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grandes en vraisemblance de l'événement, qu'elles n'en sont surpassées en grandeur. Ainsi, le moindre petit gain peut surpasser le plus grand qu'on puisse s'imaginer, si le petit est souvent réitéré, ou si ce grand bien est tellement difficile à obtenir, qu'il surpasse moins le petit en grandeur que le petit ne le surpasse en facilité; et il en est de même des maux que l'on appréhende, c'est-à-dire que le moindre petit mal peut être plus considérable que le plus grand mal qui n'est pas infini, s'il le surpasse par cette proportion.

Il n'y a que les choses infinies, comme l'éternité et le salut, qui ne peuvent être égalées par aucun avantage temporel, et ainsi on ne doit jamais les mettre en balance avec aucune des choses du monde. C'est pourquoi le moindre degré de facilité pour se sauver vaut mieux que tous les biens du monde joints ensemble; et le moindre péril de se perdre est plus considérable que tous les maux temporels, considérés seulement comme maux.

Ce qui suffit à toutes les personnes raisonnables pour leur faire tirer cette conclusion, par laquelle nous finirons cette logique, que la plus grande de toutes les imprudences est d'employer son temps et sa vie à autre chose qu'à ce qui peut servir à en acquérir une qui ne finira jamais, puisque tous les biens et les maux de cette vie ne sont rien en comparaison de ceux de l'autre, et que le danger de tomber dans ces maux est très-grand, aussi bien que la difficulté d'acquérir ces biens.

Ceux qui tirent cette conclusion et qui la suivent dans la conduite de leur vie sont prudents et sages, fussent-ils peu justes dans tous les raisonnements qu'ils font sur les matières de science; et ceux qui ne la tirent pas, fussent-ils justes dans tout le reste, sout traités dans l'Écriture de fous et d'insensés, et font un mauvais usage de la logique, de la raison et de la vie.

FIN DE LA LOGIQUE.

NOTES

SUR LA LOGIQUE DE PORT-ROYAL.

1. Page 4. Je retrouve cette pensée et le même tour de phrase chez Malebranche, Recherche de la vérité, Préface : « Les hommes ne sont pas nés pour devenir astronomes ou chimistes, pour passer toute leur vie pendus à une lunette ou attachés à un fourneau, et pour tirer ensuite des conséquences assez inutiles de leurs observations laborieuses.... Les hommes peuvent regarder l'astronomie, la chimie et presque toutes les autres sciences,. comme des divertissements d'un honnête homme, mais ils ne doivent pas se laisser surprendre par leur éclat, ni les préférer à la science de l'homme. »

2. Page 5. Nicole se trouve ici en désaccord avec Descartes qui s'exprime en ces termes, au début du Discours de la méthode : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils n'en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes, et qu'ainsi la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. » Descartes nous paraît plus exact et plus profond que Nicole, bien que tous deux aboutissent à la même conclusion, qui est l'importance d'une bonne méthode, et par conséquent de la logique.

3. Page. 7. Essais, liv. II, chap. xi. Si Montaigne a le tort d'avoir pris parti pour Pyrrhon, il a du moins le mérite d'avoir relevé avec une rare finesse les contradictions et les inconséquences de la nouvelle Académie. « Cette inclination académique, dit-il, et cette propension à une proposition plustôt qu'à une autre, qu'est-ce autre chose que la recognoissance de quelque plus apparente vérité en cette-cy qu'en celle-là? Si notre entendement, est capable de la forme, des linéaments, du port et du visage de la vérité, il la verroit entière, aussi bien que demie, naissante et imparfaicte.... Comment se laissent-ils plier à la vraisemblaisance, s'ils ne cognoissent le vray? Comment cognoissent-ils la semblance de ce de quoy ils ne cognoissent pas

l'essence? Ou nous pouvons juger tout à faict, ou tout à faict nous ne le pouvons pas. »

4. Page 9. Cette proposition est vraie dans un sens, mais il ne fau drait pas l'exagérer. Descartes, dans un passage du Discours de la méthode, IV partie, fait remarquer « qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes. » Il est clair que dans ce cas l'erreur porte non pas sur les premiers jugements qui en eux-mêmes sont vrais, mais sur la conséquence qui a été mal déduite.

