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merce du monde, ou au moins ont enseigné une sorte de devotion qui conduit à cette entiere retraicte. Mon intention est d'instruire ceux qui vivent ès villes, ès mesnages, à la cour, et qui par leur condition sont obligez de faire une vie commune, quant à l'exterieur, lesquels bien souvent sous le pretexte d'une pretenduë impossibilité,ne veulent seulement pas penser à l'entreprise de la vie devote, leur estant advis, que comme aucun animal n'ose gouster de la graine de l'herbe nommée Palma Christi, aussi nul homme ne doit pretendre à la palme de pieté chrestienne, tandis qu'il vit emmy la presse des affaires temporelles. Et je leur monstre, que comme les meres-perles vivent emmy la mer, sans prendre aucune goutte d'eau marine, et que vers les isles chelidoines il y a des fontaines d'eau bien douce au milieu de la mer, et que les pyraustes volent dedans les flammes sans brusler leurs aislés: ainsi peut une ame vigoureuse et constante vivre au monde, sans recevoir aucune humeur mondaine, trouver des sources d'une douce pieté au milieu des ondes ameres de ce siecle, et voler entre les flammes des, convoitises terrestres, sans brusler les aisles des sacrez desirs de la vie devote. Il est vray que cela est mal aisé, et c'est pourquoy je desirerois que plusieurs y employassent leur soin, avec plus d'ardeur qu'on n'a pas fait jusqu'à present: comme tout foible que je suis, je m'essaye par cet escrit de contribuer quelques secours à ceux qui d'un cœur genereux feront cette digne entreprise.

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Mais ce n'a toutesfois pas esté par mon election, ou inclination, que cette introduction sorte en public: une ame

vrayement pleine d'honneur et de vertu, ayant, il y a quelque temps, receu de Dieu la grace de vouloir aspirer à la vie devote, desira ma particuliere assistance pour ce regard : et moy qui luy avois plusieurs sortes de devoirs, et qui avois long-temps remarqué en elle beaucoup de disposition pour ce dessein, je me rendis fort soigneux de la bien instruire; et l'ayant conduite par tous les exercices convenables à son desir et sa condition, je luy en laissay des memoires par escrit, afin qu'elle y eust recours à són besoin. Elle depuis les communiqua à un grand docte, et devot religieux, lequel estimant que plusieurs en pourroient tirer du profit, m'exhorta fort de les faire publier : ce qui luy fut aysé de me persuader, parce que son amitié avoit beaucoup de pouvoir sur ma volonté, et son jugement une grande authorité sur le mien.

Or, afin que le tout fut plus utile et agréable, je l'ay reveu, et y ay mis quelque sorte d'entresuite, adjoustant plusieurs advis et enseignemens propres à mon intention : mais tout cela je l'ay fait sans nulle sorte presque de loisir. C'est pourquoy tu ne verras rien ici d'exact: ains seulement un amas d'advertissemens de bonne foy, que j'explique par des paroles claires et intelligibles, au moins ayje desiré de le faire. Et quant au reste des ornemens du langage, je n'y ay pas seulement voulu penser, comme ayant assez d'autres choses à faire.

J'adresse mes paroles à Philotée, parce que voulant reduire à l'utilité commune de plusieurs ames, ce que j'avois premierement escrit pour une seule, je l'appelle du nom

commun à toutes celles qui veulent estre devotes : car Philotée veut dire amatrice ou amoureuse de Dieu.

