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ront bien-heureuse, elle veut dire, que Nostre-Seigneur a regardé de bon cœur son abjection, vileté et bassesse pour la combler de graces et faveurs. Il y a neantmoins difference entre la vertu d'humilité et l'abjection: car l'abjection, c'est la petitesse, bassesse et vileté qui est en nous, sans que nous y pensions; mais quant à la vertu d'humilité, c'est la veritable cognoissance, et volontaire recognoissance de nostre abjection. Or le haut poinct de cette humilité gist, à non seulement recognoistre volontairement nostre abjection, mais l'aymer et s'y complaire, et non point par manquement de courage et generosité, mais pour exalter tant plus la divine Majesté, et estimer beaucoup plus le prochain en comparaison de nous-mesmes. Et c'est cela à quoy je vous exhorte, et que pour mieux entendre, sçachez qu'entre les maux que nous souffrons, les uns sont abjects, et les autres honorables; plusieurs s'accommodent aux honorables, mais presque nul ne veut s'accommoder aux abjects. Voyez un devocieux hermite tout deschiré et plein de froid, chascun honore son habit gasté avec compassion de sa souffrance mais si un pauvre artisan, un pauvre gentil-homme, une pauvre damoiselle, en est de mesme, on l'en mesprise, on s'en mocque, et voilà comme ́sa pauvreté est abjecte. Un religieux reçoit devotement une aspre censure de son superieur, ou un enfant de son pere: chascun appellera cela mortification, obedience, et sagesse; un chevalier et une dame en souffrira de mesme de quelqu'un, et quoy que ce soit pour l'amour de Dieu, chacun l'appellera coüardise et lascheté. Voilà donc encore un autre mal abject. Une personne a un chancre au bras, et l'autre l'a au visage celuy-là n'a que le mal, mais cestuy-ci avec le mal a le mespris, le desdain, et l'abjection. Or je dis maintenant, qu'il ne faut pas seulement aymer le mal, ce qui se

fait par la vertu de la patience; mais il faut aussi cherir l'abjection, ce qui se fait par la vertu de l'humilité. De plus, il y a des vertus abjectes, et des vertus honorables; la patience, la douceur, la simplicité et l'humilité mesme, sont des vertus que les mondains tiennent pour viles et abjectes; au contraire, ils estiment beaucoup la prudence, la vaillance et la libéralité. Il y a encore des actions d'une mesme vertu, dont les unes sont mesprisées, et les autres honorées; donner l'aumosne et pardonner les offences sont deux actions de la charité : la premiere est honorée d'un chascun, et l'autre mesprisée aux yeux du monde. Un jeune gentil-homme, ou une jeune dame, qui ne s'abandonnera pas au desreglement d'une trouppe, desbauchée à parler, joüer, danser, boire, vestir, sera brocardé et censuré par les autres, et sa modestie sera nommée, ou bigotterie, ou affeterie: aimer cela c'est aimer son abjection. En voiey d'une autre sorte : nous allons visiter les malades: si on m'envoye au plus miserable, ce me sera une abjection selon le monde ; c'est pourquoy je l'aymeray: si on m'envoye à ceux de qualité, c'est une abjection selon l'esprit, car il n'y a pas tant de vertu ny de merite : j'aymeray donc cette abjection. Tombant emmy la rue, outre le mal, on en reçoit la honte, il faut aimer cette abjection. Il y a mesme des fautes, esquelles il n'y a aucun mal que la seule abjection, et l'humilité ne requiert pas qu'on les fasse expressement, mais elle requiert, bien qu'on ne s'inquiete point quand on les aura commises. Telles sont certaines sottises, incivilitez et inadvertances, lesquelles comme il faut eviter avant qu'elles soient faictes pour obeyr à la civilité et prudence, aussi faut-il quand elles sont faictes, acquiescer à l'abjection qui nous en revient, et l'accepter de bon cœur pour suivre la saincte humilité. Je dis bien davantage : si je me suis desreglé par colere ou par disso

lution à dire des paroles indecentes, et desquelles Dieu et le prochain est offensé je me repentiray vivement, et seray extremement marry de l'offense, laquelle je m'essayeray de reparer le mieux qu'il me sera possible, mais je ne laisseray pas d'agreer l'abjection et le mespris qui m'en arrive : et si l'un se pouvoit separer d'avec l'autre, je rejetterois ardemment le peché, et garderois humblement l'abjection.

