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ministres ont rendue célèbre, et sur laquelle ils fondent leur principal argument pour établir leur sens de figure dans l'Eucharistie et l'on ne doit pas s'étonner que nous nous servions ici de cette remarque pour éclaircir cet argument, puisqu'il est plus digne de la logique que de la théologie.

Leur prétention est que, dans cette proposition de JésusChrist Ceci est mon corps, le mot de ceci signifie le pain; or, disent-ils, le pain ne peut être réellement le corps de Jésus-Christ, donc la proposition de Jésus-Christ ne signifie point ceci est réellement mon corps.

Il n'est pas question d'examiner ici la mineure et d'en faire voir la fausseté; on l'a fait ailleurs 37; et il ne s'agit que de la majeure par laquelle ils soutiennent que le mot de ceci signifie le pain; et il n'y a qu'à leur dire sur cela, selon le principe que nous avons établi, que le mot de pain marquant une idée distincte n'est point précisément ce qui répond au terme de hoc, qui ne marque que l'idée confuse de chose présente; mais qu'il est bien vrai que Jésus-Christ, en prononçant ce mot, et ayant en même temps appliqué ses apôtres au pain qu'il tenait entre ses mains, ils ont vraisemblablement ajouté à l'idée confuse de chose présente signifiée par le terme hoc, l'idée distincte du pain, qui était seulement excitée et non précisément signifiée par ce

terme.

Ce n'est que le manque d'attention à cette distinction nécessaire entre les idées excitées et les idées précisément signifiées qui fait tout l'embarras des ministres; ils font mille efforts inutiles pour prouver que Jésus-Christ montrant du pain, et les apôtres le voyant et y étant appliqués par le terme de hoc, ils ne pouvaient pas ne pas concevoir du pain. On leur accorde qu'ils concurent apparemment du pain, et qu'ils eurent sujet de le concevoir: il ne faut point tant faire d'efforts pour cela ; il n'est pas question s'ils conçurent du pain, mais comment ils concurent.

Et c'est sur quoi on leur dit que s'ils conçurent, c'est-à-dire s'ils eurent dans l'esprit l'idée distincte du pain; ils ne l'eurent pas comme signifiée par le mot de hoc, ce qui est impossible, puisque ce terme ne signifiera jamais qu'une idée confuse; mais ils l'eurent comme une idée ajoutée à cette idée confuse et excitée par les circonstances.

On verra dans la suite l'importance de cette remarque; mais il est bon d'ajouter ici que cette distinction est si indubitable que,

lors même qu'ils entreprennent de prouver que le terme de ceci signifie du pain, ils ne font autre chose que l'établir. Ceci, dit un ministre qui a parlé le dernier sur cette matière, ne signifie pas seulement cette chose présente, mais cette chose présente que vous savez qui est du pain. Qui ne voit dans cette proposition que ces termes, que vous savez qui est du pain, sont bien ajoutés au mot de chose présente par une proposition incidente, mais ne sont pas signifiés précisément par le mot chose présente, le sujet d'une proposition ne signifiant pas la proposition entière; et par conséquent dans cette proposition qui a le même sens, ceci que vous savez qui est du pain, le mot de pain est bien ajouté au mot de ceci, mais n'est pas signifié par le mot de ceci.

Mais qu'importe, diront les ministres, que le mot de ceci signifie précisément le pain, pourvu qu'il soit vrai que les apôtres concurent que ce que Jésus-Christ appelle ceci était du pain?

Voici à quoi cela importe; c'est que le terme de ceci ne signifiant de soi-même que l'idée précise de chose présente, quoique déterminée au pain par les idées distinctes que les apôtres y ajoutèrent, demeura toujours capable d'une autre détermination et d'être lié avec d'autres idées, sans que l'esprit s'aperçût de ce changement d'objet: Et ainsi, quand Jésus-Christ prononça de ceci que c'était son corps, les apôtres n'eurent qu'à retrancher l'addition qu'ils y avaient faite par les idées distinctes de pain; et, retenant la même idée de chose présente, ils conçurent, après la proposition de Jésus-Christ achevée, que cette chose présente était maintenant le corps de Jésus-Christ: ainsi ils lièrent le mot de hoc, ceci, qu'ils avaient joint au pain par une proposition incidente, avec l'attribut de corps de Jésus-Christ. L'attribut de corps de Jésus-Christ les obligea bien de retrancher les idées ajoutées; mais il ne leur fit point changer l'idée précisément marquée par le mot de hoc, et ils conçurent simplement que c'était le corps de Jésus-Christ. Voilà tout le mystère de cette proposition, qui ne naît pas de l'obscurité des termes, mais du changement opéré par Jésus-Christ, qui fit que ce sujet hoc a eu deux différentes déterminations au commencement et à la fin de la proposition, comme nous l'expliquerons dans la seconde partie, chap. XII, en traitant de l'unité de confusion dans les sujets.

DEUXIÈME PARTIE.

CONTENANT LES RÉFLEXIONS QUE LES HOMMES ONT FAITES
SUR LEURS JUGEMENTS.

CHAPITRE PREMIER.

Des mots par rapport aux propositions.

Comme nous avons dessein d'expliquer ici les diverses remarques que les hommes ont faites sur leurs jugements, et que ces jugements sont des propositions qui sont composées de diverses parties, il faut commencer par l'explication de ces parties, qui sont principalement les noms, les pronoms et les verbes.

Il est peu important d'examiner si c'est à la grammaire ou à la logique d'en traiter, et il est plus court de dire que tout ce qui est utile à la fin de chaque art lui appartient, soit que la connaissance lui en soit particulière, soit qu'il y ait aussi d'autres arts et d'autres sciences qui s'en servent.