Regardant donc en tout cecy une ame qui par le desir de la devotion aspire à l'amour de Dieu, j'ay fait cette introduction de cinq parties : en la première desquelles je m'essaye, par quelques remonstrances et exercices, de convertir le simple desir de Philotée en une entiere resolution, qu'elle fait à la parfin, apres sa confession generale, par une solide protestation, suivie de la tres-saincte communion, en laquelle se donnant à son Sauveur, et le recevant, elle entre heureusement en son sainct amour. Cela fait, pour la conduire plus avant, je luy monstre deux grands moyens de s'unir de plus en plus à sa divine Majesté ; l'usage des sacremens, par lesquels ce bon Dieu vient à nous, et la saincte oraison, par laquelle il nous tire à soy. Et en cecy j'employe la seconde partie. En la troisiesme je luy fais voir comme elle se doit exercer en plusieurs vertus plus propres à son advancement, ne m'amusant pas sinon à certains advis particuliers, qu'elle n'eust pas sceu aisement prendre ailleurs, ny d'elle-mesme. En la quatriesme, je luy fais descouvrir quelques embusches de ses ennemis, et luy monstre comme elle s'en doit demeler et passer outre. Et finalement en la cinquiesme partie, je la fais un peu retirer à part soy, pour se rafraischir, reprendre haleine, et reparer ses forces, afin qu'elle puisse par apres plus heureusement gaigner pays, et s'advancer en la vie devote.

Get age est fort bigearre, et je prevois bien que plu

sieurs diront qu'il n'appartient qu'aux religieux et gens de devotion, de faire des conduites si particulieres à la pieté, qu'elles requierent plus de loisir que n'en peut avoir un evesque chargé d'un diocese si pesant comme est le mien, que cela distrait trop l'entendement qui doit estre employé à choses importantes.

Mais moy, mon cher lecteur, je te dis avec le grand S. Denis, qu'il appartient principalement aux evesques de perfectionner les ames : d'autant que leur ordre est le supreme entre les hommes, comme celuy des seraphins entre les anges si que leur loisir ne peut estre mieux destiné qu'à cela. Les anciens evesques et peres de l'Eglise ́estoient pour le moins autant affectionnez à leurs charges que nous, et ne laissoient pourtant pas d'avoir soin de la conduite particuliere de plusieurs ames qui recouroient à leur assistance, comme il appert par leurs epistres; imitant en cela les apostres, qui emmy la moisson generale de l'univers, recueilloient neantmoins certains espics plus remarquables, avec une speciale et particuliere affection. Qui ne sçait que Timothée, Tite, Philemon, Onesime, Ste Thecle, Appia, estoient les chers enfans du grand S. Paul, comme S. Marc et Ste Petronille de S. Pierre ? Sto Petronille, dis-je, laquelle, comme preuvent doctcment Baronius et Galonius, ne fut pas fille charnelle, mais seulement spirituelle de S. Pierre. Et S. Jean n'escrit-il pas une de ses epistres canoniques à la devote dame Electa?

C'est une peine, je le confesse, de conduire les ames en

particulier, mais une peine qui soulage, pareille à celle des moissonneurs et vendangeurs, qui ne sont jamais plus contens que d'estre fort embesongnez et chargez. C'est un travail qui delasse et avive le cœur par la suavité qui en revient à ceux qui l'entreprennent, comme fait le cinamome, ceux qui le portent parmy l'Arabie heureuse. On dit que la tygresse ayant retrouvé l'un de ses petits, que le chasseur luy laisse sur le chemin pour l'amuser, tandis qu'il emporte le reste de la littée, elle s'en charge, pour gros qu'il soit; et pour cela n'en est point plus pesante, ains plus legere à la course qu'elle fait pour le sauver dans sa tasniere; l'amour naturel l'allegeant par ce fardeau. Combien plus un cœur paternel prendra-t'il volontiers en charge une ame qu'il aura rencontrée au desir de la saincte perfection, la portant en son sein, comme une mere fait son petit enfant, sans se ressentir de ce faix bien aimé.

Mais il faut sans doute que ce soit un cœur paternel ; et c'est pourquoy les apostres et hommes apostoliques appellent leurs disciples, non seulement leurs enfans, mais encore plus tendrement leurs petits enfans.

Au demeurant, mon cher lecteur, il est vray que j'escris de la vie devote sans estre devot, mais non pas certes sans desir de le devenir: et c'est encore cette affection qui me donne courage à t'en instruire. Car comme disoit un grand homme de lettres; la bonne façon d'apprendre, c'est d'estudier; la meilleure, c'est d'escouter; et la tresbonne, c'est d'enseigner. Il advient souvent, dit S. Augustin, escrivant à sa devote Florentine, « que l'office de

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