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Judée 19

', parce que c'était le titre qu'on donnait d'ordinaire à ces gouverneurs.

3o Il n'en est pas de même quand une personne est l'auteur d'un titre qu'il donne à un autre, et qu'il le lui donne parlant de lui-même, non selon l'opinion des autres, ou selon l'erreur populaire; car on peut alors lui imputer avec raison la fausseté de ces propositions. Ainsi, quand un homme dit : Aristote, qui est le prince des philosophes, ou simplement, le prince des philosophes a cru que l'origine des nerfs était dans le cœur, on n'aurait pas droit de lui dire que cela est faux, parce qu'Aristote n'est pas le plus excellent des philosophes; car il suffit qu'il ait suivi en cela l'opinion commune, quoique fausse. Mais si un homme disait : Gassendi, qui est le plus habile des philosophes, croit qu'il y a du vide dans la nature, on aurait sujet de disputer à cet homme la qualité qu'il voudrait donner à Gassendi, et de le rendre responsable de la fausseté qu'on pourrait prétendre se trouver dans cette proposition incidente. L'on peut donc être accusé de fausseté en donnant à la même personne un titre qui ne lui convient pas, et n'en être pas accusé en lui en donnant un autre qui lui convient encore moins dans la vérité. Par exemple : Le pape Jean XII n'était ni saint, ni chaste, ni pieux 50, comme Baronius le reconnaît, et cependant ceux qui l'appelaient très-saint ne pouvaient être repris de mensonge, et ceux qui l'eussent appelé très-chaste ou très-pieux, eussent été de fort grands menteurs, quoiqu'ils ne l'eussent fait que par des propositions incidentes, comme s'ils eussent dit: Jean XII, très-chaste pontife, a ordonné telle chose.

Voilà pour ce qui est des premières sortes de propositions incidentes dont le qui est explicatif: quant aux autres, dont le qui est déterminatif, comme: Les hommes qui sont pieux, les rois qui aiment leurs peuples, il est certain que, pour l'ordinaire, elles ne sont pas susceptibles de fausseté, parce que l'attribut de la proposition incidente n'y est pas affirmé du sujet auquel le qui se rapporte.

Car, si l'on dit, par exemple, que les juges qui ne font jamais rien par prière et par faveur, sont dignes de louanges, on ne dit pas pour cela qu'il n'y ait aucun juge sur la terre qui soit dans cette perfection. Néanmoins je crois qu'il y a toujours dans ces propositions une affirmation tacite et virtuelle, non de la convenance actuelle de l'attribut au sujet auquel le qui se rapporte, mais de la convenance possible. Et si on se trompe en cela, je

crois qu'on a raison de trouver qu'il y aurait de la fausseté dans ces propositions incidentes, comme si on disait : Les esprits qui sont carrés sont plus solides que ceux qui sont ronds, l'idée de carré et de rond étant incompatible avec l'idée d'esprit pris pour le principe de la pensée, j'estime que ces propositions incidentes devraient passer pour fausses.

Et l'on peut même dire que c'est de là que naissent la plupart de nos erreurs : car ayant l'idée d'une chose, nous y joignons souvent une autre idée incompatible, quoique par erreur nous l'ayons crue compatible, ce qui fait que nous attribuons à cette même idée ce qui ne peut lui convenir.

Ainsi, trouvant en nous-mêmes deux idées, celle de la substance qui pense, et celle de la substance étendue, il arrive souvent que lorsque nous considérons notre âme, qui est la substance qui pense, nous y mêlons insensiblement quelque chose de l'idée de la substance étendue, comme quand nous nous imaginons qu'il faut que notre âme remplisse un lieu, ainsi que le remplit un corps, et qu'elle ne serait point, si elle n'était nulle part, qui sont des choses qui ne conviennent qu'au corps; et c'est de là qu'est née l'erreur impie de ceux qui croient l'âme mortelle. On peut voir un excellent discours de saint Augustin sur ce sujet, dans le livre X de la Trinité, où il montre qu'il n'y a rien de plus facile à connaître que la nature de notre âme; mais que ce qui brouille les hommes est que, voulant la connaître, ils ne se contentent pas de ce qu'ils en connaissent sans peine, qui est que c'est une substance qui pense, qui veut, qui doute, qui sait; mais ils joignent à ce qu'elle est, ce qu'elle n'est pas, se la voulant imaginer sous quelques-uns de ces fantômes sous lesquels ils ont accoutumé de concevoir les choses corporelles.

