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souterrains, égouts (toutes images qui lui reviennent perpétuellement et qui l'obsèdent), il n'ait pas regardé plus souvent du côté de la nature, pour s'y adoucir et s'y calmer. Et pourtant, ce même M. de La Mennais, écrivait quelques mois après, à l'une de ses pieuses amies en Italie : « Vous allez entrer dans le printemps, plus hâtif qu'en France dans le pays que vous habitez; j'espère qu'il aura sur votre santé une influence heureuse. Abandonnez-vous à ce qu'a de si doux cette saison de renaissance; faites-vous fleur avec les fleurs. Nous perdons par notre faute une partie, et la plus grande, des bienfaits du Créateur; il nous environne de ses dons, et nous refusons d'en jouir par je ne sais quelle triste obstination à nous tourmenter nousmêmes. Au milieu de l'atmosphère de parfums qui émane de lui, nous nous en faisons une composée de toutes les vapeurs mortelles qui s'exhalent de nos soucis, de nos inquiétudes et de nos chagrins, - fatale cloche de plongeur qui nous isole dans le sein de l'Océan immense. » Et qui donc s'était placé sous cette cloche et se plaisait à y rester plus que lui?

J'ai encore quelque chose à dire sur cette station de Guérin à la Chênaie et en Bretagne, sur cette époque nourricière de son talent.

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Lundi, 1er octobre 1860.

EUVRES

DE MAURICE DE GUÉRIN

PUBLIÉES PAR M. TRÉBUTIEN.

(SUITE ET FIN.)

Puisque j'ai parlé de La Mennais à cette date de 1833, et tel qu'il paraissait encore aux yeux de ce cercle fidèle, comment ne pas indiquer le portrait de lui que Guérin a tracé dans une lettre du 16 mai à M. de Bayne de Rayssac, l'un de ses amis du Midi ? C'est bien la plus vive, la plus parlante image de cette moitié de La Mennais à laquelle on a peine à croire quand on n'a fait que le lire, moitié d'une âme qui semblait en conversant se livrer tout entière, tant elle était gaie et charmante, et qui s'éclipsait si vite alors que son front se plissait et que sa physionomie noircissait tout à coup. Guérin nous le montre comme il le voyait, sous son plus beau jour, et quelquefois dans sa fierté, mais sans la noirceur. Les lettres de Guérin à ses amis servent à compléter les impressions notées dans son Journal durant ce temps, et quelques-unes des

pages de ce Journal ne sont elles-mêmes que des passages de ses lettres qui lui semblaient mériter d'être

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transcrits avant de s'échapper. L'artiste en effet, le peintre qui préparait à tout hasard ses cartons, s'essayait en lui. Une de ses fêtes les plus désirées, et qu'il se promettait dès son arrivée en Bretagne, fut un petit voyage aux côtes de l'Océan. Une première fois, le 28 mars, dans une promenade poussée plus loin que d'habitude avec l'abbé Gerbet et un autre compagnon, il avait entrevu 'au nord, de dessus une hauteur, la baie de Cancale et les eaux au loin resplendissantes qui décrivaient à l'horizon une barre lumineuse. Mais le vrai voyage, et qui lui permit de s'écrier: Enfin j'ai vu l'Océan, ne se fit que le 11 avril. Ce jour-là, le jeudi d'après Pâques, il se mit en route à une heure de l'après-midi, par un beau temps et un vent frais, à pied, en compagnie d'Edmond de Cazalès, qui n'était pas encore dans les Ordres. Il n'y avait pas moins de six ou sept lieues à faire; mais aller vers un grand but et y aller par un long chemin avec un ami, c'est double bonheur. Guérin sentait l'un et l'autre, et il nous l'a dit : « C'est une félicité non pareille de faire route, d'aller voir la mer avec un compagnon de voyage ainsi fait. Notre conversation alla, pour ainsi dire, tout d'un trait de la Chênaie à Saint-Malo, et, nos six lieues faites, j'aurais voulu voir encore devant nous une longue ligne de chemin; car vraiment la causerie est une de ces douces choses qu'on voudrait allonger toujours. » Il nous donne une idée de ces entretiens qui embrassaient le monde du ceur et celui de la nature, et qui couraient à travers la poésie, les tendres souvenirs, les espérances et toutes les aimables curiosités de la jeunesse. Je m'imagine que ces doux propos ressemblaient par l'esprit à ce qu'avaient du être les entretiens de Basile et de Grégoire au rivage d'Athènes, à ceux d'Augustin et de ses amis au rivage d'Ostie. Les descriptions pittoresques, les marines qui

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viennent ensuite y gagnent en beauté; ces conversations élevées en font le ciel.

