gui ne peut réprimer ses sentiments;

il se dit à lui même:

Royne couronnée!

«S'en mon lit vous tenoye seulete à recelée (fol. 4 vo)

«Je croy vous me feriés oublier m'espousée »

La jeune fille à son tour ne tarde pas à devenir amoureuse de lui, et s'offre à le consoler de la perte

de son épouse; elle ne peut le recevoir dans sa tour à cause des chevaliers qui la gardent, cependant elle s'y prendra de telle manière qu'elle pourra lui dire «toute s'intention» (fol. 5 vo) 1).

Il y avait dans la forêt voisine un forestier qui fournissait de bois Honorée, et chez lequel elle s'arrêtait souvent. Un jour qu'accompagnée de ses chevaliers elle était en promenade de ce côté, feignant une indisposition subite, elle se fait transporter chez lui. Elle lui avait mandé de faire creuser sous sa cabane une cave. Gui de Nanteuil y était caché. Il lui apprend qu'il est déjà marié, qu'il ne peut donc pas l'épouser. Honorée lui propose alors de lui donner un sauf conduit pour qu'il puisse aller à la recherche de son épouse: si au bout d'un an il ne l'a pas retrouvée, qu'il revienne, elle lui livrera le château et le trésor de son père, et son père même pour qu'il le tue s'il ne consent à devenir chrétien. Gui accepte:

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La furent embeduy en consolacion, (fol, 10 vo)

En joye et en revel assés et à foison.

En ceste damoiselle dont je fais mencion
Engendra ung beau fils qui ot à nom Doon 2).
Ensement le fist Guys clamer pour son tayon 3),
Ainsy que vous orrés es vers de la chansson.

Cependant Clarinde, la suivante d'Honorée, les a épiés: elle descend dans la fosse et réclame sa part de l'amour de Gui. Fureur d'Honorée Gui parvient à

1) Ici (fol. 6 et 7) l'auteur parle de l'arrivée d'Aiglantine en Babiloine, et de Tristan en Ermenie. Pour ne pas couper l'épisode d'Honorée et de Gui, j'ai analysé plus haut ce qui se rapporte à Aiglantine, et reporté plus loin l'histoire de Tristan.

2) Cela est fort extraordinaire. Dans les chansons de geste les chevaliers répondent il est vrai assez volontiers aux avances des jeunes filles, mais à une condition: c'est qu'elles aient été baptisées. Huon de Bordeaux lui-même, ce «bachelier léger» commence par repousser Esclarmonde en lui disant:

Sarrasine estes, je ne vous puis amer.

Gui de Nanteuil était fils de Garnier de Nanteuil, petit fils de Doon de Nanteuil, arrière-petit-fils de Doon de Mayence. Voir Gaufrey, v. 83-5.

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apaiser Clarinde en lui promettant de lui donner pour mari un de ses frères Honorée sort alors de la cabane, et rejoint sa suite, se disant guérie; puis elle envoie à Gui un sauf conduit et un destrier de Hongrie. Le jeune chevalier part à la recherche de son épouse.

Tristan abandonné au milieu des flots devait périr, mais Dieu le protégea: il lui envoya par grâce spéciale une sirène, moitié femme moitié poisson, qui le nourrit de son lait. L'enfant alla tant par la mer qu'enfin il arriva en Ermenie. Un pêcheur aperçut le navire, y entra et s'empara de la sirène et de l'enfant : «Où es-tu, <«ma femme?» dit-il, «vois ce que j'ai pêché: j'ai trouvé <«< cet enfant qui a l'air tout ébahi et cette sirène qui «vaut maint parisis». La femme prend la sirène et la met dans un vase pour la porter au roi d'Ermenie.

Or oyés grant merveille, pour Dieu de Paradis! (fol. 7 vo)
Au vouloir Damedieu qui en la croix fut mis
Est hors de la seraine par ses mamelles yssis

Du lait tant qu'un platel de bos en fut remplis.

Mais pendant la nuit survint une cerve qui but ce lait et en devint si forte qu'elle étrangla non seulement le pêcheur et sa femme, mais encore mille hommes du pays. Le lait de la sirène avait une telle vertu que Tristan était devenu aussi grand qu'un cheval de Carthage. La cerve l'emporta dans la forêt et le coucha doucement, lui léchant le visage. Là, elle nourrissait l'enfant de bon pain de froment et de viande, et il grandissait ainsi au milieu des bêtes de la forêt.

Il n'avoit ens ou bos ne liepart ne serpent (fol. 12 vo)
Ne cogneüst l'enffant dont je fais parlement.