Quand d'autre part nous considérons les corps, nous avons bien de la peine à nous empêcher d'y mêler quelque chose de l'idée de la substance qui pense; ce qui nous fait dire des corps pesants, qu'ils veulent aller au centre; des plantes, qu'elles cherchent les aliments qui leur sont propres ; des crises d'une maladie, que c'est la nature qui s'est voulu décharger de ce qui lui nuisait; et de mille autres choses, surtout dans nos corps, que la nature veut faire ceci ou cela, quoique nous soyons bien assurés que nous ne l'avons pas voulu, n'y ayant pensé en aucune sorte, et qu'il soit ridicule de s'imaginer qu'il y ait en nous quelque autre chose que nous-même qui connaisse ce qui nous est propre ou nuisible, qui cherche l'un et qui fuie l'autre.

Je crois que c'est encore à ce mélange d'idées incompatibles qu'on doit attribuer tous les murmures que les hommes font contre Dieu; car il serait impossible de murmurer contre Dieu, si on le concevait véritablement selon ce qu'il est, tout-puissant, tout sage et tout bon; mais les méchants le concevant comme tout-puissant et comme le maître souverain de tout le monde, lui attribuent tous les malheurs qui leur arrivent, en quoi ils ont raison; et parce qu'en même temps ils le conçoivent cruel et injuste, ce qui est incompatible avec sa bonté, ils s'emportent contre lui, comme s'il avait eu tort de leur envoyer les maux qu'ils souffrent.

CHAPITRE VIII.

Des propositions complexes selon l'affirmation ou la négation, et d'une espèce de ces sortes de propositions que les philosophes appellent modales.

Outre les propositions dont le sujet ou l'attribut est un terme complexe, il y en a d'autres qui sont complexes parce qu'il y a des termes ou des propositions incidentes qui ne regardent que la forme de la proposition, c'est-à-dire l'affirmation ou la négation qui est exprimée par le verbe, comme si je dis : Je soutiens que la terre est ronde: je soutiens n'est qu'une proposition incidente qui doit faire partie de quelque chose dans la proposition principale; et cependant il est visible qu'elle ne fait partie ni du sujet ni de l'attribut; car cela n'y change rien du tout, et ils seraient conçus entièrement de la même sorte, si je disais simplement : la terre est ronde, et ainsi cela ne tombe que sur l'affirmation qui est exprimée en deux manières: l'une à l'ordinaire par le verbe est: la terre est ronde; et l'autre plus expressément par le verbe : je soutiens.

C'est de même quand on dit, je nie, il est vrai, il n'est pas vrai, ou qu'on ajoute dans une proposition ce qui en appuie la vérité, comme quand je dis : Les raisons d'astronomie nous convainquent que le soleil est beaucoup plus grand que la terre; car cette première partie n'est que l'appui de l'affirmation.

