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numents de la philosophie du dix-septième siècle, nous nous sommes en général borné à des explications purement historiques.

Une notice sur les travaux philosophiques d'Arnauld servait d'introduction au recueil de ses œuvres que nous avons publié en 1843. Bien que cette notice renferme des développements étrangers à la logique, et que la partie la plus étendue soit une analyse des controverses d'Arnauld et de Malebranche, nous avons cru devoir la conserver, afin de marquer le rang que le principal auteur de la Logique de Port-Royal a occupé, comme philosophe, dans ce concours d'éminents esprits, l'éternel honneur du siècle de Louis XIV.

C. J.

LINC

NOTICE

SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

D'ANTOINE ARNAULD.

I.

Antoine Arnauld, né à Paris le 6 février 1621, était le vingtième enfant d'un avocat du même nom qui avait plaidé en 1594, au parlement de Paris, la cause de l'Université contre les Jésuites. L'exemple de son père et ses goûts le portaient à suivre la carrière du barreau; mais il en fut détourné par l'abbé de Saint-Cyran, directeur de l'abbaye de Port-Royal et ami de sa famille, qui le décida à embrasser l'état ecclésiastique. Après de fortes études de théologie, où il se pénétra des sentiments de saint Augustin sur la grâce, il fut admis en 1643 au nombre des docteurs de la maison de Sorbonne. La même année vit paraître son traité de la Fréquente communion; mais ce livre, dont l'austérité formait un contraste remarquable avec la morale indulgente des Jésuites, souleva des haines si puissantes que, malgré l'appui de l'Université, du parlement et d'une partie de l'épiscopat, l'auteur dut céder à l'orage et se cacher comme un fugitif. A partir de ce moment, objet d'inimitié pour les uns

et d'admiration pour les autres, mêlé activement aux querelles théologiques que les doctrines de Jansenius provoquèrent en France, la vie d'Arnauld fut celle d'un chef de parti et se passa dans la lutte, dans la persécution et dans l'exil. En 1656, la Sorbonne, appelée à prononcer, l'effaça, non sans une vive opposition, du rang des docteurs, pour avoir avancé cette thèse janséniste, que l'Évangile et les Pères nous montrent, en la personne de saint Pierre, un juste à qui la grâce nécessaire pour agir a manqué. Une transaction entre les partis, conclue en 1668, sous le nom de paix de Clément IX, procura à l'Église de France quelques années d'un repos glorieux, qu'Arnauld employa à défendre la cause de l'orthodoxie catholique contre les ministres Claude et Jurieu; mais en 1679, l'hostilité redoutable de l'archevêque de Paris, François de Harlay, les rigueurs exercées contre Port-Royal et les craintes personnelles qu'il inspirait à Louis XIV, l'obligèrent à quitter la France. Il se rendit d'abord à Mons, puis à Gand, à Bruxelles, à Anvers, cherchant de ville en ville une retraite qu'il n'y trouvait pas, et malgré son grand âge, ses infirmités et les périls de cette vie errante, ne cessant pas d'écrire et de combattre. Il est mort à Liége le 8 août 1694, à l'âge de quatre-vingt-trois ans 1.

Par le nombre de ses ouvrages, par l'étendue de son savoir théologique, par la fermeté indomptable de son caractère et la pureté de ses mœurs, Arnauld est une des gloires de l'Église gallicane; mais ce n'est pas le héros du

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1. Une édition des Euvres d'Arnauld a été publiée à Lausanne, 1775-1781, en quarante-deux volumes in-4°, auxquels il faut joindre deux volumes du Traité de la perpétuité de la foi, et un volume de la vie de l'auteur.

Jansénisme et de Port-Royal, l'adversaire intrépide des Jésuites et de la Réforme que nous avons ici à considérer, c'est le penseur, le disciple exact ou l'émule judicieux des maîtres de la philosophie moderne, qu'il aurait pu égaler, sans toutefois leur ressembler, si d'autres soucis, d'autres études, d'autres luttes, n'avaient rempli sa vie et comme absorbé cette mâle intelligence.

II.

Le premier ouvrage philosophique sorti de la plume d'Arnauld est la thèse qu'il rédigea en 1641 pour un de ses disciples au collége du Mans, Charles Walon de Beaupuis, devenu plus tard directeur des écoles de Port-Royal et du séminaire de Beauvais, et mort au commencement du dix-huitième siècle avec une grande réputation de savoir et de vertu. Anciennement une thèse consistait en quelques propositions non développées que le candidat devait soutenir contre ses juges. Celle du sieur de Beaupuis n'a rien innové à ce vieil usage; Arnauld ne fait qu'y poser, dans un latin assez pur, des conclusions au nombre de vingt-quatre sur différents points de physique, de mathématiques, de morale et de métaphysique'. On sent combien une pareille ébauche a peu d'importance; elle ne mériterait pas d'être mentionnée, si elle ne marquait le premier pas d'un homme célèbre dans une carrière où il devait acquérir une gloire durable.

Le cartésianisme fournit à Arnauld une occasion plus favorable d'exercer son talent philosophique. Descartes,

1. OEuvres complètes, t. XXXVIII, p. 1 et 6.

sur le point de publier ses Méditations, avait chargé Mersenne d'en communiquer le manuscrit aux théologiens qu'il jugerait « les plus capables, les moins préoccupés des erreurs de l'école, les moins intéressés à les maintenir, enfin les plus gens de bien, sur qui il reconnaîtrait que la vérité et la gloire de Dieu auraient plus de force que l'envie et la jalousie. » Il espérait recueillir des approbations « qui pussent soutenir l'ouvrage et empêcher les cavillations des ignorants qui auraient envie de contredire, s'ils n'étaient retenus par l'autorité de personnes doctes 2. » Ce qui importait surtout était d'obtenir l'avis des docteurs de la faculté de Théologie de Paris. Mais, remarque Baillet, soit qu'ils approuvassent entièrement l'ouvrage, soit qu'ils le méprisassent, soit enfin qu'ils ne l'entendissent pas, il ne se trouva personne dans tout ce grand et vénérable corps qui voulût s'ériger en censeur de Descartes, si l'on excepte un jeune docteur ou licencié de Sorbonne qui, ayant lu autrefois le discours de la méthode avec plaisir, avait acquiescé au désir du P. Mersenne 3. Ce jeune docteur était Arnauld, que les circonstances appelaient, à peine âgé de vingt-huit ans, à donner son jugement d'un ouvrage qui contenait le germe de la philosophie moderne:

Le premier objet sur lequel portent les objections, ou plutôt les observations d'Arnauld, est la nature de l'esprit humain. Il rappelle, en commençant, que le plus grand des Pères de l'Eglise latine, saint Augustin, avait établi pour fondement de la connaissance humaine le même fait que Descartes, l'existence personnelle révélée par la pen

1. La Vie de M. Descartes, Paris. 1691, p. 104.

2. Vie de Descartes, p. 102.

3. Ibid., p, 124.

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