5. Page 9. Ce n'est pas seulement l'esprit du cartésianisme qui règne dans l'Art de penser. Nicole et Arnauld ont fait aux ouvrages de Descartes des emprunts textuels et étendus, comme nous le verrons à l'occasion du chapitre II de la IV partie.

6. Page 9. Nous donnons plus loin ce morceau de Pascal à la suite de la Logique de Port-Royal.

7. Page 10. MARTIAL, Épigr., II, 86.

Turpe est difficiles habere nugas,

Et stultus labor est ineptiarum.

8. Page 11. Erasme s'étant moqué de l'affectation de quelques savants d'Italie à n'employer que des termes de Cicéron, Jules Scaliger écrivit deux harangues où il l'accablait de grossières invectives. Érasme ne répondit pas à la première et ne vit pas la seconde.

9. Page 12. Pierre Ramus, né dans le Vermandois, en 1502 suivant les uns, en 1515 suivant les autres, professa la philosophie et l'éloquence au collège de France. Il était protestant, et mourut assassiné dans la nuit de la Saint-Barthélemy. Par son enseignement et ses livres dirigés contre Aristote, il préluda à la grande réforme accomplie un siècle plus tard par Descartes. Le reproche que les auteurs de l'Art de penser lui adressent dans ce passage n'est pas très-fondé; car il paraîtrait en résulter que Ramus aurait écarté de ses écrits tous les exemples qui n'étaient pas puisés dans les littératures antiques. Or, bien qu'il possédât une érudition classique très-variée, et qu'il cite souvent les anciens, cependant il n'était pas étranger aux autres études, et il s'attachait à signaler les applications des règles de la logique qui se font jóurnellement dans les sciences et dans le commerce de la vie. Il a donné un des premiers l'exemple si heureusement suivi par Nicole et Arnauld de diriger vers la pratique cet art de la démonstration et de l'analyse qui, chez les scolastiques, s'épuise, pour ainsi dire, en vaines subtilités.

10. Page 15. On a souvent débattu le point de savoir si la logique était une science ou un art. Les scolastiques se sont prononcés généralement pour la première opinion, qui n'a été abandonnée que depuis Ramus et Descartes. Il faut avouer que si la logique est un art, elle tient mal les promesses qui semblent attachées à ce mot, et qu'elle n'est pas toujours la condition infaillible des découvertes et du progrès

scientifique. Certes, les études logiques ne fleurirent jamais avec plus d'éclat que pendant le moyen âge; cependant, qui oserait soutenir que le moyen âge est l'époque où le génie et la puissance de l'homme ont atteint leurs limites les plus reculées? La définition que donne PortRoyal nous semble donc un peu étroite. Le logicien doit sans doute viser à la pratique, et s'efforcer de rendre plus féconds et plus sûrs les efforts de l'intelligence dans la recherche du vrai; mais avant d'être un art, la logique est une théorie; elle arrive à des conclusions qui sont certaines, quel que soit l'usage que nous jugions opportun d'en faire pour notre perfectionnement moral et intellectuel. En un mot, la logique envisagée dans son acception la plus haute est la science des lois de l'entendement. C'est à ce point de vue que nous la trouvons exposée dans les ouvrages d'Aristote.

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11. Page 20. Théophraste Paracelse, né en Suisse en 1493, mort en 1541; - Robert Fludd, né en Angleterre en 1574, mort en 1637; Jean-Baptiste Van Helmont, né à Bruxelles en 1577, mort à Vienne en 1644, adonnés tous trois aux chimères de la chimie et de l'astrologie, nourris des doctrines cabalistiques et des traditions moitié platoniciennes, moitié hébraïques, qui sont renfermées dans les ouvrages attribués à Hermès Trismégiste. Ils furent les propagateurs d'une philosophie où quelques vues ingénieuses et exactes s'allient aux spéculations du panthéisme le plus bizarre. Gassendi a écrit des Exercitationes in Fluddanam philosophiam, Paris, 1630, in-12, dans lesquelles il expose et réfute avec beaucoup de sagacité les théories du célèbre thaumaturge.

12. Page 23. Pascal développe admirablement cette règle dans le célèbre morceau de l'Autorité en matière de philosophie qui a été compris parmi ses Pensées et qu'on peut lire dans ce volume, à la suite de la Logique de Port-Royal.