Néanmoins il est important de remarquer qu'il y a de ces sortes de propositions qui sont ambiguës et qui peuvent être prises différemment, selon le dessein de celui qui les prononce, comme si je dis: Tous les philosophes nous assurent que les choses

pesantes tombent d'elles-mêmes en bas; si mon dessein est de montrer que les choses pesantes tombent d'elles-mêmes en bas, la première partie de cette proposition ne sera qu'incidente et ne fera qu'appuyer l'affirmation de la dernière partie; mais si, au contraire, je n'ai dessein que de rapporter cette opinion des philosophes, sans que moi-même je l'approuve, alors la première partie sera la proposition principale, et la dernière sera seulement une partie de l'attribut; car ce que j'affirmerai ne sera pas que les choses pesantes tombent d'elles-mêmes, mais seulement que tous les philosophes l'assurent. Et il est aisé de voir que ces deux différentes manières de prendre cette même proposition la changent tellement, que ce sont deux différentes propositions, et qui ont des sens tout différents. Mais il est souvent aisé de juger par la suite auquel de ces deux sens on la prend; car, par exemple, si, après avoir fait cette proposition, j'ajoutais: or, les pierres sont pesantes; donc elles tombent en bas d'elles-mêmes, il serait visible que je l'aurais prise au premier sens, et que la première partie ne serait qu'incidente; mais si, au contraire, je concluais ainsi. or, cela est une erreur; et par conséquent il peut se faire qu'une erreur soit enseignée par tous les philosophes, il serait manifeste que je l'aurais prise dans le second sens, c'est-à-dire que la première partie serait la proposition principale, et que la seconde ferait partie seulement de l'attribut.

De ces propositions complexes, où la complexion tombe sur le verbe et non sur le sujet ni sur l'attribut, les philosophes ont particulièrement remarqué celles qu'ils ont appelées modales, parce que l'affirmation ou la négation y est modifiée par l'un de ces quatres modes: possible, contingent, impossible, nécessaire; et parce que chaque mode peut être affirmé ou nié, comme : il est impossible, il n'est pas impossible, et en l'une et en l'autre façon être joint avec une proposition affirmative ou négative, que la terre est ronde, que la terre n'est pas ronde, chaque mode peut avoir quatre propositions, et les quatre ensemble seize, qu'ils ont marquées par ces quatre mots: PURPUREA, ILIACE, AMABIMUS, EDENTULI, dont voici tout le mystère. Chaque syllabe marque un de ces quatre modes.

La 1re, possible;
La 2o, contingent;
La 3, impossible;
La 4o, nécessaire.

Et la voyelle qui se trouve dans chaque syllabe, qui est ou A,

ou E, ou I, ou U, marque si le mode doit être affirmé ou nié, et si la proposition qu'ils appellent dictum doit être affirmée ou niée en cette manière :

A, l'affirmation du mode et l'affirmation de la proposition;
E, l'affirmation du mode et la négation de la proposition;
I, la négation du mode et l'affirmation de la proposition;
U, la négation du mode et la négation de la proposition;

Ce serait perdre le temps que d'en apporter des exemples qui sont faciles à trouver. Il faut seulement observer que PURPUREA répond à l'A des propositions complexes, ILIACE à E, AMABIMUS à I, EDENTULI à U, et qu'ainsi, si on veut que les exemples soient vrais, il faut, ayant pris un sujet, prendre pour purpurea un attribut qui en puisse être universellement affirmé; pour iliace, qui en puisse être universellement nié; pour amabimus, qui en puisse être affirmé particulièrement, et pour edentuli, qui en puisse être nié particulièrement.

Mais quelque attribut qu'on prenne, il est toujours vrai que toutes les quatre propositions d'un même mot n'ont que le même sens; de sorte que l'une étant vraie, toutes les autres le sont aussi.

CHAPITRE IX.

Des diverses sortes de propositions composées.

Nous avons déjà dit que les propositions composées sont celles qui ont ou un double sujet ou un double attribut. Or, il y en a de deux sortes: les unes où la composition est expressément marquée, et les autres où elle est plus cachée, et que les logiciens, pour cette raison, appellent exponibles, qui ont besoin d'être exposées ou expliquées.

On peut réduire celles de la première sorte à six espèces : les copulatives et les disjonctives, les conditionnelles et les causales, les relatives et les discrétives.

DES COPULATIVES.

On appelle copulatives celles qui enferment ou plusieurs sujets ou plusieurs attributs joints par une conjonction affirmative ou

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