Or, il est certainement de quelque utilité pour la fin de la logique, qui est de bien penser, d'entendre les divers usages des sons qui sont destinés à signifier les idées, et que l'esprit a coutume d'y lier si étroitement, que l'une ne se conçoit guère sans l'autre; en sorte que l'idée de la chose excite l'idée du son, et l'idée du son, celle de la chose.

On peut dire en général sur ce sujet que les mots sont des sons distincts et articulés dont les hommes ont fait des signes pour marquer ce qui se passe dans leur esprit.

Et comme ce qui s'y passe se réduit à concevoir, juger, raisonner et ordonner, ainsi que nous l'avons déjà dit, les mots servent à marquer toutes ces opérations; et pour cela on en a inventé principalement de trois sortes qui sont essentiels, dont nous nous contenterons de parler; savoir, les noms, les pronoms et les verbes, qui tiennent la place des noms, mais d'une manière différente; et c'est ce qu'il faut expliquer ici plus en détail.

DES NOMS.

Les objets de nos pensées étant, comme nous avons déjà dit, ou des choses ou des manières de choses, les mots destinés à signifier, tant les choses que les manières, s'appellent noms.

Ceux qui signifient les choses s'appellent noms substantifs, comme terre, soleil. Ceux qui signifient les manières, en marquant en même temps le sujet auxquels elles conviennent, s'appellent noms adjectifs, comme bon, juste, rond.

C'est pourquoi, quand, par une abstraction de l'esprit, on conçoit ces manières sans les rapporter à un certain sujet, comme elles subsistent alors en quelque sorte dans l'esprit par elles-mêmes, elles s'expriment par un mot substantif, comme sagesse, blancheur, couleur.

El, au contraire, quand ce qui est de soi-même substance et chose vient à être conçu par rapport à quelque sujet, les mots qui signifient en cette manière deviennent adjectifs, comme humain, charnel; et en dépouillant ces adjectifs, formés des noms de substance, de leur rapport, on en fait de nouveaux substantifs : ainsi, après avoir formé du mot substantif homme l'adjectif humain, on forme de l'adjectif humain le substantif humanité.

Il y a des noms qui passent pour substantifs en grammaire, qui sont de véritables adjectifs, comme roi, philosophe, médecin, puisqu'ils marquent une manière d'être ou mode dans un sujet. Mais la raison pourquoi ils passent pour substantifs, c'est que, comme ils ne conviennent qu'à un seul sujet, on sous-entend toujours cet unique sujet sans qu'il soit besoin de l'exprimer.

Par la même raison, ces mots le rouge, le blanc, etc., sont de véritables adjectifs, parce que le rapport est marqué; mais la raison pourquoi on n'exprime pas le substantif auquel ils se rapportent, c'est que c'est un substantif général, qui comprend tous les sujets de ces modes, et qui est par là unique dans cette généralité. Ainsi le rouge, c'est toute chose rouge; le blanc, toute chose blanche, ou, comme l'on dit en géométrie, c'est une chose rouge quelconque.

Les adjectifs ont donc essentiellement deux significations: l'une distincte, qui est celle du mode ou manière; l'autre confuse, qui est celle du sujet mais, quoique la signification du mode soit plus distincte, elle est pourtant indirecte, et, au contraire, celle du sujet, quoique confuse, est directe. Le mot de blanc, can

didum, signifie indirectement, quoique distinctement, la blancheur.

DES PRONOMS.

L'usage des pronoms est de tenir la place des noms et de donner moyen d'en éviter la répétition, qui est ennuyeuse; mais il ne faut pas s'imaginer qu'en tenant la place des noms, ils fassent entièrement le même effet sur l'esprit : cela n'est nullement vrai; au contraire, ils ne remédient au dégoût de la répétition que parce qu'ils ne représentent les noms que d'une manière confuse. Les noms découvrent en quelque sorte les choses à l'esprit, et les pronoms les présentent comme voilées, quoique l'esprit sente pourtant que c'est la même chose que celle qui est signifiée par les noms. C'est pourquoi il n'y a point d'inconvénient que le nom et le pronom soient joints ensemble: Tu Phædria, Ecce ego Joannes.

DES DIVERSES SORTES DE PRONOMS.

Comme les hommes ont reconnu qu'il était souvent inutile et de mauvaise grâce de se nommer soi-même, ils ont introduit le pronom de la première personne pour mettre en la place de celui qui parle, ego, moi, je.

Pour n'être pas obligés de nommer celui à qui on parle, ils ont trouvé bon de le marquer par un mot qu'ils ont appelé pronom de la seconde personne, toi ou vous.

Et pour n'être pas obligés de répéter les noms des autres personnes et des autres choses dont on parle, ils ont inventé les pronoms de la troisième personne, ille, illa, illud, entre lesquels il y en a qui marquent, comme au doigt, la chose dont on parle, et qu'à cause de cela on nomme démonstratifs, hic, iste, celui-ci, celui-là.

Il y en a aussi un qu'on nomme réciproque, parce qu'il marque un rapport d'une chose à soi-même. C'est le pronom sui, sibi, se: Caton s'est tué.

Tous les pronoms ont cela de commun, comme nous avons déjà dit, qu'ils marquent confusément le nom dont ils tiennent la place; mais il y a cela de particulier dans le neutre de ces pronoms illud, hoc, lorsqu'il est mis absolument, c'est-à-dire sans nom exprimé, qu'au lieu que les autres genres, hic, hæc, ille, illa peuvent se rapporter et se rapportent presque toujours à des idées distinctes, qu'ils ne marquent néanmoins que confusément, illum

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