Mais quoy que nous aymions l'abjection qui s'ensuit du mal, si ne faut-il pas laisser de remedier au mal qui l'a causée par des moyens propres et legitimes, et sur tout quand le mal est de consequence. Si j'ay quelque mal abject au visage, j'en procureray la guerison, mais non pas que l'on oublie l'abjection, laquelle j'en ay receüe. Si j'ay fait une chose qui n'offense personne, je ne m'en excuseray pas, parce qu'encore que ce soit un defaut, si est-ce qu'il n'est pas permanent je ne pouvois doncques m'en excuser que pour l'abjection qui m'en revient: or c'est cela que l'humilité ne peut permettre; mais si par mesgarde ou par sottise, j'ay offensé ou scandalisé quelqu'un, je repareray l'offense par quelque veritable excuse, d'autant que le mal est permanent, et que la charité m'oblige de l'effacer. Au demeurant il arrive quelquesfois que la charité requiert, que nous remedions à l'abjection pour le bien du prochain, auquel nostre reputation est necessaire, mais en ce cas là ostant nostre abjection de devant les yeux du prochain, pour empescher son scandale: il la faut serrer et cacher dedans nostre cœur, afin qu'il s'en edifie.

Mais vous voulez sçavoir, Philotée, quelles sont les meilleures abjections; et je vous dis clairement, que les plus profitables à l'ame, et agreables à Dieu, sont celles que nous avons par accident, ou par la condition de nostre vie, parce que nous ne les avons pas choisies, ains les avons receuës telles que Dieu nous les a envoyées, duquel

l'eslection est tousjours meilleure que la nostre. Que s'il en falloit choisir, les plus grandes sont meilleures : et celles-là sont estimées les plus grandes qui sont plus contraires à nos inclinations, pourveu qu'elles soient conformes à nostre vacation : car pour le dire une fois pour toutes, nostre choix et eslection gaste et amoindrit presque toutes nos vertus. Ah! qui nous fera la grace de pouvoir dire avec ce grand roy : « J'ay choisy d'estre abject en la mai« son de Dieu, plustost que d'habiter ès tabernacles des chere Philotée, que celuy pescheurs ?» Nul ne le peut, chere Philotée, qui pour nous exalter vesquit et mourut, en sorte qu'il fut l'opprobre des hommes, et l'abjection du peuple. Je vous ay dit beaucoup de choses qui vous sembleront dures, quand vous les considererez mais croyez-moy, elles seront plus douces que le sucre et le miel, quand vous les practiquerez.

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CHAPITRE VII.

Comme il faut conserver la bonne renommée, practiquant l'humilité.

La loüange, l'honneur et la gloire ne se donnent pas aux hommes pour une simple vertu, mais pour une vertų excellente. Car par la loüange nous voulons persuader aux autres, d'estimer l'excellence de quelques-uns; par l'honneur nous protestons que nous l'estimons nous - mesmes; et la gloire n'est autre chose à mon advis, qu'un certain esclat de reputation qui rejaillit de l'assemblage de plusieurs louanges et honneurs. Si que les honneurs et louanges sont comme des pierres precieuses, de l'amas desquelles reüssit la gloire comme un esmail. Or l'humilité ne pouvant souffrir que nous ayons aucune opinion d'exceller, ou devoir estre preferez aux autres, ne peut aussi permettre que nous recherchions la loüange, l'honneur, ny

la gloire qui sont deues à la seule excellence : elle consent bien neantmoins à l'advertissement du sage, qui nous admoneste d'avoir soin de nostre renommée parce que la bonne renommée est une estime non d'aucune excellence, mais seulement d'une simple et commune preud'hommie et integrité de vie, laquelle l'humilité n'empesche pas que nous ne recognoissions en nous mesmes, ny par consequent que nous en desirions la reputation. Il est vray que l'humilité méspriseroit la renommée, si la charité n'en avoit besoin; mais parce qu'elle est l'un des fondemens de la société humaine, et que sans elle nous sommes non seulement inutiles, mais dommageables au public, à cause du scandale qu'il en reçoit, la charité requiert, et l'humilité agrée que nous la desirions et conservions precieuse

ment.

mesme n'est

:

Qutre cela, comme les feuilles des arbres, qui d'ellesmesmes, ne sont pas beaucoup prisables, servent neantmoins de beaucoup, non seulement pour les embellir, mais aussi pour conserver les fruicts, tandis qu'ils sont encore tendres ainsi la bonne renommée, qui de soypas une chose fort desirable, ne laisse pas d'estre tres-utile, non seulement pour l'ornement de nostre vie, mais aussi pour la conservation de nos vertus encore tendres et foibles. L'obligation de maintenir nostre reputation, et d'estre tels que l'on nous estime, force un cou rage genereux d'une puissante et douce violence. Conser vons nos vertus, ma chere Philotée, parce qu'elles sont agreables à Dieu, grand et souverain objet de toutes nos actions. Mais comme ceux qui veulent garder les fruicts ne se contentent pas de les confire, ains les mettre dedans des vases propres à la conservation d'iceux de mesme bien que l'amour divin soit le principal conservateur de nos vertus, si est-ce que nous pouvons encore employer

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