Le roi de Rochebrune s'aperçut que sa fille était enceinte. Il s'en prit aux chevaliers qui la gardaient et les fit brûler vifs; il se proposait bien de faire subir le même sort à sa fille, lorsqu'il apprit que, pro

fitant d'un moment favorable, elle avait fui par mer. Dans sa colère il voulut d'abord faire mettre à mort Clarinde, mais il lui accorda la vie sur sa promesse de lui livrer le séducteur lorsqu'au bout d'un an il reviendrait.

Honorée arriva en Ermenie. Là elle trouva de nombreux chrétiens qui se rendaient au saint Sépulcre. Parmi eux se trouvait un duc de Valvenise 1) auquel elle raconta ses aventures et qu'elle pria enfin de l'emmener; elle lui dit:

«Ly maistres maronniers par qui je suis sauvée (fol. 14 vo)
«M'a, pour m'amour avoir, cy en droit destournée,
«Mais je ne l'ameroye pour d'or une carée».

-

Or me nommés celuy dont feustes violée....
C'est Guyon de Nanteul à la brasse quarrée...
Dame, ce dist le duc, mal estes assenée,

Car Guyon de Nanteul a mouller espousée :
«Aiglantine, qui est de mon lignaige née;

«Ma cousine est prouchaine, fille m'antain l'esnée. (fol. 15)
«Lesser vous fault Guion, à moy serés livrée;

Je vous espouseray ains que passe l'année;
L'enfant tenray à mien dont estes encombrée.

Puis le duc, qu'on appelait Garnier, l'emmena dans ses états. Au bout de trois mois elle mit au monde un garçon auquel elle fit donner le nom de Doon, suivant la prière que Gui lui en avait faite. Le duc Garnier, qui n'aimait guère cet enfant, le fit exposer dans une forêt; là il fut trouvé par un forestier qui l'éleva.

Pendant ce temps Gui de Nanteuil, d'abord désespéré, se consolait en pensant, qu'après tout, si Aiglantine était morte, ses pleurs ne la feraient pas revivre, et que le mieux était encore de retourner là où était son autre amie, Honorée. Toutefois, il se dirigea d'abord vers Aufalerne afin d'avoir des nouvelles de sa mère. Mais la ville était assiégée par Galafre, roi d'Ermenic, qui voulait forcer Ganor à tenir sa terre de lui; la ville était serrée de si

1) Valvenise ou Vauvenice est une localité assez fantastique qui figure dans Parise la Duchesse et ailleurs.

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près qu'il n'y pouvait entrer «une pomme pourrie ». Ganor et ses fils font une sortie, malgré leurs exploits ils sont blessés et faits prisonniers. Aye s'enfuit sur un navire; la cité d'Aufalerne est saccagée:

Homes, femmes, enffans de la cité louée (fol. 22 ro)
Furent moult à douleur, c'est vérité prouvée;
Esglise n'y remest qui ne soit embrasée,

Autel ne cruxefis, ymage painturée

Ne feust contre la terre abatue et versée,
Oncques telle pitié ne fut mes esgardée.
No chrestienne gent gist à terre versée,

Les poings, les bras coupés, la cervelle espautrée,
Petis enffans gettoient de grande randonnée

Contre terre, et femmes grosses sont malmenées.

Galafre conjure Ganor de renier Jhesus Christ; refus de celui-ci:

Et Anthoine s'escrie: «Sarrazin, vien avant, (fol. 22 vo)
«Fay moi couper la teste à l'espée tranchant.
«De Dieu soyes maudis se me vas deportant,

«Car le vivre m'anoye d'ores mes en avant».

Dist le roy d'Ermenie: «Ceur avés recréant,
«Car vous creés en Dieu qui ne vault pas un gant:
་་ Regardés de Mahon le pere tout poissant

«< Commant nous a aidé la dehors ens ou champ.

Par foy, se dist Anthoine, ung dicx avés vaillant! «Car ly pourcel l'allerent sur ung fiens estranglant « Pour ce qu'il estoit yvres, on le treuve lisant ».

« Je vous mettrai en tel lieu, dit Galafre,

« Dont james n'ysterrés en jour de vo vivant (fol. 23) «Tant qu'arés aoré Mahon et Tervagant».

Hélas, se dist Anthoine, vivray je doncquez tant? «Je cuidoye mourir ains le souleil couchant!»>

Galafre retourne dans ses états. Là il apprend les ravages de la cerve. Résolu d'en débarrasser le pays, il rassemble ses barons, et promet sa fille Blanchandine à qui aura le courage d'aller la tuer. Un roi d'Ivorie accepte. Accompagné de son écuyer, il s'engage dans la forêt portant une hache danoise et «deux misericordes pour la beste berser»; il arrive à la tanière de la cerve où il trouve le petit Tristan jouant avec un singe. Aux

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