Les derniers jours que passa Guérin à la Chênaie eurent de la douceur, mais une douceur souvent troublée; il sentait en effet que cette vie de retraite allait cesser et que l'époque des vacances amènerait pour lui la nécessité d'un parti à prendre. Il jouissait d'autant plus, quand son imagination le lui permettait, du calme uni et profond des dernières heures :

« Le 14 (août). Après une longue série de jours éclatants, j'aime assez à trouver un beau matin le ciel tendu de gris, et toute la nature se reposant en quelque sorte de ses jours de fête dans un calme mélancolique. C'est bien cela aujourd'hui. Un voile immense, immobile, sans le moindre pli, couvre toute la face du ciel ; l'horizon porte une couronne de vapeurs bleuâtres ; pas un souffle dans l'air. Tous les bruits qui s'élèvent dans le lointain de la campagne arrivent à l'oreille à la faveur de ce silence : ce sont des chants de laboureurs, des voix d'enfants, des piaulements et des refrains d'animaux, et de temps à autre un chien qui aboie je ne sais où, et des coqs qui se répondent comme des sentinelles. Au dedans de moi, tout aussi est calme et reposé. Un voile gris et un peu triste s'est étendu sur mon âme, comme ont fait les nuages paisibles sur la nature. Un grand silence s'est établi, et j'entends comme les voix de mille souvenirs doux et touchants, qui s'élèvent dans le lointain du passé et viennent bruire à mon oreille. »

Le 7 septembre, à quatre heures du soir, il monta dans la chambre de M. Féli, et lui fit ses adieux. Après neuf mois de séjour, « les portes du petit Paradis de la Chênaie se fermèrent derrière lui. » Les rapports, toujours ambigus et pénibles, de M. de La Mennais avec l'autorité diocésaine avaient empiré dans les derniers temps, et il devenait convenable que la petite école se dispersat. Guérin ne quitta pourtant pas encore la Bretagne, et il y resta jusqu'à la fin de janvier 1834, tantôt à la Brousse, dans la famille de M. de Marzan, tantôt au Val de l'Arguenon, dans l'ermitage de son ami Hippolyte de La Morvonnais, tantôt à Mor

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dreux, chez le beau-père de ce dernier. Il y eut là une

у nouvelle et importante station dans sa vie. Il avait apporté à la Chênaie une peine secrète de cour, je ne dis pas une passion, mais un sentiment. Ce sentiment se réveillait à la vue de certains hêtres qu'il voyait de sa fenêtre, du côté de l'étang, et qui lui rappelaient de chers et troublants souvenirs. Il y avait des nuits où il rêvait; écoutons un de ses rêves : « 15 juin. - Strange dream! j'ai rêvé que je me trouvais seul dans une vaste cathédrale. J'étais là sous l'impression de la présence de Dieu et dans cet état de l'âme où l'on n'a plus conscience que de Dieu et de soi-même, lorsqu'une voix s'est élevée. Cette voix était infiniment douce, une voix de femme et qui pourtant remplissait toute l'église comme eût pu faire un grand concert. Je l'ai reconnue aussitôt, c'était la voix de Louise, silver-sweet sounding (la douce voix d'argent). » De tels songes, qui rappellent ceux de Dante adolescent et de la Vita nuova, ne se passaient que dans la partie élevée de l'esprit, et il y avait moyen d'en guérir. Et pour dire ici tout ce que nous pensons, Guérin n'était

pas
fait
pour

les grandes et violentes passions de l'amour. Un jour, quelques années après, lisant les Lettres de Mademoiselle de Lespinasse et y découvrant des flammes à lui inconnues, il s'en émouvait, et il s'étonnait de s'en émouvoir : « En vérité, disait-il, je ne me savais pas une imagination si tendre et qui pût à ce point agiter mon cæur? Est-ce que je ne connais pas la mesure de mon cæur? Il n'est pas fait pour ces passions où l'on dit : « Vous aimer, vous voir, ou cesser d'exister! » Aucune circonstance de sa vie, pas même l'inclination qui détermina son mariage, n'est venue démentir ce jugement qu'il portait sur lui-même; il n'aima jamais qu'à la surface et, pour ainsi dire, devant le premier rideau de son âme : le fond restait mystérieux et ré

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