Images de page
PDF
ePub

avant de mourir, et nul doute que, si sa muse avait eu vingt ans de moins, elle n'eût trouvé des accents pour les célébrer. Le retour de l'armée de Crimée et son entrée dans Paris, quel sujet d'héroïque chanson pour Béranger!

Ses derniers chants, non encore publiés et dont quelques amis ont entendu dès longtemps la confidence, sont, nous dit-on, dans le genre des Souvenirs du Peuple:

[merged small][ocr errors][merged small]

Ce sont des espèces de chansons épiques, d'une forme accomplie et sévère, consacrées, à fixer certains moments de cette grande destinée de Napoléon dont il s'est montré préoccupé jusqu'à la fin, jaloux comme poëte de confondre de plus en plus sa popularité dans cette gloire.

la

Béranger, dans ses dernières années et avant que maladie de cœur à laquelle il a succombé le retînt dans sa chambre, se faisait remarquer par une qualité rare. et qui dénotait l'excellence de sa nature: il était le plus activement obligeant et le plus utilement serviable des hommes. Honoré de tous, ne trouvant en tous lieux que des admirateurs et des amis, ne voulant rien pour lui-même, il osait demander pour les autres; il est peu de personnes qui se soient adressées à lui sans lui être redevables en quelque chose. Il excellait à donner des conseils pratiques et appropriés. Ses lettres, écrites avec soin à la fois et avec naturel, ont certainement été conservées par tous ceux qui en ont reçu; on en pourra faire un recueil charmant et d'une grande richesse morale, qui sera dans le ton de Franklin. Ce sera un

aspect nouveau, mais non imprévu, de sa personne morale.

Assez d'occasions s'offriront de ramener l'attention publique sur les titres d'une renommée qui est dès longtemps le patrimoine universel: aujourd'hui il convenait de remarquer avant tout cette partie supérieure et puissante du talent, par laquelle le poëte léger, et si souvent brillant dans la gaieté et dans le badinage, a eu l'art et le bonheur de graver son nom sur l'un des marbres les plus indestructibles de l'histoire.

Vendredi, 3 décembre 1858.

SUR LE LOUIS XVI

DE M. AMÉDÉE RENÉE,

L'auteur de Madame de Montmorency, qui vient si heureusement de rappeler l'attention sur cette figure de noble et sainte veuve, et de nous la montrer à genoux en prière devant un tombeau, M. Amédée Renée, publie en ce moment un volume, non plus de récit épisodique, mais de véritable histoire politique sur un sujet -bien connu, tant de fois étudié, mais qui n'est jamais épuisé Louis XVI et sa Cour (1). S'étant chargé, il y a quelques années, de mettre la dernière main à la grande œuvre de Sismondi, « ce monument de la science historique que sa mort avait laissé inachevé, » M. Renée eut à entreprendre ce tableau du règne de Louis XVI, qu'il mena jusqu'à l'époque de la Révolution : « C'est cet ouvrage que je réimprime, dit-il, après en avoir soumis le fond et la forme à une révision laborieuse, et l'avoir, en quelque sorte, renouvelé par des recherches et des documents nouveaux.. Ceux qui liront le volume de M. Renée jugeront qu'il a tenu tout ce qu'il promet. L'esprit dans lequel le livre est conçu est un bon esprit; j'appelle ainsi celui qui consiste à ne pas arriver sur le sujet avec une prévention et un système,

(1) Librairie de Firmin Didot, rue Jacob, 56.

à se pénétrer de l'esprit même de l'époque qui est en cause, à recueillir tous les témoignages, à s'éclairer de toutes les dépositions et à nous rendre avec gravité, avec bon sens et modération, le résultat de cette enquête si délicate et si compliquée. Les quatorze ou quinze années du règne de Louis XVI, antérieures à la Révolution, seront toujours un sujet de méditation et d'étude pour ceux qui cherchent à se rendre compte de la manière dont les révolutions se forment, se préparent, et de ce qu'il faudrait faire pour les prévenir et les éviter. On avait là tout le temps devant soi, tous les éléments de réforme et, avec de grandes difficultés sans doute, une somme considérable de bonnes intentions et de bons vouloirs dans toutes les classes de la nation. Jamais avénement ne donna de plus belles espérances que celui du vertueux Louis XVI. Un inconvénient des longs régimes tout à fait déplorables et scandaleux comme l'était celui de Louis XV, c'est de faire croire que le remède est trop facile et qu'il suffit de supprimer la cause du mal pour entrer et marcher dans le bien. On a un premier jour de folle joie universelle et d'ivresse; mais le lendemain on se retrouve divisé en partis, en présence des hommes, des intérêts et des passions. Le bien, pour être autre chose qu'un rêve, a besoin d'être organisé, et cette organisation réclame aussitôt une tête, ministre ou souverain, un grand personnage social. Ce personnage existât-il dans la nation, il faudrait encore qu'il fût connu, employé, ou déjà tout porté au premier rang, ou en passe d'y atteindre et en mesure de s'y maintenir. Cela manqua entièrement durant les quinze années d'essai et de tâtonnement, accordées à Louis XVI. Les personnages, même les meilleurs, qu'il voulut d'abord se donner pour auxiliaires et collaborateurs dans son sincère amour du peuple, étaient imbus des principes, des lumières sans doute, mais

aussi, à un haut degré, des préjugés du siècle, dont le fond était une excessive confiance dans la nature humaine. A défaut d'un homme d'État né et comprenant d'instinct, par un premier coup d'œil, la part inévitable de pessimisme qui est à introduire dans le maniement même le plus libéral des hommes, il n'y avait plus que l'expérience qui pût éclairer et détromper graduellement ceux que les théories séduisaient. L'art d'un roi qui, sans être supérieur, eût été pratique et prudent, c'eût été de pourvoir au plus tôt, de porter remède à cette fièvre soudaine, à cette chaleur de réforme qui avait saisi à la fois toute la nation, moins les classes privilégiées, et qui gagnait, jusque dans ces classes privilégiées, bien des têtes ardentes et généreuses; c'eût été de donner à cet enthousiasme le temps et les moyens de se calmer; c'eût été, par des réformes partielles vigoureusement suivies, de donner satisfaction à des intérêts justes et, par là, de décomposer petit à petit ce nuage gros d'illusions, qui renfermait des tonnerres. Les portions satisfaites de la nation auraient commencé à mieux voir, à revenir de l'excès d'exigence ou de confiance, et à juger de la tâche sociale avec plus de vérité. Mais pour cela, il aurait fallu ne pas avoir soi-même d'illusion, connaître sa nation et l'humanité. Louis XVI n'était qu'un homme de bien exposé sur un trône, et s'y sentant mal à l'aise. Par une succession d'essais incomplets, non suivis, toujours interrompus, il irrita la fièvre publique et ne fit que la redoubler pendant quatórze ans. L'impatience, à la fin, était la même chez tous, et les modérés (s'il y en avait), s'exaltant comme les autres, ne se reconnaissaient plus. C'est ainsi qu'on en vint aux grands remèdes sans presque se douter de la difficulté, ou du moins en la voyant tout entière d'un seul côté, dans l'obstacle qu'opposaient les privilégiés et la Cour. On joua le jeu français de tout ou rien.

« PrécédentContinuer »