13. Page 24. Le premier germe de cette division nous paraît se trouver dans Aristote qui traite, en effet, des idées dans le livre des Catégories formant la première partie de l'Organum, des jugements et des propositions, dans le traité de l'Interprétation, du raisonnement dans les Premiers et les Seconds Analytiques.

14. Page 28. Arnauld, comme la suite le prouve, a ici en vue Hobbes et Gassendi qui, dans leurs objections contre les Méditations de Descartes, ont, en effet, soutenu que nous n'avions pas l'idée de Dieu. 15. Page 29. Hobbes, Objections contre les Méditations de Descartes, obj. Ive.

16. Page 30. Gassendi, Instit. Logic., P. I, cap. II.

17. Page 38. Cette nouvelle philosophie est celle de Descartes.

18. Page 38. Arnauld se montre ici beaucoup trop sévère à l'égard d'Aristote; l'étude des catégories n'est pas aussi vaine qu'il le prétend. Elle consiste à rechercher les éléments de la réalité et de la pensée, les classes les plus hautes dans lesquelles viennent se ranger soit les êtres réels, soit les conceptions de l'esprit. Le problème

peut paraître difficile ou même insoluble; mais il attire fortement la curiosité des philosophes. Ce n'est pas Aristote seulement qui l'a posé; la plupart des philosophes anciens, et dans les temps modernes, Leibnitz, Kant, les écoles contemporaines ont donné le même exemple. Ajoutons que la théorie péripatéticienne est encore la plus satisfaisante et que nul autre système, selon toute apparence, n'égalera la renommée dont elle a joui et l'influence qu'elle a exercée.

19. Page 38. Raymond Lulle, né à Palma dans l'île de Majorque, en 1234, mort en 1315, avait formé, entre autres projets impossibles, celui de déterminer a priori toutes les formes et toutes les combinaisons de la pensée, de manière à présenter comme un répertoire complet des raisonnements applicables à toute espèce de matières. Tel est l'objet de son Grand Art, Ars Magna, que la Logique de Port-Royal critique trop amèrement, sans suffisamment reconnaître le prodigieux travail d'analyse qu'il suppose. Leibnitz s'est montré plus équitable envers le philosophe de Majorque. Voy. de Arte combinatoria, Opp. II, p. I, p. 366, 367.

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20. Page 38. « Opinari autem, duas ob res turpissimum est: quod et discere non potest, qui sibi jam se scire persuasit, si modo illud disci potest; et per se ipsa temeritas non bene affecti animi signum est. » Lib. de Utilitate credendi, cap. XI.

21. Page 39. Cicéron. Académiques, II, 20.

22. Page 45. Voy. l'Introduction aux Catégories par Porphyre (Εἰσαγωγὴ περὶ τῶν πεντὲ φονῶν) à laquelle est emprunté tout ce qui suit. 23. Page 55. Pomponace, né à Mantoue en 1462, mort en 1525 ou 1530. Dans un traité de l'Immortalité de l'âme, publié à Bologne en 1516, il avança qu'on ne trouvait dans Aristote aucun argument propre à l'établir. Ce paradoxe dangereux fut vivement contesté, et faillit attirer une persécution à son auteur. Pomponace éluda les difficultés de ses adversaires en distinguant la vérité philosophique et la vérité religieuse. Le dix-huitième siècle a su faire son profit de cette distinction subtile, selon laquelle une chose peut être vraie pour la foi et fausse pour la raison.

24. Page 55. Malek ranche (Rech. de la Vérité, liv. II, part. II, chap. v) donne, d'après le jésuite La Cerda, une liste assez exacte des philosophes qui ont pris part à ce débat. Il est à remarquer que le plus profond et le plus savant des commentateurs du stagyrite, Alexandre d'Aphrodise, est favorable à l'opinion de Pomponace.

25. Page 56. Leibnitz (Nouv. Essais sur l'entend. hum., liv. II, chap. xxix) admet également qu'une idée peut être à la fois claire et confuse :

<< Une idée est claire, dit-il, lorsqu'elle suffit pour reconnaître la chose et pour la distinguer comme lorsque j'ai une idée bien claire d'une couleur, je ne prendrai pas une autre couleur pour celle que je demande et si j'ai une idée claire d'une plante, je la discernerai parmi d'autres voisines sans cela l'idée est obscure. Je crois que nous n'en avons guère de parfaitement claires sur les choses sensibles. Il y

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